C’est une petite église de briques rouges bordée par les jardins ouvriers nichée au fin fond du quartier de l’Épeule à Roubaix. Un attroupement s’est formé autour d’un feu où les paroissiens viennent allumer leurs cierges. « Quelque chose de très rare se déroule aujourd’hui, assure une participante. Une musulmane se convertit au catholicisme. » Voici trois ans que Loubna Ben Faour Fawaz attend ce moment. Son mari et l’un de ses fils, tous musulmans, l’accompagnent dans cet instant qui fait basculer sa vie. Un peu la leur aussi. « Mon mari m’avait promis qu’il viendrait à mon baptême », sourit Loubna. Alors qu’elle reçoit le sacrement et qu’un filet d’eau bénite coule sur son front, son émotion est palpable. « Merci à tous. Aujourd’hui, je me sens entière », glisse‐t‐elle à l’assemblée.
Dans les faits, les conversions au catholicisme ne sont pas si rares à Roubaix. Le doyenné en recense une dizaine par an. Il est en revanche plus difficile de connaître le nombre de ralliements aux autres religions. Car si la conversion chrétienne s’accompagne d’un rituel bien balisé, ce n’est pas le cas pour l’islam ou le bouddhisme qui ménagent, eux, des arrivées discrètes. En France, le ministère de l’Intérieur évalue à plus de 10 000 le nombre annuel de convertis. Plusieurs milliers se tournent vers l’islam, 4000 à 7000 choisissent les Églises chrétiennes (surtout évangélique ou catholique), d’autres optent pour le bouddhisme ou le judaïsme. A Roubaix, ville aux cent nationalités où plus de 40 % de la population serait de sensibilité musulmane, le melting‐pot religieux entraîne de nombreux passages d’une confession à l’autre.
A l’Epeule, la période du ramadan est toujours un moment particulier. Ce quartier est l’un des plus défavorisés de la ville. D’après les chiffres officiels, 62 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et 58 % des résidents habitent en logement social. Ici, pendant le mois du jeûne, les snacks, cafés, boucheries hallal et autres boutiques de téléphonie sont désertés en journée. Un peu avant la tombée du jour, l’ambiance revient. Des particuliers ouvrent leurs coffres remplis de victuailles, cuisinées à la maison ou ramenées du bled, qu’ils proposent aux badauds. Chez les commerçants réguliers, les files d’attente se prolongent jusque dans la rue. Le ramadan est un voyage…
« J’ai fait mon premier ramadan à l’âge de quinze ans, raconte Youssef, chéchia sur la tête. L’état de jeûne est propice à l’étude et à l’introspection ». A l’époque Youssef se prénommait encore… Eric*. Mais à force de côtoyer des musulmans, il s’est laissé convaincre. « J’ai fréquenté la mosquée avec mes amis le vendredi. Si on me demandait « tu es musulman ? », je répondais « Inch’Allah ». » Youssef habite à Roubaix depuis un an et demi. « Ici, je me sens à l’aise, avec ma djellaba. Personne ne me regarde de travers ». Marquée par plusieurs vagues d’immigration depuis le début du XXe siècle, la ville est un incroyable creuset de pratiques religieuses très vivantes, qui servent de repères à d’innombrables communautés.
« 20 à 25 % de notre communauté évangélique est issue du monde maghrébin »
L’une des plus vivantes est la communauté évangélique. La douzaine de paroisses évangéliques de Roubaix rassemble, en moyenne, une quarantaine de personnes. Parmi elles, plusieurs paroisses dites ethniques (qui regroupent des membres issus du même pays ou partageant la même langue). « Notre mission est de faire connaître notre foi et de nous tourner vers l’extérieur pour inviter des personnes à nous rejoindre, explique Nicolas Rudi, pasteur de l’église baptiste. Lors de nos cultes, concerts ou conférences, nous accordons une place importante aux témoignages. Les fidèles racontent comment ils ont trouvé dans la foi une réponse à leurs problèmes quotidiens. Ce discours doit être accessible, authentique. »
Nicolas Rudi accueille 5 à 6 convertis tous les ans. Depuis son arrivé, il y a sept ans, sa paroisse est passée de 90 à 120 baptisés, ce qui en fait …