Qu’est-ce qu’on mange ? Cette question, que nous nous posons deux à trois fois par jour, est le point de départ de notre grande enquête collaborative sur l’alimentation, dont nous publions les premiers articles ce lundi 30 août. Cette question, nous l’avons posée à nos lecteurs – à vous – dès le mois de mars dernier et nous en avons débattu avec un groupe d’experts constitué pour l’occasion [si vous souhaitez en savoir plus sur notre démarche, nous vous expliquons tout sur ce billet de blog : « 512 témoignages, 20 experts : comment nous avons enquêté sur l’alimentation locale »]
À l’heure d’une pandémie mondiale et après des confinements successifs, à l’heure des « circuits courts » et des repas livrés à domicile et à vélo, comment s’alimente-t-on, en 2021, quand on vit dans une grande ville ? Notre enquête a confirmé certaines intuitions : l’engouement pour le « local » jusque dans les rayons des supermarchés, au prix parfois de quelques arrangements avec ce concept très flou ; l’impact de la crise du Covid‐19 sur nos habitudes en cuisine ou le retour en force du « fait maison » ; la ségrégation sociale qui traverse nos assiettes et la difficulté des magasins bio à attirer telle ou telle population. Ces phénomènes feront l’objet d’articles publiés dans les prochaines semaines sur Mediacités.
Mais – et c’est tout l’intérêt d’un travail journalistique au long cours – nos six mois de recherches, de reportages et d’interviews nous ont également permis de découvrir d’autres faits ou tendances que nous ne soupçonnions pas. Nous en avons sélectionné quatre. Certains donneront également lieu à des enquêtes à lire prochainement dans nos pages.
1/ Un repas à domicile émet deux fois moins de CO2 qu’un repas consommé à l’extérieur
C’est l’un de nos experts, François Saint‐Pierre, membre du Conseil de développement local (Codev) de Balma, près de Toulouse, qui nous a soufflé l’info : manger à la maison émet deux fois moins de CO2 qu’un repas au restaurant. De fait, une étude de 2019 réalisée entre autres par le CNRS et le Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired) calcule ce rapport de un à deux en agrégeant l’énergie utilisée pour la préparation des plats, mais aussi pour l’éclairage et le chauffage de l’endroit où on les avale.
« Il est intéressant de constater qu’une large part, environ 40–45 %, des consommations et des émissions de CO2 associées à la prise de repas hors domicile provient des usages énergétiques non spécifiques à la production de repas. Il s’agit du chauffage, de l’eau chaude sanitaire, de l’éclairage des établissements dédiés en totalité à la fonction alimentation : restaurants, cantines, cafés », soulignent les auteurs. Mais même en ne considérant que l’énergie dépensée pour la préparation du déjeuner ou du dîner, l’empreinte écologique d’un repas à domicile se révèle deux fois moins importante.
2/ D’un point de vue écologique, manger local n’est pas forcément une bonne idée
Voilà une idée particulièrement contre‐intuitive ! Elle a émergé lors d’une discussion avec nos experts consacrée au coût écologique de nos repas. Cuisiner et manger des aliments produits près de chez soi n’est pas un gage de protection de l’environnement. Eva Genel, cofondatrice de l’association Fig qui promeut une alimentation durable, détaille : « Deux aspects sont à prendre en compte pour le local : d’abord, 90% de l’empreinte écologique de l’alimentation est liée à sa production et seulement 10% à son transport — cela n’empêche pas que le transport routier soit le plus gros émetteur de C02 en France. Ensuite, ce qui pèse le plus dans l’empreinte écologique, c’est la logistique du dernier kilomètre. Si chaque citadin prend sa voiture pour aller chercher ses légumes, ce n’est pas efficient. »
Conclusion : « Manger local n’a pas d’impact environnemental positif. » Sa préconisation : changer nos habitudes alimentaires. « Tous les aliments d’origine animale ont un impact au moins dix fois supérieur à un légume, entre les déjections qui émettent du CO2 et du méthane, le chauffage des bâtiments agricoles ou des externalités négatives comme les algues vertes en Bretagne », assène Eva Genel.
Nous consacrerons, dans quelques semaines, une enquête à part entière au coût écologique du manger local mais ce mot d’introduction ne serait pas complet sans signaler deux autres notions présentes tout au long de notre travail préparatoire. Premièrement, à chacun sa définition du « local ». « Même Metro [le groupe de supermarchés] parle de local, mais cela va jusqu’à 300 kilomètres », s’est agacé, lors d’une de nos réunions d’experts, Julien Kebalo, restaurateur à Toulouse, qui connaît personnellement les producteurs de tous les aliments qu’il cuisine.
Deuxièmement, gare aux effets contre‐productifs des injonctions. « On peut soutenir l’idée d’une relocalisation des filières quand c’est possible, mais attention car le discours sur l’alimentation locale et écologique illustre des ruptures générationnelles et sociales : ils ne sont pas neutres et émanent d’une élite urbaine et éduquée qui s’est réapproprié ces questions, avertit notre autre experte Dominique Paturel, chercheuse à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) à Montpellier. Les quartiers populaires en ont marre qu’on leur dise comment manger ou de consommer moins de viande sans qu’on prenne en compte la variable financière. »
3/ La restauration connectée dynamite la restauration collective
« Chaque année, j’observe que de plus en plus d’élèves sèchent la cantine pour se faire livrer par Deliveroo leurs déjeuners devant le lycée. » Florent Busson est gestionnaire du lycée Victor Hugo à Lunel (Hérault). Il compte parmi les experts qui nous accompagnent pour notre enquête sur l’alimentation. Sa remarque, lors d’une séance de travail consacré au « manger ensemble », nous a interpellés. Nous autres journalistes de Mediacités avons probablement quitté les bancs du lycée depuis trop d’années, mais nous n’avions pas conscience que l’application au kangourou et ses consœurs s’invitaient jusque dans les cours de récréation.
Ce n’est pas le seul endroit où la restauration collective est chahutée. En entreprise également, la traditionnelle cantine n’a plus la cote. La faute au développement du télétravail bien sûr, mais aussi à l’essor des frigos connectés que de plus en plus d’entreprises proposent à leurs salariés. Au détriment de la convivialité ? Pas sûr… La réponse n’est pas aussi simple qu’attendue comme vous pourrez le lire dans un article à paraître la semaine prochaine.
4/ Les confinements ont fait exploser la consommation de saucisses et de lardons !
L’info provient d’une note conjoncturelle publiée en juin dernier par France AgriMer, l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer, potassée lors de nos recherches. En 2020, les Français se sont rués sur certains produits carnés, dont les saucisses, les lardons et les steaks hachés. Tout particulièrement pendant les confinements. Lors du premier, au printemps 2020, les achats de lardons ont bondi de plus de 25% par rapport à la même période l’année précédente ; +35% pour les saucisses.
La raison est simple : fermeture des restaurants et des cantines scolaires oblige, nous nous sommes tous mis à cuisiner à la maison plus qu’en temps normal [lire à ce propos notre enquête sur le fait‐maison] et donc à davantage remplir nos frigos. L’an dernier, les dépenses alimentaires des ménages ont augmenté en moyenne de 3,4%. Mais l’engouement pour les quelques produits carnés cités plus haut masque une autre tendance : en 2020, et pour la deuxième année consécutive, la consommation totale de viande a reculé (84,5 kilos par habitant contre près de 88 kilos en 2018). Le Covid‐19 a‑t‐il favorisé les conversions au véganisme ? Que nenni ! La raison est là aussi à chercher du côté de la fermeture des restaurants et autres lieux de restauration collective où, malgré les polémiques sur les « menus sans », la viande occupe toujours une place de choix.
Se nourrir dans nos villes en 2021
L’article que vous venez de lire est publié dans le cadre de la grande enquête collaborative « #DansMaVille – Se nourrir dans nos villes ». Après l’embourgeoisement des quartiers populaires et les initiatives locales nées de la crise du Covid‐19, la rédaction de Mediacités a réédité son dispositif éditorial innovant pour enquêter sur notre alimentation en 2021, en faisant appel à ses lecteurs et à une vingtaine d’experts. D’ici à mi‐octobre, Mediacités publiera une trentaine d’articles sur le contenu de nos assiettes.
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