Rideaux baissés, magasins de vêtements et de parfums fermés. Artère centrale de Lyon, la rue de la République est méconnaissable. Les rares passants avancent masqués. Moins invisibles que d’ordinaire, les personnes sans‐domicile fixe ne peuvent, elles, se confiner face à l’épidémie. Non loin du Palais de la Bourse, Cédric* fait la manche, ce mercredi 18 mars. « C’est la merde. Au premier jour, ça a encore marché un peu. J’ai réussi à faire 10 balles. J’étais content, je me suis acheté à manger et j’ai bu de la bière », soupire‐t‐il. Devant lui, à peine quelques pièces s’éparpillent dans un Tupperware. Moins d’un euro.
Arrivé à Lyon une semaine plus tôt, il a décidé que l’argent qu’il pourra récolter lui servira à se procurer des lingettes désinfectantes. « Il paraît que l’État veut nous confiner. Les gens de la rue le disent. Beaucoup en parlent, on entend même que l’armée va nous mettre tous ensemble dans un gymnase. Moi je n’y crois pas ». Cédric retournerait bien chez sa mère, en Bretagne, mais ne veut pas lui imposer sa présence et la mettre en danger.
Jeudi, le ministre chargé de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, a annoncé la volonté du gouvernement de « réquisitionner des chambres d’hôtel » pour accueillir les SDF, ainsi que le déblocage d’une enveloppe de 50 millions d’euros.
Au niveau local, la préfecture du Rhône travaille actuellement sur la question des chambres hôtels et a engagé des discussions avec les collectivités pour trouver des lieux d’accueil supplémentaires destinés aux sans‐abri. Il est prévu de créer des centres dits « de desserrement » à travers le pays pour accueillir des SDF atteints par le Covid‐19 mais qui ne présenteraient pas des symptômes nécessitant une hospitalisation. À Lyon, il est encore « trop tôt » pour détailler la mise en place d’un tel lieu, fait savoir la préfecture.
La galère pour se laver les mains
Près de la place de la République, un groupe s’est isolé derrière des grilles recouvertes de couvertures. Entre petits boulots, squats et périodes à la rue, Rémi n’attend plus grand‐chose des pouvoirs publics. « Les toilettes et les fontaines sont fermées, on ne peut pas faire boire nos chiens ou se laver les mains. On est obligés de galérer en demandant aux gens de nous sortir des bouteilles ou de les remplir chez des personnes qui veulent bien aider. On en a parlé à la police, qui nous a dit qu’elle ferait remonter l’info. On essaye aussi de trouver des douches, pour garder une hygiène correcte ».
Contactée, la mairie de Lyon indique que la fermeture des bornes fontaines n’est pas liée au confinement, mais à la période d’hivernage. Et que celles‐ci devraient être rouverte progressivement. Les bains douches demeurent ouvert tous les jours de la semaine, comme l’a précisé le maire de Lyon Gérard Collomb. En réalité, à Lyon, il n’en reste qu’un. Situé dans le 7e arrondissement, le lieu ne compte que 22 cabines.
Placés en face du Monoprix, Samir et Damien, récupèrent des sandwichs, des boissons et des fruits donnés par les passants sortis faire leurs courses. « Les gens sont quand même conscients que pour nous, c’est compliqué » souligne Samir. Pour l’instant, son petit groupe a un point de chute dans le 8e arrondissement, sous des tentes de fortune.
Les associations réduisent la voilure
Dans la ville, plusieurs centres ont dû fermer leur accueil de jour pour se concentrer sur les bénéficiaires déjà présents. Le centre d’hébergement de l’Armée du Salut de l’avenue Thiers (6e arrondissement) fonctionne en distribuant des paniers repas dans les chambres pour ses 300 pensionnaires. L’accueil de jour ne peut non plus être assuré dans certains sites du Foyer Notre‐Dame des Sans‐Abri dans les quartiers de Saint‐Jean et de la Croix‐Rousse. Les foyers d’Habitat et Humanisme ont suspendu l’accueil de nouveaux résidents jusqu’à nouvel ordre, ainsi que les visites extérieures, tout en continuant d’assurer la distribution de repas.
Même ralentissement pour les Petits Frères des Pauvres, qui maintiennent toutefois une veille téléphonique. Pour y voir plus clair, plusieurs acteurs lyonnais de l’aide sociale d’urgence ont entrepris un état des lieux en temps réel, et plusieurs structures actuellement fermée ou en réduction d’activité ont proposé de mettre à disposition des bénévoles et des salariés pour coordonner les actions entreprises ces jours‐ci.
Les maraudes se sont faites plus rares. Les associations avancent en équipe réduite et ont dû réduire leur activité. C’est le cas à la Banque alimentaire du Rhône. Située à Décines‐Charpieu, elle fournit les denrées alimentaires aux associations et tente de s’adapter à la crise sanitaire. « Je suis en liaison quotidienne avec la préfecture et le Centre communal d’Action social de Lyon, nous mettons en place un plan de continuité d’activité avec 130 associations partenaires pour continuer l’approvisionnement », explique le président, Patrick Chauvin. Comme de nombreuses associations d’aide aux plus précaires, la Banque fonctionne d’ordinaire avec une centaine de bénévoles, notamment pour conduire les camions qui récupèrent les produits alimentaires auprès de grandes surfaces. Mais nombre d’entre eux sont âgés et prennent un risque certain face au Covid‐19.
« Ça va être dur, mais on va y arriver »
« Heureusement, des jeunes sont là pour prêter main forte », poursuit Patrick Chauvin. C’est le cas de Clémence, salariée de 28 ans de la Banque alimentaire, qui se mobilise sans compter. « Nous avons maintenu une permanence de quatre heures ce jeudi pour les associations qui souhaitaient récupérer des produits secs comme des pâtes, du riz ou du lait. Nous fonctionnons en équipe réduite, et nous avons dû arrêter les ramassages de produits frais », explique‐t‐elle. « Certaines grandes surfaces ont été prises d’assaut et n’avaient parfois plus rien à nous donner. La semaine prochaine, nous allons travailler avec le Samu social de la Croix‐Rousse et Daunat, qui nous donne des sandwichs. Ça va être dur, mais on va y arriver » ajoute le président de la Banque alimentaire. Une fonction qu’il occupe lui‐même en tant que bénévole.
SDF verbalisés : le préfet demande une enquête
Comme beaucoup de jeunes à la rue, Samir compte avant tout sur les réseaux de la débrouille. « Quant on est à la rue, on se connaît entre nous, surtout ici. Moi je suis tombé dedans à 18 ans, j’en ai 24 », raconte le jeune homme arrivé à Lyon quelques mois plus tôt. « Si je meurs du virus, je n’ai rien à perdre et personne ne va pleurer. Je me dirai, cool, terminée la manche, plus besoin de me lever pour faire des sous. Depuis que je suis à la rue, je n’ai plus vraiment peur de la mort », soupire‐t‐il.
Au stress lié à la situation sanitaire, s’ajoute celui de la pression des pouvoirs publics. Jeudi, un article du Progrès évoquait les cas de plusieurs SDF verbalisés par des agents de la police nationale à Lyon, pour « non ‑respect des mesures de confinement ». Une sanction absurde, dénoncée notamment par le Samu Social qui a rapporté « quatre ou cinq cas » similaires au quotidien lyonnais.
Au lendemain de la publication de cet article, le préfet du Rhône, Pascal Mailhos a réagi dans un communiqué, en indiquant que « les faits, s’ils étaient avérés, sont contraires aux instructions données aux forces de l’ordre », et « seraient immédiatement annulés ». Actuellement, la préfecture affirme n’avoir pas été en mesure d’identifier des cas précis, mais indique qu’une enquête interne a été demandé au directeur départemental de la sécurité publique du Rhône.
Actualisation 20 mars, 21 heures - Ce vendredi soir, la préfecture de région, sur Twitter, a démenti l’information publiée par Le Progrès : « L’enquête interne diligentée à la demande du préfet a déterminé qu’aucune personne sans‐abri n’a été verbalisée ».
L’enquête interne diligentée à la demande du préfet a déterminé qu’aucune personne sans‐abri n’a été verbalisée.
Le préfet appelle à la responsabilité collective afin de ne pas relayer de #FakeNews en cette période de lutte nationale contre le #Covid_19 https://t.co/ORDJ1IAoNZ— Préfet de région Auvergne‐Rhône‐Alpes et du Rhône (@prefetrhone) March 20, 2020
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