La guerre anti‐fraude des transports lillois

Malgré une baisse récente, la fraude demeure beaucoup plus élevée dans la métropole de Lille qu’ailleurs en France. Alors que les travaux d’installation des premiers portiques ont débuté dans le métro, Mediacités revient sur cette lutte complexe, gros enjeu financier pour le futur exploitant du réseau.

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Autobus articulé à la porte de Douai sur le réseau Transpole de Lille. Photo: creative Commons/Billy69150

1/ Quelle est l’ampleur exacte du phénomène ?

Pour l’année 2016, le taux de fraude s’est élevé à 12,9 %. « Un score qui n’avait pas été atteint depuis 1995 », se félicitait la MEL en mai dernier dans un communiqué. En 2015, le chiffre était de 14,4 % ; en 2014, il culminait à 18,3 %. Cette année‐là, près d’un voyageur sur cinq circulait donc sans payer ! « Pour en arriver à un tel point, c’est qu’on a laissé la situation se dégrader », confie une source proche du dossier. Le contrat de délégation en cours exige pourtant de l’exploitant un taux inférieur à 10,5 %. En 2013, la collectivité a accepté de hausser d’un point le niveau exigé en tenant compte de l’ampleur de l’écart. Quatre ans plus tard, Transpole s’en rapproche peu à peu.

L’enjeu est d’importance pour le futur délégataire (Transpole‐Keolis, candidat à sa propre succession, ou son concurrent Transdev) qui sera choisi mi‐septembre par les élus métropolitains. Ceux‐ci espèrent toujours parvenir à ramener le taux de fraude dans les transports en commun au niveau de la moyenne nationale – soit entre 8 et 9 %. L’irritation a gagné certains élus lassés des mauvais résultats du réseau lillois mais aussi du non‐respect par le délégataire actuel de son obligation de contrôler 3,5 % du total des voyages. Avec 6,6 millions de voyageurs contrôlés en 2015 (un million de plus qu’en 2014), ce taux est désormais atteint.

A elles seules, les deux lignes du métro lillois transportent 112 millions de passagers par an. En 2016, 200 000 contrevenants ont été verbalisés. « Le contrat qui nous lie à la MEL précise un nombre de voyageurs contrôlés, pas un nombre de procès‐verbaux à dresser », tient à préciser Christophe Merlin, directeur contrôle et sécurité chez Transpole. Le taux de recouvrement est de 30 %. « Il ne tient pas compte des amendes payées sur place ou transformées en abonnement, poursuit‐il. De ce fait, on est bien meilleurs que les services fiscaux. »

2/ Que coûte la fraude et qui paie ?

Un point de fraude représente 800 000 euros annuels de perte de recette pour l’exploitant. En 2014, la perte a donc dépassé 14 millions d’euros ; deux ans plus tard, elle avoisine encore les 8 millions. Précision importante : les recettes commerciales sont budgétées en fonction d’un nombre estimé de voyageurs. Sur cette base, la MEL vote le montant de la subvention forfaitaire d’exploitation (SFE) qui demeure fixe tout au long des sept années du contrat (200 millions par an actuellement). Autrement dit, si Transpole prend en charge plus de voyageurs, les recettes sont pour lui ; mais si le trafic baisse – ou si la fraude augmente -, tant pis pour lui ! Le coût pour la MEL, lui, est connu et maîtrisé. Tout montant cumulé, l’usager paie un tiers du coût réel de son voyage, les deux‐tiers restants étant compensés par la collectivité.

3/ Qui fraude et pourquoi ?

Transpole mène régulièrement des études pour mieux cerner l’identité des resquilleurs. « Trois profils existent, explique Christophe Merlin. 80 % frauderont occasionnellement, 10 % ne le feront jamais et 10 % le feront toujours. » Ces proportions se retrouvent à l’identique dans les autres villes. En revanche, les conditions sociales des habitants, moins favorables qu’à Paris, Bordeaux, Nice ou Strasbourg par exemple, influent. « En 2004, la fraude a diminué grâce à la mise en place du ticket ZAP (qui permet de faire un court trajet de trois stations, ndlr) », rappelle un ancien élu. De même, lorsque la MEL a mis en place, en janvier 2016, une tarification sociale selon le quotient familial, il y a eu une explosion du nombre d’abonnements – ce qui n’a pu que contenir la fraude.

Mais les conditions économiques et la faiblesse du pouvoir d’achat n’expliquent pas tout. « Beaucoup de fraudeurs réguliers ne paieront jamais quel que soit le tarif en vigueur », estime Gilles Laurent, président de l’Union des voyageurs du Nord. « La génération « low‐cost », composée de jeunes pour qui payer est optionnel, monte en force », complète Christophe Merlin. Les resquilleurs sont plus nombreux le soir et le week‐end ; on relève aussi des pics de fraude (de + 0,2 à + 0,3 %) lors de la rentrée scolaire ou de la braderie de Lille.

Les raisons de la fraude occasionnelle sont multiples. Les principales ? Le manque de temps pour valider son titre, l’absence d’argent sur soi ou… la panne du composteur. « Il y a encore beaucoup de dysfonctionnements de la billettique, déplore Christophe Tattin, délégué syndical SUD‐Transpole. A tel point qu’on se demande si c’est un indicateur fiable. » Pour Gilles Laurent, il faut revoir le fonctionnement de ces automates mais aussi le règlement intérieur : « Certaines amendes sont dressées pour des motifs futiles ». Et de raconter le cas de cet usager qui écope d’une amende de 100 euros car son vélo pliable… n’était pas plié.

4/ Comment juguler la fraude ?

Le recrutement, il y a un an et demi, de Christophe Merlin, ancien commissaire divisionnaire de police, en tant que « monsieur fraude » de Transpole est un signe fort. Depuis son arrivée, la stratégie des contrôles s’est diversifiée. « On adapte le dispositif selon la fréquence des flux et on procède désormais à des contrôles simultanés sur l’ensemble du réseau », explique l’intéressé. Transpole compte 230 contrôleurs et en a embauché 17 l’an dernier. Une fois par mois, l’entreprise mène l’opération « bureaux vides » où jusqu’à 450 de ses salariés peuvent être mobilisés sur le terrain. Autre initiative qui a porté ses fruits : le lancement des contrôles en tenue civile afin de les rendre imprévisibles.

Le délégataire entend jouer les cartes de la répression et de la prévention. Les contrôles menés en amont des composteurs ont pour but de dissuader d’éventuels resquilleurs. Autre action à vocation dissuasive : les contrôles menés conjointement avec la police (405 en 2016), notamment pour éviter les passages en force ou les fausses identités. En moyenne, trois opérations par semaine sont programmées avec l’unité de la police dédiée aux transports (le SISTC). « En 2000, on nous avait promis une centaine de policiers pour l’ensemble du réseau, indique une source proche du dossier. Un chiffre jamais été atteint quel que soit le gouvernement en place. Pis ! En 2007, Nicolas Sarkozy a affecté une partie de cette police à la sécurité du TER. »

Transpole compte aussi sur certaines villes (Roubaix, Tourcoing, Marcq‐en‐Baroeul, La Madeleine, Haubourdin et Croix) avec qui des partenariats ont été signés. Il s’agit d’affecter des policiers municipaux sur des créneaux définis à l’avance, en renfort des contrôleurs. En décembre 2016, le président de la MEL, Damien Castelain, s’est engagé à créer une police métropolitaine des transports. Elle serait composée d’agents municipaux qui patrouilleraient en permanence sur l’ensemble du réseau. Mais un policier municipal ne peut intervenir que dans sa commune. Pour surmonter cette difficulté juridique, il faudrait que chaque commune signe des partenariats entre elles et avec l’exploitant. Ce qui est considérable. Roubaix et Tourcoing ont sauté le pas et expérimentent depuis mai une police intercommunale des transports. Damien Castelain a interpellé en mai dernier le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, pour pouvoir tester le dispositif sur l’ensemble du territoire.

Enfin, Transpole a durci le ton début 2017 et augmenté le montant des amendes. Désormais, voyager sans titre valable coûte 100 euros (contre 89,50 euros). Si le fraudeur paie directement au contrôleur, elle passe à 50 euros. Un moyen de recouvrer rapidement les PV. Le cadre légal a lui aussi été renforcé. Désormais, le fraudeur s’expose à six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende s’il cumule plus de cinq contraventions dans l’année.

5/ Les portiques, l’arme de dissuasion massive ?

Avec l’installation de portiques, la MEL dégaine l’artillerie lourde. Fini le métro ouvert dans les sept stations les plus fréquentées du réseau. La station Lille Europe sera la première équipée vers le mois de novembre, avant celles de Gare Lille Flandres, République Beaux‐Arts, Porte de Douai, Porte des Postes, Eurotéléport et Tourcoing Centre. Le coût des travaux s’élève à 9 millions d’euros et le retour sur investissement est prévu en cinq ans.

« Ce sera peut‐être efficace pour certains fraudeurs occasionnels. Mais il suffit de voir comment on contourne les portiques à Paris pour comprendre que cela n’arrêtera pas tout le monde, note Gilles Laurent. Et qu’en est‐il pour le bus ou le tramway ? » Christophe Merlin, lui, voit ce dispositif d’un bon œil : « Il permettra de libérer des effectifs pour assurer plus de contrôles sur les bus et les tramways. » Transpole espère ainsi voir chuter le taux de fraude à moins de 4 % pour le métro lillois d’ici 2020, date à laquelle les 60 stations devraient être équipées.

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Par Nadia Daki

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