«La vague épidémique va bientôt toucher notre territoire, ce n’est qu’une question de jours ». Hier, mardi 17 mars, voilà ce que déclarait le directeur de l’Agence régionale de santé (ARS), Jean‐Jacques Coiplet, lors d’un point presse en visio/audio‐conférence. Treize patients Covid‐19 confirmés ou suspectés étaient alors en réanimation en Pays‐de‐La‐Loire : trois au CHU de Nantes, deux au CHU d’Angers et huit dans les hôpitaux périphériques. « Nous avons de la marge pour le moment, mais chaque jour compte, complétait le responsable l’ARS. Plus nous réduisons nos déplacements, plus nous étalons le pic épidémique et plus les cas sévères pourront être pris en charge sur la durée sans surcharger le système hospitalier ». Le message du directeur de l’ARS sera‐t‐il entendu avec tout le civisme nécessaire par la population ?
Objectif : étaler le pic épidémique
Le dernier décompte officiel, en date du 16 mars à 19 heures, faisait état de 109 cas en Pays‐de‐la‐Loire. Dernier décompte en raison du passage au stade 3 et de la fin des tests de diagnostic systématiques. Si la région reste actuellement l’un des territoires les moins touchés de France, « on est en réalité très loin des chiffres annoncés par les autorités », estime Christophe Le Tallec, vice‐président du collectif Inter‐Urgences et aide‐soignant au CHU de Nantes. « De très nombreuses personnes sont porteuses et n’ont pas été diagnostiquées, ajoute‐t‐il. Tout le monde redoute que l’Ouest bascule comme l’Est de la France dans quelques jours. » A l’heure actuelle, seuls deux décès dûs au Covid‐19 ont été enregistrés dans la région. Le second, annoncé hier, est un homme de 91 ans originaire du Maine‐et‐Loire.
Jusqu’à présent, tous les patients testés positifs en région Pays‐de‐la Loire ont été hospitalisés. Ces hospitalisations d’emblée ne pourront plus être la règle d’ici quelques jours, lorsque le nombre de cas augmentera subitement. Les établissements en première ligne sont les CHU de Nantes et Angers et ceux de 2ème niveau opérationnel sont les CH de Saint‐Nazaire, Cholet, Laval, Le Mans et La Roche‐sur‐Yon.
Le Samu est déjà saturé
Alors que le pic est devant nous, le standard du 15 explose déjà depuis plusieurs jours. « Nous recevons actuellement environ 3 300 appels par jour. Soit entre deux fois et deux fois et demie plus qu’habituellement », souligne le docteur Joël Jenvrin, responsable médical du Samu 44. Les 24 positions de travail permettant de décrocher en temps normal sont en passe d’être doublées d’ici la fin de cette semaine. « En plus de ces progrès techniques, il faut maintenant mettre des moyens humains supplémentaires pour décrocher », ajoute le Dr Jenvrin.
« Une centaine d’étudiants en médecine se sont portés volontaires comme assistants de régulation médicale. Nous avons aussi reçu une centaine de candidatures de médecins généralistes installés ou retraités pour épauler notre régulation médicale, indique le responsable médical du Samu 44, saluant « une mobilisation extraordinaire ». Etudiants et généralistes seront formés en accéléré à la régulation médicale de crise dans les prochains jours.
« Les gens paniquent. Ils appellent pour de simples renseignements… c’est catastrophique ! Les régulateurs ne parviennent pas à décrocher dans un délai normal pour les suspicions de Covid‐19 mais aussi pour toutes les autres prises en charge : infarctus, AVC, etc. Il faut communiquer davantage auprès de la population sur le numéro vert », pointe Christophe Le Tallec.
Plan blanc au CHU et cellule de crise à l’ARS
« Je suis comme un général à la tête d’une armée de 12 000 professionnels de santé. Tous les médecins et paramédicaux se préparent pour affronter la vague de cas qui va nous arriver. L’intelligence collective et la réactivité sont nos principaux atouts », souligne de son côté Laetitia Micaelli‐Flender, directrice générale par intérim du CHU de Nantes.
Depuis le déclenchement du « plan blanc », vendredi 13, la gestion de crise s’est traduite concrètement par la mise sur pied d’un comité stratégique Covid‐19 à gouvernance quadricéphale : médecins, soignants, administratifs et scientifiques. Par ailleurs, le CHSCT et le Comité technique d’établissement se réuniront plus fréquemment mais en format plus restreint.
Pour tenter de contenir au mieux cette vague, toutes les consultations et interventions chirurgicales ont été déprogrammées. « Bien sûr les consultations indispensables, comme celles en cancérologie, sont maintenues », rassure la DG du CHU. Ceci a permis le doublement des capacités en réanimation au sein des CHU de Nantes et Angers, passant de 180 à 360 lits. « La règle devient la prise en charge à domicile par la médecine de ville pour les formes légères, de façon à ne pas saturer les urgences et les services de réanimation réservés aux cas les plus graves », insiste la DG du CHU.
« Les activités de recherche du CHU sont focalisées sur le Covid‐19, avec nos services de maladies infectieuses et réanimation. L’ensemble des écoles paramédicales sont fermées jusqu’à nouvel ordre. Les personnels administratifs non indispensables à la prise en charge des patients sont confinés pour le moment mais restent mobilisables selon les besoins », ajoute Lætitia Micaelli‐Flender.
Les internes prêts à assurer des gardes
A l’ARS, l’ensemble des personnels est sur le pont non‐stop. « Depuis trois mois nous travaillons jour et nuit, week‐end compris », indique le directeur, Jean‐Jacques Coiplet. « 90% de nos agents sont mobilisés sur la gestion de la crise Covid‐19. Comme dans les hôpitaux, nous sommes parfois épuisés mais nous allons tenir bon. Nous avons été épaulés par le réseau Assurance maladie, par le conseil de l’Ordre des médecins, par les pharmaciens, par le Gérontopole Pays‐de‐la‐Loire et par des étudiants en santé publique. Nos équipes de médecins ont joué un rôle moteur. Je salue cet élan de solidarité extraordinaire », souligne le directeur de l’ARS.
« Dès que nécessaire, nous sommes mobilisés pour prêter main forte à l’ouverture de lignes de garde supplémentaire dans les services de réanimation et de soins intensifs qui vont prendre en charge les patients infectés », indique de son côté Jules Lecomte, interne en réanimation au CHU de Nantes et président du bureau des internes.
« La situation est à ce jour sous contrôle au CHU de Nantes mais vu la cinétique (ndlr : la vitesse de propagation du virus) dans l’Est de la France, on s’attend à une explosion assez rapide », ajoute Jules Lecomte. Pour le moment, les internes travaillent aux horaires habituels. Mais la direction pourra faire appel à eux sur des plages horaires élargies si besoin, via les mesures de déplafonnement du temps de travail annoncées. Par ailleurs, des élèves infirmiers ont été réquisitionnés pour garder les enfants des personnels soignants, et la crèche du CHU reste ouverte.
Urgence absolue pour les masques
Concernant le manque de masques, le décalage entre les annonces gouvernementales et la pénurie sur le terrain devient très difficilement supportable pour les soignants en première ligne, aussi bien à l’hôpital qu’en ville. « Depuis le début de la crise sanitaire, les masques nous sont distribués au compte‐goutte, faute de stock suffisant. La logique voudrait que tous les personnels soignants en réanimation et aux urgences portent un masque FFP2. Mais il n’y en a pas assez et les derniers distribués sont périmés ! On sait que le stock d’État n’a pas été renouvelé sous Xavier Bertrand. Les pouvoirs publics n’ont pas anticipé le risque épidémiologique majeur auquel nous faisons face », déplore le vice‐président du collectif Inter‐Urgences, Christophe Le Tallec.
A l’ARS, on assurait qu’une livraison de masques FFP2 aurait lieu jeudi 19 ou vendredi 20 mars dans l’ensemble des hôpitaux de la région. Et qu’une deuxième livraison devrait suivre rapidement pour les médecins libéraux. En attendant, que penser des personnes croisées dans les rues de Nantes portant un masque ? La voix du docteur Joël Jenvrin, responsable médical du Samu 44, devient plus forte : « Il faut du civisme sur le port du masque. Il ne sert à rien d’en porter un, sauf lorsqu’on est contaminé. Et à ce moment‐là, on n’a rien à faire en dehors de chez soi ! »
Merci pour cet article plus local.
Ce que j’aimerais savoir c’est pourquoi pour 19 cas/suspects seulement au CHU de Nantes par exemple, le service se trouve débordé !?
C’est la panique chez les médecins aussi ? Ou les chiffres annoncés sont vraiment différents de la réalité ?
En combien de jours, les décès surviennent‐ils ? Est‐ce que c’est variable ?
Et enfin, j’ai aussi l’impression que les « médecins/soignants » en profite (à raison) pour avoir plus de moyens de manière générale pour traiter tous types de cas et d’urgences.
« On sait que le stock d’État n’a pas été renouvelé sous Xavier Bertrand. »
Ni depuis, apparemment …
Excellent article, complet et très informatif. Merci, Sylvie Cousin. Maintenant…il est très perturbant d’apprendre que les stocks d’Etat (en masques notamment) n’avaient pas été renouvelés sous Xavier Bertrand. C’est‐à‐dire si je compte bien, depuis 2007 ou 2008 au plus tard. Lorsque viendra l’heure des « donneurs de leçons », il faudra s’en souvenir. Si « Gouverner, c’est prévoir », nous savons maintenant qu’il faut savoir faire la différence entre « gouverner » – donc avoir une stratégie – et « gérer » – pour faire tourner une boutique. L’un n’est pas moins noble que l’autre. Mais indéniablement, l’autre exige des aptitudes supérieures.