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Peut«  »on s’affranchir du droit européen sans sortir de l’UE, comme l’affirment plusieurs candidats à la présidentielle ?

Analyse

Jean‐Luc Mélenchon, Marine Le Pen, Eric Zemmour voire Valérie Pécresse prétendent qu’il est possible de restaurer la pleine souveraineté juridique de la France tout en restant dans l’Union européenne. Veracités 2022 passe au crible les solutions envisagées.

En résumé :

  • Le droit européen prime sur la législation française en vertu de traités internationaux.
  • Aucun traité international ne peut être signé s’il n’est pas conforme à la Constitution.
  • Un pays peut contester un texte européen qui serait contraire à son « identité constitutionnelle ».
  • Réviser la Constitution pour y insérer des dispositions contraires aux valeurs de l’UE contredirait un engagement international de la France.
  • Il n’existe pas de procédure d’exclusion d’un pays en cas de non‐respect du droit européen.
  • Des sanctions peuvent en revanche être prises, notamment financières.
  • Actionner « l’option de retrait de l’UE » serait très compliqué.

Faire la guerre à l’Union européenne (UE) plutôt que la quitter ? Lors de cette campagne présidentielle, pas moins de quatre candidats affirment leur volonté d’appliquer leur programme même s’il devait s’avérer contraire à la loi européenne.

En cinq ans, le changement d’approche est frappant. Jean‐Luc Mélenchon, par exemple, évoquait la possible sortie de l’UE, son fameux « plan B ». « Il faut se rappeler qu’en 2017 nous sortions à peine de la crise de 2008 pour laquelle nous souffrions encore de la politique d’austérité économique de l’UE, souligne Christophe Bouillaud, professeur en sciences politiques à l’IEP de Grenoble. Aujourd’hui, la sortie de l’Europe semble complètement fantasmatique. »

Conséquence ? Les propositions censées permettre de restaurer la souveraineté juridique de la France tout en restant dans l’UE foisonnent. Veracités 2022 vous livre les clés d’un débat important, propre à cette élection présidentielle.

Qui sont les candidats prêts à défier le droit européen ?

Jean‐Luc Mélenchon. Le candidat LFI entend appliquer son programme « quoi qu’il arrive, quoi qu’il en coûte ». Et ce même si des mesures contreviennent au droit européen. « Nous dirons : “Nous n’appliquons plus telle règle de l’Union européenne” », a‑t‐il assuré le 3 janvier sur France Inter.

Marine Le Pen. La représentante du RN souhaite inscrire « la supériorité du droit constitutionnel français sur le droit européen (…). Tous les textes européens qui sont contraires à notre loi suprême [n’auront] pas d’application dans notre droit français. », a‑t‐elle déclaré au micro de France Inter le 19 janvier.

Éric Zemmour. Le chef du parti Reconquête ! veut stopper l’immigration en mettant fin à Schengen. « Personne ne sera en droit de s’opposer à la volonté du peuple français, a‑t‐il affirmé lors d’un discours à Calais le 19 janvier. Le Parlement français et donc le peuple français auront à nouveau toujours le dernier mot. »

Valérie Pécresse. La prétendante LR conteste la procédure de sanction ouverte par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) à l’encontre de la Pologne. « L’Europe exerce son magistère dans le cadre des traités qui sont au‐dessus de nos lois mais ne peuvent pas être au‐dessus de nos identités constitutionnelles, ni celle de la Pologne, ni celle de la France », a‑t‐elle dénoncé en octobre dernier.

Le droit européen prime‐t‐il sur les lois nationales ?

L’Union européenne est juridiquement créée par le traité sur l’Union européenne signé à Maastricht en 1992 et complété par le traité de Lisbonne de 2007. Les institutions européennes adoptent des actes législatifs, en accord avec ces traités, que les États membres doivent ensuite mettre en œuvre. Cela veut‐il dire que le droit européen prime sur les lois nationales ?

La question est depuis longtemps réglée car le droit national doit se soumettre aux traités internationaux. 

« La question est depuis longtemps réglée car le droit national doit se soumettre aux traités internationaux », tranche Pierre‐Yves Monjal, professeur en droit public, spécialisé en droit européen à l’Université de Tours. Cette hiérarchie est reconnue par l’article 55 de la Constitution française, confirmée par la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel en 1975 et définitivement validée par le Conseil d’Etat par le célèbre arrêt Nicolo de 1989. C’est pourquoi Eric Zemmour affirme qu’il révisera cet article en cas d’élection afin de pouvoir « agir notamment en matière migratoire ». Mais une telle révision – à supposer qu’elle soit possible – « remettrait en cause toute la construction européenne », estime le site de fact‐checking juridique Les Surligneurs.

Du point de vue européen, cette supériorité a été affirmée par la Cour de Justice européenne dans un arrêt non moins célèbre de 1964 qui explique que « le droit européen a une valeur supérieure aux droits nationaux des États membres » qui « ne peuvent donc pas appliquer une règle nationale qui serait contraire au droit européen ». Il s’agit de « garantir que le droit de l’UE protège de manière uniforme les citoyens », explique le portail juridique de l’UE. Et d’éviter aussi qu’émerge une Europe « à la carte ».

Le droit européen prime‐t‐il sur la Constitution française ?

Marine Le Pen affirme vouloir « inscrire la supériorité du droit constitutionnel français sur le droit européen ». Une proposition qui peut paraître curieuse car la suprématie de la Constitution sur les traités internationaux a été clairement affirmée par le Conseil d’État dans une décision qui a fait date en 1998.

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Direction de l’information légale et administratrive – La Documentation Française

« Si un traité est contraire à la Constitution, la seule possibilité pour le ratifier est de la modifier, comme ce fut le cas pour le traité de Maastricht, explique en Pierre‐Yves Monjal. Il prévoyait notamment d’accorder aux citoyens européens le droit de vote aux élections municipales alors que celui‐ci était jusqu’ici réservé aux citoyens français. » La Constitution de 1958 a donc été modifiée pour que le traité soit rendu conforme, soit une stricte application de son article 54 destiné justement à régler ce type de conflit.

L’identité constitutionnelle à la rescousse

Reste que ces dispositions concernent les accords internationaux non encore signés : la Loi fondamentale leur est bien supérieure. Pour les lois prises en vertu des traités européens déjà en vigueur, c’est plus compliqué : la suprématie de la Constitution a longtemps fait débat. La règle générale étant que la Constitution ne peut être utilisée par la France pour se soustraire à ses engagements internationaux. Mais ce principe est susceptible de heurter la souveraineté du peuple à l’origine de la Constitution.

Si l’application d’un texte européen pose problème, le principe d’identité constitutionnelle permet de ne pas l’appliquer.

Une décision du Conseil constitutionnel de 2006 a donc introduit un garde‐fou affirmant que « la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France ».

Conséquence, « si l’application d’un texte européen pose problème, s’il est contraire à la constitution nationale et à ses fondements propres, le principe d’identité constitutionnelle permet de ne pas l’appliquer », explique Pierre‐Yves Monjal. C’est d’ailleurs ce que reconnaît le paragraphe 2 de l’article 4 du traité de Lisbonne signé en décembre 2007.

Le mauvais exemple polonais

Problème, les contours de cette « identité constitutionnelle » sont encore flous. Celle‐ci recouvre des valeurs importantes, comme les droits de l’homme ou la laïcité, ou des principes d’organisation de l’État comme la décentralisation… Ce qui donne lieu à interprétation. La Pologne tente ainsi de l’utiliser pour maintenir une réforme de son système judiciaire dont l’UE demande l’abrogation. Depuis son adoption en 2017, les juges sont en effet nommés par le gouvernement et appartiennent au parti majoritaire nationaliste conservateur PiS.

Marine Le Pen et Valérie Pécresse semblent appuyer la position polonaise. Problème, la réforme en question contredit un des principes fondateurs de l’UE. « Quand la Pologne intègre l’UE en 2004, elle s’engage à respecter des valeurs, et notamment l’état de droit avec une séparation des pouvoirs », rappelle Pierre‐Yves Monjal. C’est sur cet engagement international que le PiS prétend revenir aujourd’hui.

Le 12 octobre dernier, le Tribunal constitutionnel polonais prend un arrêt remettant en cause la primauté du droit communautaire : il déclare certains articles des traités de l’UE « incompatibles » avec la Constitution polonaise. Une décision « historique » qui fait planer la menace d’un « Polexit juridique » et, à terme, d’une sortie de l’Union.

Peut‐on réviser la Constitution pour contourner le droit européen ?

C’est en substance ce que propose Marine Le Pen afin d’appliquer son programme en matière d’immigration alors que des mesures sont incompatibles avec les traités européens, comme la remise en cause du droit d’asile. La candidate du RN veut en effet « constitutionnaliser le droit des étrangers », comme elle l’a expliqué lors d’une interview à Bloomberg.

Mais comme dans le cas polonais, cette révision de la Constitution postérieure aux traités européens reviendrait à revenir sur un engagement international de la France. Avec pour seule issue la sortie de l’UE, comme l’estiment des juristes interrogés par l’AFP factuel qui a procédé à une vérification de la proposition du RN.

Sans compter que le mode de révision envisagé serait lui‐même contraire à la Constitution. Jean‐Philippe Tanguy, directeur adjoint de la campagne de Marine Le Pen, a en effet indiqué à l’AFP vouloir « recourir au référendum, via l’article 11 de la Constitution, pour intégrer des dispositions relatives à l’immigration dans la Constitution ». Or, « les lois adoptées par la procédure de l’article 11 de la Constitution ne peuvent être que de nature législative, affirme la jurisprudence du Conseil d’Etat. L’article 11 ne peut être utilisé pour modifier la Constitution. »

Peut‐on être exclu de l’Union pour non‐respect de sa législation ?

Le non‐respect de la législation européenne expose ses membres à des sanctions. Mais aucune procédure d’exclusion n’est prévue par les traités. Seul un État peut décider de sa propre sortie de l’UE.

Si une infraction grave aux valeurs de l’Union Européenne – énoncées à l’article 2 du traité – est constatée, un Etat membre peut se voir priver de son droit de vote au sein du Conseil européen, l’instance réunissant les chefs d’Etat et de gouvernement (article 7). Cependant, du fait de procédures longues et incertaines – car elles nécessitent un vote à l’unanimité -, la Commission européenne mise plutôt sur des sanctions financières. Le bras de fer avec la Pologne est emblématique de ces difficultés et son issue pourrait faire jurisprudence.

En décembre 2017, la Commission enclenche la procédure de l’article 7 à l’encontre de la Pologne en lui demandant de geler sa réforme judiciaire. Devant le refus de celle‐ci, l’exécutif européen ouvre une procédure d’infraction qui aboutit à sa condamnation par la CJUE en octobre dernier : elle doit payer un million d’euros par jour jusqu’au retrait des dispositions organisant la subordination des juges. Nouveau refus jusqu’ici. En décembre, la Commission ouvre une nouvelle procédure d’infraction contre la Pologne, cette fois pour violation du droit de l’UE par son tribunal constitutionnel.

38 milliards d’euros
C’est le montant des aides à la Pologne qui pourraient être bloquées pour non‐respect de l’état de droit. 

En parallèle, Bruxelles brandit un moyen de pression encore plus lourd : celui de ne pas débloquer les 23,9 milliards d’euros de subventions et les 12,1 milliards d’euros de prêts du plan de relance européen. Cette aide a en effet été conditionnée au respect de l’état de droit. Un mécanisme contesté non seulement par la Pologne mais aussi par la Hongrie et sur quoi la CJUE doit trancher. Bien qu’il ait promulgué une loi homophobe, le gouvernement hongrois de Viktor Orban n’a subi jusqu’à présent aucune sanction. Mais il a tout à craindre si un tel critère d’attribution des aides européennes était validé.

Les infractions au droit de l’UE sont‐elles si exceptionnelles ?

Dans les faits, les manquements au droit européen sont monnaie courante. « C’est ce que l’on fait tout le temps en France », s’exclame le politologue Christophe Bouillaud. Il en veut pour preuve la pollution des eaux en Bretagne pour laquelle la France se fait régulièrement condamner par l’Union Européenne pour non‐application d’une directive datant de… 1991 ! « La plupart du temps, un État essaye de gagner du temps en transposant de mauvaise manière une directive, constate‐t‐il. S’il peut assumer les sanctions économiques, tout pays peut, dans le fond, ne pas respecter le droit européen. »

Même sur les sujets les plus sensibles ? Christophe Bouillaud en est persuadé. « Regardez les Hongrois et les Polonais contrôlent leur opposition, n’accordent aucuns droits aux LGBT, mais leurs usines fonctionnent bien ! C’est le paradis pour les investisseurs, constate‐t‐il. C’est un peu : faites ce que vous voulez, mais ne perturbez pas l’économie ! » Si à terme le droit est censé primer et les règles s’appliquer, selon le politologue, le temps « gagné » reste profitable à des fins politiques ou économiques.

La proposition d’opt-out de Mélenchon est‐elle envisageable ?

Jean‐Luc Mélenchon affirme pour sa part qu’il utilisera la procédure de l’« opt‐out » pour mettre en œuvre des mesures qui seraient contraires au droit européen. Aussi appelée « option de retrait dans l’Union européenne », cette clause d’exemption permet de ne pas intégrer une mesure particulière d’un traité européen. Selon le candidat Insoumis, la procédure lui permettrait d’appliquer son programme tout en restant dans l’UE.

C’est cette option que le Danemark a actionnée en 1992 pour garder sa monnaie nationale alors que le traité de Maastricht prévoyait que tous les États membres réunissant les conditions adhèrent à la zone euro. Sauf que cette possibilité ne peut pas être dégainée n’importe quand, comme Jean‐Luc Mélenchon semble l’indiquer. « Les opt‐out sont des choses très précises où l’on peut décider d’exclure une disposition. Mais uniquement lorsqu’il y a un nouveau traité », explique Romain Tinière, professeur en droit public à l’Université de Grenoble.

Actionner un opt‐out impliquerait donc de renégocier les traités à chaque mesure non‐conforme à la législation européenne, ce qui voudrait dire obtenir l’accord d’une majorité des 26 autres États membres. Au contraire de ce que semble induire le candidat de la France insoumise, cette procédure n’est pas simple et son résultat plutôt aléatoire.

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