Ce documentaire, c’est le résultat d’années d’efforts pour comprendre les coulisses des marchés publics…
Stéphanie Fontaine : Oui. Mes premières enquêtes remontent à 2013. Elles ont été à l’origine d’un rapport de l’Inspection générale de l’administration, remis à Manuel Valls en mars 2014, mais qui est ensuite resté secret. J’ai mis plus d’un an, en saisissant la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), pour en obtenir une version caviardée ; et deux ans et demi avant de récupérer une version complète… On y lit noir sur blanc ce que nous avions subodoré sur les grands gagnants des marchés des radars. Un pactole ! En additionnant des centaines de contrats, nous avons estimé que cela a représenté plus de 2,5 milliards de dépenses depuis 2009.
Alors, qui en profite avant tout ?
Au premier chef, c’est bien sûr l’Etat. Rien qu’en 2018, les recettes des radars lui ont rapporté 860 millions d’euros. C’est la 3e meilleure année historique, malgré le mouvement des gilets jaunes qui a provoqué une perte de 360 millions d’euros si on cumule le coût du vandalisme et le manque à gagner. Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que l’Etat – et donc, derrière lui les Français – devrait récupérer beaucoup plus d’argent car il n’achète pas les prestations aux opérateurs privés au meilleur prix. Comme les radars rapportent, on n’est pas assez attentifs aux coûts.
La société Atos, par exemple, a longtemps géré intégralement le Centre national de traitement automatisé des PV de Rennes à tel point qu’on a surnommé cette usine à PV, qui traite 90 000 PV par jour, d’« AtosLand ». C’était un marché global de 400 millions d’euros pour quatre ans. Comme elle s’occupait de tout au CNT et pas seulement des développements informatiques, elle faisait appel à de nombreux sous‐traitants. Pour les coordonner, elle bénéficiait en plus d’un « forfait de pilotage » de 10 millions d’euros. Mais on a découvert qu’Atos se prenait une marge sur l’activité de chacun de ses sous‐traitants privés (pour le gardiennage, la sécurité, la cantine…). L’entreprise réalisait ainsi une double marge ! Pour le seul sous‐traitant Docapost, cela lui rapportait 4 millions d’euros supplémentaires par an.
Dans le film, vos interlocuteurs mettent en avant l’urgence pour passer outre la mise en concurrence des entreprises…
Oui, mais il s’agit d’une urgence politique. En 2003, le président Jacques Chirac fait de la sécurité routière l’une de ses grandes priorités. Il a voulu aller vite. Trop pour permettre la mise en concurrence. Mais personne ne l’obligeait à se précipiter de la sorte ! Et puis, on aurait pu changer de fonctionnement par la suite. Le rapport de l’Inspection générale de l’administration le dit bien : l’Etat n’aurait pas dû en passer par un marché global mais procéder par les habituels allotissements. C’est-à-dire la partition du marché en plusieurs lots. Du coup, certaines grosses entreprises en ont profité à fond.
Anticor, l’association de lutte contre la corruption, a déposé deux plaintes, en 2015 et 2016, pour délits de favoritisme. Où en est‐on ?
Nulle part ! Suite à ces plaintes, le Parquet national financier a ouvert des enquêtes préliminaires. Mais comme il ne s’est rien passé depuis, Anticor a déposé cet été de nouvelles plaintes mais, cette fois, avec constitution de partie civile, afin de déclencher automatiquement l’ouverture d’une instruction. Sans Anticor, la justice n’aurait jamais été saisie. Au vu de ce qui figure dans le rapport de l’IGA, il y aurait dû y avoir un signalement immédiat des hauts‐fonctionnaires au procureur. Heureusement, les choses changent peu à peu. Depuis la fin 2015, les marchés de gestion du centre de traitement de Rennes ont été tronçonnés et Atos a même perdu son très juteux contrat.
Qu’est-ce qui vous a le plus frappé lors de votre enquête ?
L’opacité. Elle est visible dans le documentaire. On se prend beaucoup de portes alors que les informations que nous réclamons sont d’intérêt public. On parle quand‐même d’argent public et de milliards d’euros ! La ligne de défense des responsables politiques est toujours la même : nous avons sauvé des vies humaines et ça n’a pas de prix. Certes, mais cela ne doit pas empêcher se pencher sur la pertinence des marchés souscrits et sur une bonne évaluation des politiques publiques.
Un documentaire financé par son public
Dans le documentaire « Radar, la machine à cash – Scandales et gros profits », nos opiniâtres confrères Jacques Duplessy, Stéphanie Fontaine, Lizzie Treu et Antoine Champagne, du collectif de journalistes indépendants ExtraMuros, ont poussé les portes du centre de traitement automatisé des PV de Rennes en compagnie du député François Ruffin, sonné aux domiciles des protagonistes de l’ombre de ce dossier sensible… Et tenter de comprendre qui étaient vraiment les grands gagnants du business des radars. Le film est en accès libre depuis le 8 janvier 2020 sur les sites de Reflets, Mediapart, Caradisiac et Thinkerview. Il n’aurait jamais vu le jour sans un financement participatif qui se poursuit ici.
je me permets mais je pense qu’il y a un chiffre qui colle pas dans votre résumé ! vous dites qu’atos devait gérer 90000 PV par jour, ok ? Pour un marché moyen de 100 millions d’euros par an. Or si je fais le calcul ça ferait une amende au tarif moyen de 3€… donc y’a soit un « 0 » en trop quelque part ou une chiffre qui déconne.
Bonjour Ronaldo, Je ne vois pas où est le souci de chiffres évoqué. Atos récupérait 3 euros sur chaque amende traitée. Rien à voir avec le prix moyen de l’amende. Bien cordialement, Jacques Trentesaux (Mediacités)