«Doubler la part du mode ferroviaire dans les déplacements du quotidien autour des grands pôles urbains », telle est l’ambition que se donnait la France au moment de voter la
Loi d’Orientation des Mobilités (LOM), promulguée le 26 juin 2019. Idée y avait notamment été lancée de « favoriser la réalisation de projets de RER métropolitains », un type de réseau qui, dans l’Hexagone, n’existe aujourd’hui qu’en Île‐de‐France alors que l’on en retrouve dans nombreuses grandes villes européennes. Le 27 novembre 2022, le président de la République Emmanuel Macron répétait l’ambition de « développer un réseau de RER dans les dix principales villes françaises ».
Mediacités et The Conversation
Ce texte est la reprise d’un travail initialement paru sur le site The Conversation, média indépendant qui publie des articles d’universitaires et de chercheurs sur des sujets d’actualité. Son auteur, Marie‐Léa Rousseau est docteure en Aménagement‐urbanisme à CY Cergy Paris Université. Nous republions ici son texte in extenso. Certains intertitres ont été ajoutés par la rédaction de Mediacités.
Plus récemment, la loi relative aux Services express régionaux métropolitains (SERM) a été promulguée en décembre 2023 afin d’établir un cadre législatif. La proposition de loi SERM déposée au Parlement en avril 2023 a concordé avec le lancement du réseau Objectif RER métropolitain, qui vise à fédérer autour de la mise en œuvre des projets dans les territoires candidats. Frédéric Aguilera, vice‐président en charge des Transports de la région Auvergne‐Rhône‐Alpes, a, par exemple, annoncé il y a quelques jours sur X (anciennement Twitter) le dépôt imminent d’une candidature pour un « RER Clermont‐Auvergne » et pour quatre autres métropoles de la région.
Pour un « RER Clermont‐Auvergne ».
Depuis des années nous portons l’idée d’un pôle métropolitain Auvergnat fort. Ce pôle est avant tout la création d’un réseau des agglomérations et des territoires de l’Auvergne pour dynamiser un espace regroupant plus de 700 000 habitants.… pic.twitter.com/8lPgcMVR0a
— AGUILERA Frédéric (@Aguilera_Fred) February 20, 2024
Il n’empêche que la mise en œuvre des futurs projets candidats demeure tributaire de multiples incertitudes. Elles font l’objet de plusieurs contributions, dont les nôtres [l’auteur de ce texte, Marie‐Léa Rousseau. Note de Mediacités].
« RER nantais » : cette idée que tout le monde soutient mais qui n’a jamais fonctionné (jusqu’ici)
Strasbourg, un lancement en demi‐teinte
La première agglomération à avoir engagé un projet de ce type est celle de Strasbourg. L’idée était portée depuis 2017 par l’ASTUS, une association alsacienne d’usagers des transports, et les autorités ont officiellement lancé le 11 décembre 2022 le REME, le réseau express métropolitain européen. Le premier bilan un an plus tard s’avère mitigé : des trains supplémentaires oui (700 de plus par semaine), mais moins que prévu (1072 promis initialement) et au prix d’un taux de régularité dégradé (86,3 % des trains) au cours du premier semestre 2023 (objectif : 95 %), notamment car les infrastructures n’était pas prêtes à fonctionner à une telle cadence.
Les raisons de ces difficultés sont multiples, au premier rang desquelles une exploitation mise à mal par une montée en charge trop rapide au regard des moyens disponibles, en personnel comme en matériel roulant. Ces préoccupations avaient d’ailleurs été exprimées par les représentants de la Fédération nationale des usagers de transport et de la CGT à la veille du lancement du REME.
Inflexion du discours politique
On pourrait imputer à la communication autour du projet de ne pas avoir annoncé un calendrier de montée en charge plus progressif, quitte à prendre de l’avance si cela avait été possible : aurait‐on pu d’emblée annoncer un objectif de 1000 rames supplémentaires mais à un horizon plus lointain ? 2025 ? 2027 ? 2030 ? Depuis, le lancement on observe ainsi une inflexion du discours politique, qui privilégie désormais la stabilisation du système. L’augmentation de l’offre ainsi que son extension au‐delà de la frontière franco‐allemande n’est plus envisagée avant 2026.
Au niveau des infrastructures, l’aménagement de la gare de Strasbourg paraît également inadapté pour le fonctionnement d’un volume aussi important de trains qui impose un mouvement technique toutes les 30 secondes. Cela génère des situations d’encombrement à la moindre avarie matériel ou autre aléa. Aussi, Thibaud Philipps, vice‐président en charge des transports dans la région Grand Est, reconnaissait en décembre dernier un défaut d’anticipation des aléas dans les modélisations envisagées avant le lancement du REME.
Certes, le taux de régularité s’est stabilisé autour de 94 % à la fin de l’année 2023, avec une moyenne de 830 rames supplémentaires circulant par semaine sur les quatre lignes concernées. Une restructuration de la gare de Strasbourg semble néanmoins nécessaire, l’Eurométropole de Strasbourg plaidant pour son agrandissement (projet de gare à 360 degrés) tandis que la région Grand Est privilégierait la création d’une gare supplémentaire. Le projet devra en outre favoriser la création d’un réseau de lignes traversantes afin de limiter les correspondances pour les voyageurs qu’impose un schéma en étoile.
Pas qu’une affaire de trains plus fréquents
Il ne faudrait cependant pas apprécier ces futurs réseaux à partir du seul nombre de trains et de leur ponctualité : les SERM ne se limitent en effet pas à un projet d’infrastructure visant à renforcer la fréquence des trains pour atteindre un cadencement élevé (15 minutes en heure de pointe).
Les Journées des mobilités du quotidien, organisées à Strasbourg les 8 et 9 février derniers ont été l’occasion de rappeler que le déploiement des SERM ne constitue pas une fin en soi. Il s’inscrit dans l’objectif de décarboner les mobilités, de relier les métropoles et leurs périphéries et enfin de pallier les difficultés croissantes d’accès à la voiture individuelle. Les SERM ne sauraient d’ailleurs, selon Nicolas Bordillat, directeur des programmes de SERM du Grand Est pour SNCF Réseau, être des répliques provinciales du RER parisien. L’appellation « RER métropolitain » a même été abandonnée dans la loi du 27 décembre 2023.
Attractivité à construire
L’enjeu, selon un rapport de SNCF Réseau est de constituer un service intégré d’une part et un service attractif d’autre part. Pour être intégrée, l’offre ferroviaire doit être coordonnée avec une offre de cars express, de trams, de covoiturages ou de réseaux cyclables selon les besoins locaux pour accéder au réseau. Cela vaut en termes d’horaires, d’infrastructures multimodales mais aussi de tarifs avec par exemple des abonnements uniques, quel que soit le mode utilisé. L’attractivité passera elle par des horaires réguliers, sur une amplitude horaire importante (jusque minuit en week‐end), une fréquence renforcée en heures de pointe et en zone dense.
Le REME est encore loin de répondre aux critères d’un service à la fois intégré et attractif. En premier lieu, il n’est pas clairement identifiable pour les voyageurs, ne serait‐ce qu’en raison de l’absence d’un logo comme pour les S‑Bahn allemand ou encore d’un plan de transport dédié. Il n’existe en outre pas encore de pass multimodal valable sur les quatre lignes du REME, enjeu clé en termes de tarification et de billettique.
Quelle gouvernance ? Quel financement ?
Ces critères seront‐ils repris par le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires au moment de sélectionner les projets qui seront labellisés ? Des incertitudes demeurent quant aux motifs de sélection des projets, qui devraient être précisés par décret au cours des prochains mois. Selon le député Jean‐Marc Zulesi, rapporteur de la loi SERM, la sélection devrait reposer davantage la capacité des collectivités territoriales à créer un consensus autour d’un projet fédérateur plutôt que sur le rang dans la hiérarchie territoriale.
Ainsi, le statut de métropole ne saurait garantir la labellisation, ouvrant la voie aux villes moyennes, La Rochelle par exemple, voire de territoires d’outre-mer ayant manifesté leur intérêt pour le déploiement d’un SERM sur leur territoire. Malgré les dispositions de la loi, la mise en œuvre des projets s’inscrit ainsi dans une gouvernance complexe, dont le cadre demeure nébuleux. À cet égard, l’échange de bonnes pratiques entre les territoires apparait nécessaire, dans un contexte où les porteurs de projet seront pourtant immanquablement en compétition.
Incertitudes financières
Se posent également des questions d’ordre financier. Le Conseil d’Orientation des Infrastructures a présenté en février 2023 un Plan d’avenir pour les transports prévoyant des investissements à hauteur de 100 milliards d’euros d’ici 2040 pour la régénération puis le développement du réseau ferroviaire français. Le montant des projets SERM est estimé à hauteur de 15 à 20 milliards d’euros. Mais quelles seraient les modalités de financement ? Utiliser les capacités contributives de l’État ? Des collectivités territoriales ? Faire évoluer les versements‐mobilité ? Mettre en place de nouveaux moyens de financement comme des taxes locales ?
L’organisation, à l’initiative du Sénat et d’ici juin 2024, d’une conférence nationale sur le sujet est particulièrement attendue. La loi SERM prévoit, elle, que la Société du Grand Paris, rebaptisée Société des grands projets, pourra contracter des emprunts pour financer les projets dont elle aurait la maîtrise d’ouvrage.
Tous ces questionnements rendent d’autant plus nécessaires la circulation des connaissances et l’échange de bonnes pratiques entre les territoires pour améliorer la mise en œuvre des futurs projets SERM. Au‐delà de l’expérience du REME en tant que projet pilote, il serait bon aussi de s’inspirer de nos voisins européens où les réseaux de type SERM sont en service depuis plusieurs décennies.
Deux questions sont au coeur du développement de ces RER. La première concerne le financement de ces projets et la suivante mais encore plus importante que la précédente, est la gouvernance de ces RER.
En Europe, le premier RER date de 1930 à Berlin et en Allemagne ces SBahn se sont développés à partir des années 1970, ce qui correspond à celui de Paris en terme de temporalité. L’Allemagne, la Belgique, les Pays‐Bas, la Suisse ont développé des réseaux aussi bien dans leurs métropoles que dans des agglomérations plus petites depuis plusieurs décennies. Le temps long correspond au temps des projets ferroviaires (plusieurs décennies) et cela ne se fait pas en claquant des doigts.…
En France, même si on a beaucoup parlé du RER de l’eurométropole strasbourgeoise, en partie pour ses soucis au départ, malgré une gouvernance basée sur le consensus rhénan avec l’accord de la métropole de Strasbourg (Verts) et de la région Grand Est (Les Républicains) ; le cas de Bordeaux et de la Región Nouvelle Aquitaine m’apparait très intéressant à suivre. En effet, il y a un accord entre la Région qui a créé un syndicat mixte réunissant, de mémoire, 19 collectivités de cette région pour lancer des projets de transports et où le financement est assuré à 50% entre une agglomération et Nouvelle Aquitaine. Les projets de RER entrent dans cette gouvernance. Bordeaux avec la diamétralisation de deux premières lignes (Libourne‐Arcachon et Mariens‐Langon), avance prudemment mais sûrement vers la création RER complété par un réseau de cars express sur certains axes. L’outil de gouvernance et le financement de la modernisation des installations, l’achat de rames plus capacitaires et une tarification intégrée, assurent à Bordeaux, une situation, certes encore très loin de plusieurs villes européennes de la même taille dans la mise en place d’un RER, mais a pris un train d’avance sur toutes les autres agglomérations françaises dans la construction du projet.