Hauts‐de‐France, année 1 : ce qui a changé avec Bertrand

Une com' performante, un management ultra-centralisé et une vision stratégique qui fait encore défaut. Les points forts et les points faibles du bilan de la première année de Xavier Bertrand à la tête des Hauts-de-France.

France: Xavier Bertrand visite Calais
Xavier Bertrand, en visite à Calais, le 17 février 2016. Le président des Hauts-de-France a réclamé sans relâche le démantèlement de la "jungle". ©Sarah Alcalay/ Sipa

Début novembre, Xavier Bertrand en personne a remis des médailles du travail à des agents de la Région Hauts‐de‐France. Un vulgaire « cancan » que cette information‐là ? Non ! Un exemple choisi par Alexandre Brugère, le directeur de cabinet du président, pour illustrer l’art nouveau et la manière particulière de gérer la collectivité, en vigueur depuis l’arrivée du nouveau patron de la Région. Les décorés n’en sont pas revenus, paraît‐il.

Autre instantané, capté lors d’une rencontre avec la presse en septembre. Xavier Bertrand se laisse aller à un premier regard rétrospectif sur le mandat. «  La grande Région a un nom et un logo, se réjouit‐il d’abord. Nous avons lancé des nouvelles politiques : aides aux entreprises et aux demandeurs d’emploi, développement du tourisme, culture, aide à la garde d’enfants, plan de construction d’Arenas 1, installation d’antennes locales dans les territoires…  » Une énumération « à la godille », dans laquelle il est difficile de distinguer une hiérarchie et une cohérence.

La méthode Bertrand : 
Tout ou presque passe par lui

Ainsi apparaît la méthode Bertrand. Quand ses prédécesseurs affichaient des « visions » et évoquaient de grands desseins, voire des jours radieux pour une région cœur et poumon de l’Europe du Nord‐Ouest, le président des Hauts‐de‐France parle « pragmatisme », « efficacité », « proximité ». Plutôt qu’un tapis rouge parfaitement tissé, il déroule un patchwork d’intuitions et de résolutions, prenant soin de braquer les projecteurs de la communication sur chaque pièce.

Cette attitude en déconcerte beaucoup. Car la réforme territoriale et son cortège de loi aux noms ésotériques (Maptam 2, NOTRe 3…) ont  renforcé la position et les compétences des Régions dans l’édifice institutionnel français… « L’exécutif LR‐UDI ne s’était pas préparé à agir dans cette nouvelle dimension et il n’en a toujours pas pris la mesure, juge un vieux routier de l’administration régionale. Xavier Bertrand n’a pas compris quel formidable outil – quelle « Rolls » – il a entre les mains. » Vraiment ? Difficile de croire à une telle erreur d’appréciation de la part d’un homme politique aussi avisé.

La région « comme à la maison »

Xavier Bertrand sait évidemment dans quel contexte il évolue. Mais il a choisi de chevaucher la collectivité à sa main. « Je serai le maire de notre grande Région » : la promesse constituait la première ligne de son programme électoral ; Xavier Bertrand la met en application à la lettre. « Tout m’interpelle », proclame‐t‐il. Un jour au chevet d’une aciérie menacée de fermeture, l’autre au cul des vaches dans un élevage laitier, le troisième en ligne avec un chômeur. Sans oublier de ferrailler avec l’État sur la fiscalité ou le pilotage du projet de canal Seine‐Nord. Ni d’aller saluer les agents techniques d’un lycée…

Avec Xavier Bertrand, c’est la Région « comme à la maison » ; les Hauts‐de‐France comme à Saint‐Quentin, dont il fut premier magistrat jusqu’au début 2016. Du pulsionnel, de l’immédiat, du voyant. « Beaucoup d’improvisation et d’approximation », tranche Dominique Plancke, porte‐parole d’EELV à Lille. Bien sûr, la crise des finances publiques affecte l’institution et oblige à une recherche d’économies tous azimuts. L’heure n’est vraiment pas aux investissements flamboyants. Et puis, il y a le défi de la fusion du Nord‐Pas de Calais et de la Picardie dans une unique entité…

« L’ex‐Région picarde craignait d’être absorbée tandis que l’ex‐Région Nord‐Pas de Calais redoutait une alternance politique qu’elle n’avait jamais connue, expose Brigitte Fouré, maire d’Amiens et vice‐présidente chargée de l’opération. Onze mois après, toutes les inquiétudes n’ont pas disparu mais nous faisons ce qu’il faut pour parvenir à un équilibre satisfaisant. » Statuts, régimes, pratiques : un nombre infini de dispositions doit être harmonisé. Et les agents sont encore entre deux… os.

Un management ultra‐centralisé

Cette première année d’exercice aura été marquée par une volonté de contrôle assumée et un management ultra‐centralisé. Le « maire des Hauts‐de‐France » est aussi son secrétaire général, son directeur de la communication, son responsable des services techniques, son comptable, son commissaire aux comptes. Et son directeur des ressources humaines. « Il voit toutes les propositions d’embauche ou de mutation », confie sans gêne son entourage. Tout ou presque passe par Xavier Bertrand. Dans les murs, cette « mainmise » agace, voire indispose. Les remontées systématiques au sommet ralentissent les prises de décision. « Nous manquons de parapheurs, rapporte une chargée de mission. Tous ceux que nous avions sont coincés au cabinet ».

C’est de l’extérieur que proviennent les appréciations les plus positives. « La nouvelle Région est proche du développement économique, estime le chef d’entreprise Pascal Boulanger. Le président est ouvert. Il fait ce qu’il dit. Il est très présent, il s’engage. C’est un beau début de parcours. » Celui qui est devenu récemment président de la puissante structure patronale Entreprises et cités en a profité pour glisser dans la poche de Xavier Bertrand une liste d’une trentaine d’idées pour la région…

Les éloges viennent parfois de là où on ne les attend pas forcément. Même s’il n’est pas d’accord avec toutes les décisions prises – voire réservé sur la compétence de certains élus -, le secrétaire régional de la CFDT Pascal Catto apprécie d’être écouté dès qu’une difficulté se présente dans une entreprise. « Xavier Bertrand nous a reçus plusieurs fois. On sent chez lui l’expérience de l’ancien ministre du travail. » Dans l’opinion publique, ça ne va pas mal non plus pour le « maire » Xavier Bertrand, merci pour lui ! Selon un sondage 4 réalisé fin octobre, 58 % des personnes interrogées estimaient que le Conseil régional avait accompli un bon travail depuis son arrivée et 63 % jugeaient que le président de l’institution avait « envie de servir les Hauts‐de‐France ».

La référence au discours de Xavier Bertrand au soir du deuxième tour des régionales, jugé « digne » et « républicain », revient souvent dans les conversations. Pourtant, l’élu avait commis un gros impair ce soir‐là. En exaltant « la victoire des gens du Nord », il envoyait par‐dessus bord le million d’habitants qui n’avait pas voté pour lui. Mais il est vrai qu’en matière électorale, il n’est plus interdit de se montrer désagréable…

Les obsessions du président

Jamais la Région n’a adressé autant de communiqués à la presse qu’en cette année 2016. Le cœur vert et bleu du logo Hauts‐de‐France a battu pour l’agriculture (sous forme de plusieurs plans de secours), pour la troisième révolution industrielle (qu’il faut rendre plus opérationnelle), pour les trains menacés, les quartiers à rénover, le numérique, les pêcheurs à pied ou encore la chasse, grande vedette d’une exposition « informative et pédagogique » au siège de la collectivité. Mais ce ne sont là que vétilles au regard des obsessions sur lesquels la « team XB » a concentré ses efforts : l’emploi, Calais et… la lutte contre ses nouvelles bêtes noires.

L’emploi, une idée fixe

Pas une compétence de la Région, aujourd’hui, qui ne soit réorientée vers ce Graal : l’emploi. Logique, s’agissant de la formation permanente ou de l’accompagnement des entreprises. Logique encore d’intervenir sur la mobilité, à travers une aide aux déplacements de salariés. Plus osée, l’ambition de faire « mieux connaître l’entreprise » dans les lycées – aux yeux des enseignants en tout cas. Ou de lier création d’emploi et tournage de films en Hauts‐de‐France.

Tout était pourtant dans le programme de 2015. Y compris la plate‐forme « Proch’emploi », qui devait faire plus et mieux que Pôle emploi. Quelques dizaines de salariés régionaux volontaires ont été formés à la hâte pour orienter par téléphone les Nordistes ou Picards en déshérence professionnelle. On allait remettre à l’emploi 60 000 chômeurs en neuf mois. A la date dite, Xavier Bertrand a indiqué que le cap n’était pas atteint ; il s’en fallait de 9 478 personnes, sans qu’on sache comment le décompte avait été précisément opéré. « Afficher un objectif chiffré a été une erreur, a‑t‐il confessé. Je n’en fixerai plus ». Pourquoi ? « Les gens s’en fichent. Ils veulent qu’on les considère comme des personnes, pas comme des numéros. » Mais la croisade pour l’emploi continue, bien sûr.

Calais, le champ de manœuvre

Daniel Percheron, président du Nord – Pas de Calais pendant quinze ans, s’est toujours soigneusement tenu à l’écart du casse‐tête calaisien, laissant ses alliés Verts soutenir les associations d’aide aux migrants et organiser un modeste réseau « d’élus hospitaliers ». Xavier Bertrand, lui, s’y est collé. À sa façon. Prenant la défense des habitants du Calaisis bien avant de déplorer le sort tragique des migrants. Tentant de provoquer une renégociation des accords du Touquet sur la gestion de la frontière entre la France et la Grande‐Bretagne. Réclamant sans relâche le démantèlement de la jungle et finissant par l’obtenir.

Alors que l’évacuation du plus grand bidonville d’Europe débute le lundi 25 octobre, Xavier Bertrand n’a pas hésité à bousculer son agenda pour se rendre en voiture à Calais, trois jours plus tard, afin de « constater l’état d’avancement » de l’opération. Et d’appeler « à gérer au plus vite l’après‐démantèlement »…

Les Verts, nouvelles bêtes noires

Xavier Bertrand s’en défend. Il ne cherche pas à poursuivre les écologistes de ses foudres. « Seules les associations qui veulent s’opposer à la chasse verront leur avenir en pointillé », soutient‐il. Il y a plus clair comme sentence. Mais elle illustre bien le sort fait aux collectifs et groupements environnementalistes agissant depuis plusieurs années avec le soutien de la Région. Depuis le changement de majorité, ils avancent dans un épais brouillard. « Ils ignorent ce qu’on attend d’eux, ce qu’on leur reproche éventuellement et n’ont pratiquement pas d’information sur les financements qui pourraient leur être accordés », résume Xavier Galand, directeur de la Maison régionale de l’environnement et des solidarités, à Lille.

Les élus de Chasse Pêche Nature et Traditions, auxquels Xavier Bertrand a confié la politique environnement, voient ces militants écologistes – « urbains », qui plus est – comme des ennemis. Leur objectif ? Mettre fin à « l’exclusion dogmatique et l’humiliation gratuite » qui leur auraient été imposées jusqu’alors. En face, les associations de défense de l’environnement ont la détestable impression d’être victimes d’un règlement de comptes. Plusieurs d’entre elles se préparent à licencier des salariés en raison de la baisse de leurs subventions. Tandis qu’à l’intérieur de l’institution régionale, les politiques correspondantes sont tronçonnées et réparties entre diverses directions. Dans les Hauts‐de‐France, le vert a clairement changé de nuance.

Une situation financière préoccupante

Dès l’entame, l’attelage LR‐UDI a placé son mandat sous le signe des économies.      « Je leur souhaite bon courage ! » commente Rudy Elegeest, qui fut vice‐président aux finances du Nord‐Pas de Calais jusqu’en 2015. Nul persiflage dans sa formule :    « Je suis bien placé pour savoir que le budget régional est incroyablement rigide ». Dans le camp de Xavier Bertrand, on évite de faire le procès public des prédécesseurs. Mais les reproches émergent assez vite sur le ton de la confidence.  « Ils ont dépensé et investi de manière inconséquente », souffle‐t‐on dans l’entourage présidentiel.

Le verdict du cabinet Ernst et Young (EY), mandaté dès le début du mandat pour expertiser les comptes, est radical : si rien n’était fait, la dette de la collectivité atteindrait un niveau tel en 2021 qu’il faudrait 253 ans pour la rembourser ! C’était courir à la mise sous tutelle par l’État… D’autant que les disponibilités fiscales sont minces, que les dotations de l’État sont en baisse et que la fusion du Nord‐Pas de Calais et de la Picardie est coûteuse, au moins à court terme.

Au pied de ce « mur budgétaire », on trouve Jean‐Pierre Bataille, simple conseiller délégué aux finances ; et un tandem formé par Alexandre Brugère, le directeur de cabinet, et Audrey Desmaretz, directrice générale adjointe, naguère en poste à Saint‐Quentin. Sans oublier Xavier Bertrand en personne, évidemment. Fidèle à sa manière martiale, le président a ordonné des coupes sans tarder : dans la rémunération des élus, dans les frais de bouche, dans le parc automobile. Sans craindre de se contredire parfois en distribuant, ici ou là, quelques mesures de soutien aux employeurs d’apprentis ou aux agriculteurs.
Xavier Bertrand a ensuite tracé un plan quinquennal de redressement. Ses grandes lignes ? Ramener le délai de désendettement de la Région à 9 ans, contenir les emprunts à un milliard d’euros maximum sur le mandat et garantir une capacité d’autofinancement supérieure à 250 M€ par an. Pour cela, l’institution économisera près de 400 M€ d’ici à 2021. Le budget investissement sera réduit de 166 M€ en cinq ans. Certains engagements antérieurs, comme la construction d’internats de lycées, seront abandonnés. Quant au budget de fonctionnement, il baissera de 232 M€ sur la mandature, promet l’exécutif, dont 100 M€ dès l’exercice 2017.

Usage de faux

Jusqu’où glissera la faux ? Les associations de protection de la nature, de solidarité internationale, d’éducation populaire, ont déjà senti le froid du métal. Les dotations 2017 aux lycées ont été révisées et « redispatchées ». Du coup, certains établissements verront leurs moyens diminuer de 30 % l’an prochain. « Les équipes d’enseignants concernées devront renoncer à des activités pédagogiques et sorties culturelles, estime Thierry Quiétu, secrétaire régional Hauts‐de‐France de la FSU. Nous redoutons aussi un transfert de fonds régionaux au profit de l’enseignement privé et la fin d’aides accordées à des élèves au regard de leur situation sociale. »

Dans les lycées, comme dans les sièges lillois et amiénois de la collectivité, point de suppressions de postes dictées par une logique comptable, assure Alexandre Brugère. Mais le challenge du mandat sera « la gestion prévisionnelle des effectifs », prévient la pilote de la fusion, la vice‐présidente Brigitte Fouré : « Il faudra s’occuper des problèmes de santé des ouvriers et techniciens effectuant des tâches de manutention ou d’entretien dans les lycées. Et surtout, anticiper les fins de carrières : nous ne pourrons pas remplacer tous les personnels partant à la retraite. »

Des agents en fusion

Si le statut de fonctionnaire au Conseil régional a pu apparaître comme une sinécure, ce n’est plus le cas. « Depuis deux ans, l’ambiance est très lourde dans les services », déplore Benoît Guittet, représentant de la CFDT, première organisation syndicale. Le spectre d’une défaite de la majorité en place hantait les couloirs ; et plus encore, l’hypothèse d’une prise de pouvoir du Front national. « L’élection de Xavier Bertrand a été vécue comme un soulagement par beaucoup d’agents, constate le permanent. Mais le répit a été de courte durée. »

Au cours d’un premier semestre bruissant de rumeurs sur une fusion expéditive entre les régions Nord et Picardie, l’anxiété est remontée dans les lycées (5 200 techniciens environ) et dans les sièges régionaux de Lille et Amiens (qui rassemblent près de 2 800 salariés). « Beaucoup de collègues sont dans le malaise. D’autres n’ont plus de directives et se retrouvent sans rien à faire », témoigne une adhérente du syndicat SUD.

Les négociations sur la fusion sont néanmoins jugées globalement constructives.     « Les syndicats réclament bien sûr le meilleur pour les personnels, constate Brigitte Fouré, la vice‐présidente chargée du grand rapprochement. Mais je leur ai dit que nous ne pourrions pas nous aligner sur les dispositions les plus favorables des deux anciennes collectivités. » En tant que fonctionnaires, les agents de la Région n’ont pas à craindre de baisse de revenus. En revanche, ils s’interrogent sur le devenir de leurs missions. Car la fusion se double d’une restructuration.

« Beaucoup de politiques doivent être toilettées et priorisées », expose Brigitte Fouré. « On réorganise sans énoncer de projet pour l’institution, se plaint SUD. C’est la charrue avant les bœufs. » Un nouvel organigramme a été établi cet automne. Des directeurs « préfigurateurs » ont été nommés pour redéfinir des feuilles de route avec les salariés. La machine devrait être en ordre de marche au printemps 2017. Pour autant, les Nordistes et les Picards ne s’embrasseront pas sur la bouche.   « Depuis onze mois, les chicailleries entre les deux entités sont incessantes », lâche un cadre lillois. En bon ch’timi, il rend l’autre bord responsable du fossé : « La Picardie n’a jamais constitué un territoire à proprement parler et les concurrences internes y ont toujours été fortes. Nos collègues d’Amiens sont marqués par cette absence de structuration. »

 

Les coulisses
Jean‐Michel Taccoen, conseiller Chasse Pêche Nature et Tradition (CPNT) délégué à la biodiversité, n’a pas donné suite à notre demande d’interview.
Les vice‐présidents Valérie Létard, Nicolas Lebas, Guillaume Delbar, François Decoster, Karine Charbonnier n’ont pas souhaité répondre à nos questions, ou n’en ont pas trouvé le temps.

 

 

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Temps de lecture : 10 minutes

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Par Bertrand Verfaillie

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