Vols à l’hôpital : Les enquêtes collaboratives, ça marche !

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Photo d'illustration : Ugo Amez/SIPA. Montage : Nicolas Barriquand / Mediacités

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Par Matthieu Slisse

À l’automne dernier, Mediacités publiait une longue enquête consacrée au mal discret et tabou des vols à l’hôpital. Grâce à vos témoignages, nous complétons nos révélations et nous publierons le 23 avril prochain une suite, spécifiquement consacrée au circuit du médicament.

«C’est un peu le secret de polichinelle qui est révélé dans cette enquête, et c’est bien sûr la raison pour laquelle elle est importante. » Le 23 octobre dernier, Mediacités publiait une longue investigation intitulée Le vol, un mal qui ronge l’hôpital en silence. En exhumant des rapports méconnus du ministère de la Santé, et à l’appui de nombreux témoignages, nous braquions les projecteurs sur un phénomène tabou et largement sous‐estimé, celui des vols, autant d’effets personnels que de matériel hospitalier.

Le vol, un mal qui ronge l’hôpital en silence

D’ampleur, le phénomène menace la qualité des soins quand le préjudice économique se chiffre en dizaines de millions d’euros chaque année. Le tout sans que l’institution ne s’en émeuve. Aucun chiffrage précis des pertes n’a en effet jamais été réalisé et aucune des 18 agences régionales de santé que nous avions sollicitées pour notre enquête n’avait jugé utile de nous répondre…

Une quarantaine de nouveaux témoignages

Si nos révélations n’ont pas fait bouger les autorités de santé, elles ont néanmoins eu un fort écho médiatique. Il n’aura fallu en effet que quelques jours pour que les médias nationaux ne se saisissent de nos informations.       

Cette forte attention pour les vols à l’hôpital, nous avons également pu la mesurer grâce à vos retours. Dans la foulée de la publication de notre enquête, nous avions décidé de lancer un appel à témoignages : vous avez été 36 à y répondre et nombreux à réagir sur les réseaux sociaux.

Pour la plupart, vos témoignages font état de disparition d’effets personnels dans des unités de soin. « Ma maman à l’âge de 95 ans a été hospitalisée en 2021, dans le coma, écrit Edith Maillard, depuis Angers. Lors de son hospitalisation, son alliance en diamants a disparu. Depuis on essaie d’être indemnisé, mais sans grand succès… » Le CHU angevin a seulement consenti à un geste à hauteur de 240 euros, qui ne compensera évidemment jamais la valeur sentimentale de cette bague…

Listés les uns derrière les autres, les objets volés dont vos témoignages font état n’ont rien à envier au célèbre inventaire de Jacques Prévert. Des prothèses auditives, un portefeuille, une montre ancienne, 130 euros en liquide, une montre connectée, un sac à main, un ordinateur portable, des produits d’entretien, un tire‐lait, des draps, une carte bleue, des fournitures de bureau, une serpillère.

« Il est inadmissible que des individus – une minorité – profitent de la détresse des personnes malades pour les voler »

Abus de faiblesse

Ce qui ressort également de vos témoignages, c’est la récurrence de l’utilisation de la vulnérabilité des patients à des fins malveillantes. Des histoires intimes qui confirment le constat établi dans le rapport 2022 de l’Observatoire national des violences en santé (ONVS), seule étude consacrée au phénomène des vols. Les voleurs « n’hésitent pas à s’introduire aussi dans les chambres tandis qu’il est mentionné que les patients « dorment », « somnolent », « s’assoupissent », sont « sous la douche » ou encore « aux toilettes » », indique le rapport.

« Il est inadmissible que des individus – une minorité – profitent de la détresse des personnes malades pour les voler, enrage une lectrice lilloise. Ce manque d’humanité ne reflète pas la bienveillance et le dévouement de la grande majorité du personnel hospitalier ». « J’ai été témoin de vol auprès des patients, voire sur des personnes décédées, s’indigne un infirmier d’un service de pneumologie d’un hôpital parisien. J’ai aussi constaté la disparition d’ordonnances ou de tampons. » Des faits graves puisqu’ils peuvent permettre d’alimenter un trafic de stupéfiants.

Soignants voleurs

Les derniers témoignages concernent la partie la plus inflammable de notre enquête : où l’on apprend que des vols sont commis par les soignants. « Les suspicions de vol ou de “disparition” par des personnels sont soit clairement formulées parce que certains ont été pris sur le fait, soit parce que les circonstances montrent que seuls pouvaient entrer dans les lieux des personnels en possession des clés, codes, badges », révèle en effet le rapport 2022 de l’ONVS.

Ce constat, vos témoignages le confirment. « Cadre dans un hôpital j’ai vécu et vit avec les vols réguliers », indique un lecteur qui préfère rester anonyme. « J’ai connu des vols récurrents et journaliers dans tous les établissements et tous les services … tout au long de ma carrière de directeur d’hôpital », abonde une autre.

Le “coulage” de médicaments

« J’ai constaté des vols, notamment de médicaments, par des personnes travaillant dans l’hôpital », glisse un infirmier. « Je suis pharmacien d’hôpital, nous évitons le mot vol par les soignants. Nous parlons de coulage…, détaille un praticien de l’ouest de la France. Il y a les soignants qui ont mal à la tête ou une crise d’asthme alors qu’ils travaillent, et qui se soignent avec les médicaments de l’hôpital. D’autres qui font des réserves familiales, ou un stock avant les vacances. Il y a des médecins partant travailler dans le privé, qui s’en vont avec du matériel. Ce qui me surprend c’est le côté totalement intégré dans notre culture : on a du vol tous les jours et on ne l’appelle pas du vol. Moi aussi je pique des médicaments et je considère ça normal. Je me choque moi‐même. »

« De nombreux professionnels de santé, surtout les médecins, considèrent qu’en travaillant dans un hôpital, comme étudiant, contractuel ou titulaire, on peut se servir, publiquement ou en douce, dans les stocks des services pour se faire un stock personnel (pour la maison ou pour nos activités extra hospitalières), livre une médecin généraliste de Haute‐Garonne. Lorsque que j’étais interne, je me servais comme les autres aux urgences en sets à suture, gants stériles ou non, compresses, pansements, colle cutanée… pour ma trousse de secours personnel. Ces pratiques nous semblaient « normales », ce qui aujourd’hui me semble être de mauvaise foi. Normal et même dû comme paiement en nature de tout le travail et temps passé à l’hôpital sans compter les heures. »

Cet enjeu du circuit du médicament, nous allons justement l’étudier dans une enquête à paraître le 23 avril. Une enquête issue de vos témoignages et une pratique collaborative du journalisme que nous chérissons à Mediacités, à l’image de notre série d’articles “Dans ma ville” ou de notre autre série sur les crèches, née suite à un appel à témoignages.

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