A Vallon-Pont‑d’Arc, en Ardèche, un complexe hôtelier 4 étoiles promet une « restauration bistronomique », un « espace spa/bien‐être » et même une « galerie d’art transformable en salle de séminaire ». Coût total de ce bel ensemble : 7 millions d’euros. A Tournemire, dans le Cantal, La Borie d’Helipse vient tout juste d’ouvrir ses portes après 9 millions d’euros d’investissement. Cet hôtel de luxe avec spa et restaurant affiche une vue imprenable sur le château médiéval du village. Le point commun entre ces deux projets ? Ils sont pour partie financés par des fonds européens, avec la bénédiction de la région Auvergne‐Rhône‐Alpes.
[Série] L’argent de l’Europe, de Bruxelles à Aurillac
Avec 880 millions d’euros, la région Auvergne‐Rhône‐Alpes est le premier bénéficiaire des aides européennes en France pour la période 2021–2027. La collectivité est notamment chargée de gérer le Fonds européen de développement régional (Feder) soit près de 660 millions d’euros. A quelques semaines des élections européennes du 9 juin, Mediacités vous propose une plongée dans le maquis des subventions de Bruxelles dans notre région.
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Un penchant pour le haut de gamme
Avec ses promesses d’emplois non délocalisables dans des zones souvent rurales, le tourisme est particulièrement choyé par les subventions européennes locales. Au 1ᵉʳ mars 2024, sur les 165 millions d’euros engagés par la Région au titre du fonds Feder (Fonds européen de développement régional), plus de 20 millions ont été affectés au secteur touristique.
Plus précisément, près de 53 millions d’euros des dépenses Feder figurent dans la catégorie « développement commercial et internationalisation des PME ». Un peu moins de la moitié abonde un fonds géré par la Région pour renforcer les fonds propres de jeunes entreprises. Reste 29 millions d’euros, fléchés directement vers certains projets. Une enveloppe largement trustée par les projets d’hôtellerie haut de gamme – comme ceux de Vallon-Pont‑d’Arc ou de Tournemire -, avec 8,5 millions d’euros de subventions, soit plus que le soutien à des acteurs industriels de la région [que nous aborderons dans un prochain article]. A cette somme s’ajoutent près de 2 millions d’euros attribués à des établissements de spa ou de bien‐être, et 4,2 millions d’euros à des parcs d’attractions de la région.
Cette tendance au financement d’établissements haut de gamme est une singularité de la région Auvergne‐Rhône‐Alpes. Certes, la manne européenne a bien facilité la création d’une « boutique hôtel 4 étoiles » à Saint‐Emilion dans la région Nouvelle‐Aquitaine ; ou la construction de la piscine intérieure d’un hôtel en Alsace, dans la région Grand Est. Mais ces projets ne sont pas financés à la même hauteur par le Feder que dans la région présidée par Laurent Wauquiez. Jusqu’à 60 % pour Auvergne‐Rhône‐Alpes contre 20 % maximum dans les autres territoires.
Des choix « très politiques »
Cette orientation est assumée par la Région. Dans son « DOMO », le document qui fixe les modalités du fonds dédié aux PME, la collectivité insiste sur la nécessité d’investir dans les territoires « souffrant d’un déficit d’investissement touristique » : Ain, Allier, Ardèche, Cantal, Drôme, Loire, Haute‐Loire, Puy‐de‐Dôme, Nouveau Rhône (hors métropole de Lyon). Une stratégie qu’on retrouve dans la localisation des projets financés.
De quoi alimenter le procès en clientélisme aux yeux des opposants de Laurent Wauquiez, régulièrement accusé de favoriser les territoires favorables à la droite au moment de répartir les subsides publics. « L’argent est versé pour servir certains territoires qui ont un intérêt électoral pour Laurent Wauquiez », reproche Myriam Laïdouni, conseillère régionale Europe écologie‐Les Verts (EELV). « Le choix de la mobilisation des fonds européens est très politique », complète‐t‐elle.
« La Région a son mot à dire sur les projets », se contente d’indiquer Romain Jacques, chargé de mission chez Auvergne‐Rhône‐Alpes Entreprises (Arae), structure satellite du conseil régional. Avec des antennes dans chaque département, cette agence de développement économique ne fait pas qu’organiser des voyages de Laurent Wauquiez comme au Japon [à lire dans l’Œil de Mediacités], elle aide les entreprises à trouver des financements, y compris européens.
« Les demandes de fonds passent en comité de sélection. Elles sont instruites dans le détail. Ensuite, elles passent en commission permanente au niveau de la Région pour une consultation plus technique pour, après cela, être validées définitivement par un vote », détaille Romain Jacques. En attribuant les enveloppes et la répartition des fonds européens sur le territoire, le conseil régional peut encourager des filières spécifiques, comme le tourisme. Et surtout, donc, le tourisme haut de gamme.
L’excellence à la sauce Auvergne‐Rhône‐Alpes
Sur son profil LinkedIn, le directeur du tourisme de la Région, François Boissac, confirme les ambitions régionales en matière de tourisme et la stratégie de les financer via l’argent de Bruxelles. « Structurer et conforter les filières d’excellence (pleine nature, montagne, thermalisme, itinérances, gastronomie et œnotourisme), accompagner les acteurs et les hébergeurs, telles sont les principales missions qui font la jonction entre économie, développement territorial, culture, sports, écrit‐il. Spécialisé en affaires européennes, je sais mobiliser les fonds pour maximiser l’effet levier et générer plus de retombées économiques pour les territoires. »
« À travers les projets de luxe, il est aussi question d’une image de marque. La Région veut de l’excellence. Mais l’excellence peut aussi être la chambre d’hôtes », défend Myriam Laïdouni. « Il y a une logique d’attractivité, de charme, de tradition, de volonté de montrer un caractère authentique, un terroir, qui sont les valeurs que prônent Laurent Wauquiez », ajoute Fabienne Grébert, ancienne co‐présidente du groupe écologiste à la Région et membre de la commission tourisme.
« Face à cette logique de faire venir des étrangers avec un fort pouvoir d’achat, on pourrait se dire que la collectivité devrait plutôt valoriser des formes de tourisme qui permettent à ses habitants de partir dans leur région », considère aussi l’élue.
Des dossiers lourds et fastidieux
La complexité des dossiers de demande de financement explique aussi très certainement l’importance des projets touristiques haut de gamme parmi les bénéficiaires des fonds européens. Les dossiers Feder ont la réputation d’être particulièrement longs et techniques à monter. De quoi décourager les plus petites entreprises, qui n’ont pas les compétences ou les ressources humaines suffisantes pour cette tâche.
« Quand on est sur une entreprise un peu plus petite où toutes les compétences sont dans la main d’une personne, là oui, cela peut prendre énormément de temps. Il y a pas mal d’abandons devant la complexité de la chose », reconnaît Romain Jacques. Les abandons de dossier pour les demandes de financements Feder sont bien plus fréquents que pour les demandes de financements régionaux ou départementaux, précise‐t‐il encore.
Les gros raflent la mise
Résultat : les grosses structures de tourisme et de loisirs sortent gagnantes, à l’instar du PAL, le fameux Parc animalier et d’attractions de l’Allier, premier site touristique de la région selon un classement TripAdvisor de 2020. Déjà bénéficiaire des fonds européens à plusieurs reprises, le PAL a une nouvelle fois obtenu une enveloppe Feder de plus de 3 millions d’euros pour son projet baptisé le Fjord Express. Soit un vaste ensemble de nouvelles montagnes russes, restaurants et maisons sur pilotis sur le thème des pays nordiques, qui lui a coûté 12 millions d’euros.
Le FEDER et l’Union Européenne nous accompagnent pour la construction du Fjord Explorer avec une subvention de 25% du montant global !
Le FEDER a déjà financé plusieurs projets du PAL : l’espace thématique de la Yukon Valley en 2019 et la construction du Savana RESERVE en 2021. pic.twitter.com/jLD7NT6dBR
— Le PAL (@LePAL) December 19, 2023
« J’ai eu un accompagnement privilégié par l’équipe du Feder », confie Arnaud Bennet, PDG du parc. Celui‐ci considère que ce soutien financier s’explique par l’attractivité du site. La nouvelle zone du Fjord Express permettra d’accueillir 50 000 visiteurs supplémentaires et l’emploi de 4 à 5 équivalents temps plein. « Ces investissements permettent de financer une stratégie de développement, le tourisme, tout en s’appuyant sur des acteurs qui sont des leviers de croissance », développe‐t‐il. Selon lui, un emploi créé au PAL en crée deux autres à l’extérieur.
« Financer un seul établissement qui balance un gros projet reste une réponse individuelle au problème de l’emploi. Il faut financer des projets de territoire pour créer de l’emploi avec une réponse systémique compatible avec la justice sociale et environnementale », estime l’opposante Myriam Laïdouni.
« Toute l’ambiguïté c’est qu’on dit oui au développement et à la rénovation de petits hôtels de famille, oui au développement du thermalisme et du tourisme car ce sont des activités qui contribuent à la diversification de l’économie. Mais la question, c’est comment faire en sorte que tout le monde profite de cela ? », interroge sa collègue Fabienne Grébert.
Sollicitée pour expliquer ces choix stratégiques, la majorité régionale n’a pas donné suite à nos demandes.
Cet article ayant été réalisé dans le cadre d’un travail étudiant du master de journalisme de données et d’enquête du CFJ‐Sciences Po Lyon, en partenariat avec Mediacités, et sans rémunération des auteurs de la part de notre journal, nous le publions en accès libre.
La rédaction de Mediacités
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