Les Lillois le connaissent tous. Ne serait‐ce que par son nom, attribué à l’ancienne rue de Paris et au Grand stade, à Villeneuve‑d’Ascq. Les plus anciens ont peut‐être déjà voté pour lui ou l’ont peut‐être croisé lors de ses déambulations annuelles à la Braderie de Lille.
Maire emblématique de Lille mais aussi Premier ministre, Pierre Mauroy avait plusieurs visages : grand stratège politique, amoureux de sa ville d’adoption, il entretenait aussi un lien particulier avec la religion catholique. Ce sont autant de facettes que le journaliste de RCF Martin Pinguet raconte dans son podcast « Pierre Mauroy : le géant de Lille », paru le 4 mars dernier.
Un amoureux de Lille
Natif de l’Avesnois, Pierre Mauroy devient le premier édile de Lille en 1973. Il le restera pendant vingt‐huit ans, avant de passer le témoin à son héritière Martine Aubry en 2001. De son passage à la mairie, mais aussi à la tête de la communauté urbaine de Lille (l’ancêtre de la Métropole européenne de Lille) entre 1989 et 2008, on retiendra des grands projets comme l’arrivée du métro à Lille, le quartier d’affaires Euralille ou encore la ligne ferroviaire à grande vitesse reliant la capitale des Flandres à Paris.
C’est avant tout pour raconter l’influence de Pierre Mauroy sur la ville de Lille que Martin Pinguet a décidé de consacrer son podcast. « Sans Pierre Mauroy : pas de façade de la Treille, le Vieux‐Lille reste un champ de ruine, pas de Lille Europe… », liste‐il. Interviewée dans le podcast, l’actuelle maire de Lille Martine Aubry ose même : « Il a fait passer cette métropole du XIXe au XXIe siècle. »
De Pierre Mauroy, on retient peu sa condamnation pour abus de confiance en 2011 – très brièvement abordée dans le podcast – pour l’attribution d’un emploi fictif au sein de la communauté urbaine de Lille en 1992. Une condamnation qui entache quelque peu le portrait très positif dressé par RCF.
Aux premières loges nationales
Plus qu’une forte personnalité locale, Pierre Mauroy est aussi une grande figure nationale : il est Premier ministre de 1981 à 1984. De quoi rendre fiers les Lillois, à en croire Bernard Roman, son ancien premier adjoint. « La gauche n’était pas au pouvoir depuis un quart de siècle. La victoire de François Mitterrand a été accueillie avec une immense joie [de la part des militants de gauche, ndlr.]. Que le maire de Lille soit nommé Premier ministre, c’était une immense fierté. »
Pierre Mauroy reste aussi locataire du Beffroi, comme la coutume l’exige à l’époque. « En 1980, il était impensable que le Premier ministre ne soit pas un élu de la République », explique Martin Pinguet dans son podcast. Une situation qui relève du « véritable casse‐tête » pour ses collaborateurs. « Il divise alors sa semaine », retrace le journaliste. Si cette situation l’amène à beaucoup déléguer, il « restait maître à bord », se souvient son ancien directeur général des services Régis Caillau.
Des envies de grandeur
Il est aux avant‐postes pour plusieurs grandes réformes, comme la retraite à 60 ans, la cinquième semaine de congés payés ou encore l’abolition de la peine de mort. Mais sa popularité faiblit lorsqu’il soutient le projet de réforme de l’enseignement privé. « Les premières manifestations pour la défense de l’école privée ont lieu, il rencontre même le pape Jean‐Paul II pour défendre en vain son projet », raconte Martin Pinguet. Le projet de loi est retiré et Pierre Mauroy démissionne de son poste de Premier ministre.
Le voilà de retour à 100 % au Beffroi. De ce passage par Matignon, Pierre Mauroy a gardé des envies de grandeur. C’est après cette expérience qu’il va, par exemple, défendre bec et ongles le projet d’une ligne à grande vitesse reliant Lille à Paris. Cette dernière sera inaugurée en 1993.
Le stratège politique
Pour arriver à ses fins, Pierre Mauroy maîtrise l’art de la politique. Il réussit à mettre autour de la table des politiques de tous bords. Se réunissent alors les socialistes, communistes et chrétiens démocrates. « La campagne [municipale] de 1983 était extrêmement difficile, se souvient Bernard Roman. Il fallait convaincre les communistes d’intégrer une liste qui n’était pas de gauche. » Un pari réussi pour celui que le politologue Rémi Lefèbvre décrit comme « un homme de consensus ».
« Une fois les chrétiens démocrates dans sa poche, Pierre Mauroy va être intronisé dans une myriade de mouvements d’Eglise », retrace le journaliste. Le voilà qui s’attaque à la finition de la façade de la Cathédrale de la Treille. Pour Martin Pinguet, ce chantier représente pleinement les « différents aspects de sa personnalité ». « Il veut donner une bonne image de la ville de Lille, il y a aussi un peu de clientélisme et, en même temps, ça a du sens vis‐à‐vis de son rapport à la religion », analyse le journaliste auprès de Mediacités.
Un rapport ambigu avec la religion
Pierre Mauroy est décrit comme croyant mais « pas du tout pratiquant », selon l’ancien évêque auxiliaire de Lille Mgr Gérard Coliche, interrogé dans le podcast. Son enfance, il la passe avec une mère très catholique mais aussi avec un père « plutôt laïc ».
Adolescent, le voilà qui se rend à Lourdes en pèlerinage. Loin de renforcer sa foi, ce voyage change sa vision de la religion. « Ce qui l’a dégoûté, c’est la bigoterie d’une partie du clergé et des chrétiens, note Martin Pinguet. Son rapport à la religion est assez distancié. Mais il en garde des marqueurs, comme le signe de croix. C’est un peu comme une tradition. Pierre Mauroy aime beaucoup les traditions. »
Trois hommages
Atteint d’un cancer des poumons, Pierre Mauroy décède le 7 juin 2013. Pour lui dire au revoir, un hommage national est célébré aux Invalides. La mairie de Lille expose son cercueil dans le « Grand carré » de l’Hôtel de ville – là où se déroulent les conseils municipaux – pendant 48 heures. Une cérémonie religieuse est organisée dans la cathédrale Notre‐Dame de la Treille.
« L’hommage aux Invalides, il aurait été un peu étrange – voire incompréhensible – de ne pas le faire, commente Martin Pinguet. La cérémonie à la mairie, c’est parce qu’il a été maire de Lille pendant près de trente ans. Et celle à la Treille était plus personnelle. C’est lui qui l’a voulue celle‐là. » Trois cérémonies pour représenter trois facettes de l’homme politique. « Je pense que, pour lui, c’était un tout », commente Martine Aubry dans le podcast.
Aucun commentaire pour l'instant