«Les espaces publics [dans les villes], sont devenus, au fil des années plutôt hostiles aux enfants, et ça, pour moi, ce n’est pas possible », s’offusquait, en juin dernier dans une interview à BFM, Grégory Doucet. Sur le sujet, il faut reconnaître au maire de Lyon une constance certaine : en 2020, l’écologiste avait fait de « la ville à hauteur d’enfants » un de ses slogans phares.
De la piétonisation des rues aux abords des écoles aux cours de récréation végétalisées, en passant par une signalétique totalement repensée ainsi que la création de conseils d’enfants, de plus en plus de métropoles et de villes pensent l’aménagement des espaces publics pour favoriser leur appropriation par les plus jeunes.
Initialement parue sur The Conversation, Mediacités republie ci‐dessous un travail signé du chercheur en sciences de l’éducation Sylvain Wagnon, qui liste les bonnes pratiques, et notamment l’exemple de Lille, ville pionnière en la matière.
Il est de plus en plus rare de voir des enfants se promener seuls dans l’espace public en raison d’un urbanisme peu adapté à leurs besoins. Leur absence, voire leur rejet de certains espaces, est une réalité désormais reconnue. En témoigne la « une » du quotidien Libération du 19 février 2024 affichant le titre Moi, mioche et gênant, ou encore l’article du quotidien Le Monde mettant en lumière la prolifération des lieux « no kids ».
L’idée d’une ville pensée « à hauteur d’enfants » représente donc une perspective radicalement différente. Cette ambition, partagée par un nombre croissant de métropoles, s’efforce de répondre à divers enjeux urbains, notamment ceux liés à la mobilité et au vivre‐ensemble. Comment caractériser cette approche novatrice qui pourrait façonner la ville de demain ?
Mediacités et The Conversation
Ce texte est la reprise d’un travail initialement paru sur le site The Conversation, média indépendant qui publie des articles d’universitaires et de chercheurs sur des sujets d’actualité. Il est signé Sylvain Wagnon, professeur des universités en sciences de l’éducation à l’université de Montpellier.
Les défis de la ville à hauteur d’enfant
Définir la ville à hauteur d’enfants implique de considérer leurs besoins, leurs perspectives et leurs expériences dans la conception, la planification et la gestion des espaces urbains.
Comme l’explique dans la revue Mouvements Clément Rivière, sociologue et responsable scientifique du laboratoire Ville à Hauteur d’Enfant de Lille, ville pionnière en la matière : « Cette démarche invite à penser la réappropriation enfantine de ces espaces à travers la remise en question de la place de l’automobile, la promotion de la mobilité autonome et du jeu libre, et la mise en œuvre d’une participation réelle des enfants à la fabrique de la ville »
« Les enfants ont besoin de moyens de transport sûrs et adaptés pour se déplacer dans la ville »
Une telle approche, globale par nature, implique une série de défis. Tout d’abord, l’accessibilité nécessite, par exemple, une signalétique « amicale » appropriée à l’âge des enfants et à leur taille mais aussi une bonne répartition spatiale des écoles, des garderies, des bibliothèques, pour éviter un enclavement dont ils sont les premières victimes.
Ensuite, les enfants ont besoin de moyens de transport sûrs et adaptés pour se déplacer dans la ville. Des trottoirs larges, des espaces aménagés aux alentours des écoles, des pistes cyclables protégées et des transports en commun accessibles sont essentiels.
Permettre à tous les enfants de jouer dehors
Puis, la ville à hauteur d’enfants doit être inclusive pour permettre à tous les enfants de jouer dehors. Les espaces verts offrent des opportunités de découvrir la nature et de se détendre qui doivent être à la portée de tous.
Enfin, impliquer les enfants dans la prise de décision concernant leur environnement urbain leur donne un sentiment d’appartenance et renforce leur engagement civique. Depuis 1979 en France, des conseils d’enfants sont créés dans de très nombreuses collectivités locales comme autant d’outils pour penser un rôle accru des enfants dans les décisions et les modifications urbaines.
Une ambition politique
Le souci de repenser la ville à hauteur d’enfants n’est toutefois pas nouveau. Des collectivités locales ont fait de cette politique le levier d’une transformation sociale et urbaine, comme la métropole de Recife au Brésil avec son programme Urban95. Plus proche de nous, la ville de Bâle en Suisse a mis en œuvre avec « les yeux à 1m20 » un réaménagement global de la ville avec et pour les enfants.
En France depuis 2002, l’UNICEF France a développé un réseau de collectivités locales « amies des enfants » pour rendre effectifs les droits des enfants dans les espaces urbains. Plus de 246 villes et 16 intercommunalités font partie de ce réseau :
« Devenir une collectivité amie des enfants est un engagement politique à l’échelle d’un territoire et concerne l’ensemble des élus, des agents de la collectivité, des acteurs éducatifs partenaires, des habitants et bien entendu les enfants et les jeunes. Sur une mandature, les collectivités amies des enfants s’engagent dans cinq domaines : le bien‐être, la non‐discrimination et l’égalité, l’éducation, la participation et la sensibilisation aux droits de l’enfant ».
Des métropoles parmi lesquelles Nantes ou Rennes entendent placer les besoins des enfants au centre de leurs politiques publiques. Pour Lille, Lomme et Hellemmes, collectivités précurseuses en la matière, la mise en place d’un laboratoire de la ville à hauteur d’enfant permet de développer le pouvoir d’agir dans une ville à hauteur d’enfants et d’engager l’ensemble des habitants dans cette nouvelle approche.
De son côté, Montpellier s’appuie sur l’initiative du sociologue italien Francesco Tonucci dont la ville, Fano, en Italie, a adopté toute une série de mesures concrètes permettant aux enfants de vivre pleinement l’espace urbain. Ainsi, en 2023, la commune de l’Hérault est devenue la première ville française à adhérer au réseau international « Ville des enfants » regroupant plus de 200 villes, qui travaille dans 16 pays à une (r)évolution urbaine par la ville des enfants.
Une approche éducative, inclusive et écologique
La fin de la toute‐puissance automobile et la création de zones piétonnes où les enfants peuvent jouer en toute sécurité est une étape de cette évolution urbaine. Pontevedra en Espagne a fait de cette piétonnisation et de la complémentarité des moyens de transport le levier de sa ville des enfants.
La ville adaptée aux enfants s’apprend en famille mais aussi entre usagers. Par exemple, avec la mise en place, comme à Fano, de commerces‐relais marqués d’un logo où les enfants savent qu’ils peuvent trouver de l’aide en cas de besoin pour demander leur chemin ou aller aux toilettes, contribuant à développer leur autonomie personnelle.
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Installer des équipements de jeux, des bancs et des espaces verts permet de créer des environnements ludiques et attrayants comme le fait la ville de Barcelone avec ses îlots verts. Les abords des écoles par des parvis ou espaces adaptés sont les premiers moyens pour familiariser les différents acteurs, enfants comme adultes, à une autre culture de la ville.
L’exemple des rues scolaires qui se multiplient en interdisant la circulation automobile pendant les périodes d’arrivées et de sorties des enfants sont des illustrations d’espaces sûrs, favorables à la santé, pratiques et éducatifs où se retrouvent enfants et parents.
Penser et mettre en œuvre la place des enfants dans la ville peut‐être un levier pour une ville durable. Il conviendra d’être vigilant à ne pas faire une ville pour quelques‐uns mais bien un espace public pour toutes et tous, des villes qui prennent en compte à la fois la singularité de chaque enfant et la volonté de créer une ville réellement inclusive.
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