«« »Il y a 20 % des Ehpad qui n’ont même pas d’infirmière de nuit »
La candidate socialiste a dénoncé sur France 5 le manque de présence infirmière nocturne dans les établissements pour personnes âgées dépendantes. Mais elle a minimisé l’ampleur du problème. Une erreur que son équipe de campagne a reconnu.
Résumé :
- 13,8 % des Ehpad disposaient d’une infirmière de nuit en 2013, selon la dernière enquête de référence sur le sujet.
- En l’absence d’une étude de même ampleur, les experts estiment que l’ordre de grandeur est assez similaire aujourd’hui. En tout cas inférieur à 20 %.
- L’équipe de campagne d’Anne Hidalgo avoue une erreur de la candidate PS qui a « inversé sa phrase ».
- La présence d’une infirmière de nuit dans tous les Ehpad n’est pas forcément nécessaire.
- Depuis 2018, le gouvernement tente de généraliser un dispositif d’astreinte. Mais il ne fait pas l’unanimité.
Le 26 janvier sortait le livre‐enquête « Les fossoyeurs » de Victor Castanet sur les « pratiques et dysfonctionnements graves » des Ehpad du groupe privé Orpea. Dans la foulée de cette publication choc, un débat national s’est ouvert sur la nécessaire réforme des Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Difficile pour un candidat de passer à côté.
Invitée le 9 février de l’émission C’est à vous, sur France 5, Anne Hidalgo a ainsi proposé de renforcer considérablement les moyens des Ehpad publics à hauteur de 1 milliard d’euros supplémentaires par an pendant cinq ans. Et la candidate socialiste de justifier sa mesure par cette affirmation : « Vous savez qu’il y a 20 % des Ehpad qui n’ont même pas d’infirmière de nuit ! ». Problème, la situation serait bien pire que celle‐ci, probablement l’inverse. Même si les données récentes manquent pour pouvoir l’affirmer.
Le sujet est complexe et pourtant la vérité est simple : chaque Française et chaque Français doit pouvoir vieillir dignement. pic.twitter.com/kaHPq2aHXS
— Anne Hidalgo (@Anne_Hidalgo) February 9, 2022
Absence de données récentes
La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), qui dépend du ministère des Solidarités et de la Santé, a bien réalisé une enquête sur ce sujet en 2019. Mais les résultats ne sont pas encore disponibles.
Les derniers chiffres précis remontent en fait à 2013. À l’époque, l’Observatoire national de la fin de vie fait état d’un constat alarmant : seulement 13,8 % des 7 438 établissements disposent d’une infirmière présente la nuit. Ils étaient donc à l’époque plus de 86 % à ne pas en avoir, quasiment la proportion inverse que celle que la maire de Paris a dénoncée à l’antenne.
Depuis, la situation ne semble pas s’être améliorée. « Selon nos données qui sont simplement des ordres de grandeur, nous étions en 2015 dans les mêmes proportions qu’en 2013 », indique François Cousin, médecin de santé publique au Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. Ce qui va dans le sens d’une autre étude réalisée la même année par la Drees, mais en utilisant comme indicateur la présence « 24h/24 et 7j/7 d’infirmiers ou infirmières dans l’établissement ». Une formulation qui peut minorer le taux de présence d’infirmières de nuit.
Anne Hidalgo a « inversé sa phrase »
« Dans notre étude sur la fin de vie en EHPAD, nous disions qu” « environ 10 % » des EHPAD en disposaient, se rappelle Delphine Roy, ancienne cheffe du bureau « Handicap, dépendance » de la Drees. Nous en étions restées à cet ordre de grandeur car c’était un chiffre que nous n’avions pas expertisé. À moins qu’une évolution très rapide ait eu lieu depuis 2016, c’est donc plutôt entre 10 et 20 % des Ehpad qui auraient une infirmière 24h/24. »
Interrogée par Mediacités, l’équipe de campagne d’Anne Hidalgo admet une erreur de la candidate. « Ce jour‐là, elle a inversé sa phrase. Le chiffre est bien pire : moins de 20 % des Ehpad uniquement ont accès à une infirmière de nuit », reconnaît Jérôme Guedj, conseiller « vieillissement » de la candidate PS. Il en veut pour preuve le communiqué envoyé à la presse le 3 février dernier annonçant la venue d’Anne Hidalgo à Blois pour présenter ses propositions pour « vieillir dignement ». Celui‐ci indique qu’« actuellement, moins de 15 % des Ehpad ont une infirmière la nuit ».
Une présence la nuit déterminante
Quoi qu’il en soit du chiffre exact, la présence généralisée d’un service infirmier la nuit, réclamée par Anne Hidalgo, est‐elle vraiment indispensable ? Pour les professionnels, cela ne fait aucun doute car elle permet d’éviter une hospitalisation systématique. « À cet âge‐là, un transport aux urgences au milieu de la nuit provoque de nombreux troubles au niveau du sommeil et des repères. Cela peut devenir préjudiciable », souligne Jérôme Malfaisan, infirmier à Lille et représentant du Syndicat national des professionnels infirmiers.
De plus, elle offre plus de chances aux personnes âgées de choisir les conditions de leur fin de vie. « Certains résidents souhaitent partir en Ehpad et ne pas être transportés à l’hôpital pour leurs derniers instants. S’il n’y a pas d’infirmière la nuit, on ne peut pas respecter leur dernière volonté », insiste le docteur François Cousin. Les observations de la Drees confirment d’ailleurs cet avis. « À caractéristiques du résident identiques, la probabilité de décéder dans l’Ehpad plutôt qu’à l’hôpital est plus forte dans les établissements assurant la présence d’une infirmière 24 heures sur 24 », est‐il ainsi écrit dans une note intitulée « L’Ehpad, dernier lieu de vie pour un quart des personnes décédées en France en 2015 ».
Du côté de la Fédération Hospitalière de France (FHF), les besoins infirmiers la nuit dans les Ehpad ne sont plus à prouver non plus. « Évidemment c’est une dépense supplémentaire, mais au final cela coûte moins cher à la collectivité », remet en perspective Marc Bourquin, conseiller stratégie à la FHF. Les prises en charges aux urgences et les séjours à l’hôpital sont en effet particulièrement coûteux.
Difficultés de recrutement
Face à une telle unanimité, pourquoi, alors, ne pas alors généraliser la mesure ? Réponse : parce que c’est compliqué. Mais pas seulement pour des raisons financières. Il est en effet malheureusement difficile de recruter en gériatrie. « Les jeunes infirmiers ne veulent plus venir en Ehpad, témoigne Jérôme Malfaisan. Quand ils viennent en stage, ils sont livrés à eux‐mêmes car nous manquons de personnel pour les encadrer. Ils ne veulent pas être dans une situation où l’on comble les trous toute sa carrière. »
Se pose aussi la question de la rémunération souvent jugée très faible par les jeunes professionnels au regard de conditions de travail compliquées. Le Ségur de la Santé a tenté de compenser quelque peu ces manques : les infirmiers ont vu leur revenus augmenter de 290 euros net mensuel en début de carrière. Mais la mauvaise image semble persister.
Des alternatives possibles
Confrontés à ces difficultés, les acteurs du secteur tentent de trouver d’autres solutions. D’autant que les situations diffèrent selon la taille des Ehpad. « Dans des petits établissements, ce n’est pas nécessaire d’avoir quelqu’un en permanence », estime ainsi Marc Bourquin. Certains choisissent donc de mutualiser une infirmière qui tourne sur trois à cinq établissements pour assurer le service.
Depuis 2018, c’est toutefois une autre piste qui semble privilégiée par le ministère de la Santé. À l’époque, la ministre Agnès Buzyn fait du renfort des équipes médicales nocturnes une des priorités de son « plan dépendance ». Quelque 36 millions d’euros sont débloqués sur la période 2018–2020 afin de généraliser « un dispositif d’astreinte entre plusieurs établissements ».
« L’astreinte, c’est mieux que rien, mais on ne va pas au bout du sujet », dénonce Marc Bourquin. La nuit, le dispositif est assuré par une personne couvrant des établissements géographiquement proches. « Normalement, la règle veut que ce ne soit pas plus d’une demi‐heure pour intervenir, indique Sandrine Courtois, co‐responsable du pôle « Autonomie » de la FHF. Mais dans les zones denses, l’astreinte peut concerner 10 à 20 établissements. » De fait, une généralisation totale du dispositif augmenterait les risques d’avoir plusieurs appels d’urgence en même temps.
En 2020, seuls 40 % des Ehpad ont eu recours à l’enveloppe de crédits prévus pour l’astreinte, d’après le projet de loi de finance de la Sécurité sociale 2022. L’objectif de la généralisation totale du dispositif a été repoussé à 2023. Et ce alors qu’il ne correspond vraisemblablement qu’aux besoins d’une partie des Ehpad. Les syndicats infirmiers sont en donc attente d’autres mesures. Et pas seulement ans le domaine de la présence infirmière de nuit. « La situation a été mise en lumière par l’enquête sur Orpéa, estime ainsi jérôme Malfaisan. Tout ce qu’on espère c’est que la lumière ne s’éteigne pas trop vite. »