Lycée Averroès : Le recours de la dernière chance

Débouté une première fois en février, l’établissement privé musulman de Lille Sud plaidait à nouveau ce jeudi 11 juillet devant le tribunal administratif de Lille pour demander le maintien du versement de ses subventions publiques. Une audience en forme d’ultime recours alors que la résiliation du contrat prendra effet le 31 août, soit l’avant-veille de la rentrée 2024.

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Des salariés et professeurs du lycée Averroès lors de l’accrochage d’une banderole “Non à la fermeture” sur le portail de l’établissement le 26 mars dernier. Photo : Matthieu Slisse / Mediacités

Un bouchon à l’entrée du tribunal administratif de Lille. L’image est incongrue, rarissime même dans le monde très confidentiel et corseté de la justice administrative. Ce jeudi 11 juillet pourtant, à l’heure de l’acte 2 de ce qu’il convient parfaitement d’appeler « le feuilleton Averroès », l’affluence était si importante que près d’une centaine de personnes ont été refoulées à l’entrée.

Signe d’un très fort attachement au lycée privé musulman lillois, la majorité des recalés patienteront néanmoins deux heures durant devant les portes du tribunal afin de manifester leur soutien. À noter également, la présence des députés Roger Vicot (PS) et Aurélien Le Coq (LFI).

Le lycée Averroès joue son va‐tout

Après avoir vu il y a cinq mois sa première demande rejetée, le lycée privé musulman Averroès sollicitait à nouveau – et ce, devant le même tribunal – une suspension de la décision préfectorale du 7 décembre dernier de résilier le contrat d’association qui liait depuis 2008 l’établissement confessionnel de Lille‐Sud à l’Etat.

Justifiée par des « atteintes aux valeurs de la République » et prise au terme d’une procédure émaillée de nombreuses irrégularités – que Mediacités a largement documentées – cette décision entraîne l’arrêt du versement de subventions publiques au lycée Averroès. Elle entraîne déjà un déficit de 1,8 million d’euros qui menace la survie de l’établissement.

L’association a donc décidé de se désister de sa procédure initiée devant le Conseil d’Etat, jugée trop longue, afin de déposer un nouveau référé‐suspension devant le tribunal administratif de Lille. L’établissement espère ainsi obtenir gain de cause in extremis alors que la résiliation prendra effet le 31 août, soit l’avant-veille de la rentrée 2024.

Le nouvel avocat d’Averroès fait valoir ses victoires passées dans des dossiers similaires

« En théorie, on peut déposer autant de référés que l’on veut. Mais en toute logique, il faut le faire en avançant des éléments nouveaux, sans quoi les juges reprendront la même décision », détaille auprès de Mediacités l’avocat spécialiste en droit de l’éducation Louis Le Foyer de Costil.

Ces « éléments nouveaux », l’avocat d’Averroès Sefen Guez Guez – le troisième après les remplacements successifs de Me Breham et Brengarth – les a placés au cœur de sa plaidoirie qui aura duré une heure et vingt minutes. Minutieusement, il s’est attaché à infirmer les « manquements graves » qui avaient justifié, le 12 février dernier, la précédente décision du tribunal. Particularité de sa démarche, il a également tenu à mettre en avant les mesures correctrices mises en place par l’établissement depuis l’annonce de la résiliation du contrat. 

Comme il l’a détaillé lui‐même à la barre, Sefen Guez Guez est rodé à l’exercice . Ces deux dernières années, il a en effet obtenu la suspension de plusieurs arrêtés de fermeture prononcés à l’encontre d’établissements confessionnels musulmans, des mosquées de Pessac (Gironde) et Beauvais (Oise) en passant par une librairie ainsi que le collège privé hors‐contrat Avicenne à Nice. À chaque fois, c’est en apportant la preuve de la correction des éléments problématiques pointés par la préfecture qu’il a obtenu gain de cause. « Il s’auto-estime le champion de la deuxième chance », s’est amusé l’avocat de la préfecture Me Pinatel qui a pour sa part considéré que faire amende honorable n’excusait aucunement les manquements passés. 

« Mesures correctrices » ou « toilettage de dernière minute »

« Ce qui posait difficulté à votre tribunal a été corrigé », a assuré Me Guez Guez. Concernant ainsi le refus, en juin 2022 du directeur du lycée de l’époque, M. Oufker de se plier à une inspection inopinée du CDI, le conseil d’Averroès a rappelé que ce dernier avait été « promptement remercié » et remplacé quelques jours plus tard par le directeur‐adjoint M. Dufour.

Cette réaction rapide est la preuve, selon lui, que l’établissement n’a aucunement cautionné ce refus d’inspection. Un argument à mettre en regard des conclusions préfectorales, lesquelles interprétaient cette opposition comme « une mauvaise volonté de l’établissement de se conformer aux contrôles ».Soucieux de battre en brèche la théorie selon laquelle l’établissement aurait des choses à cacher concernant les ouvrages présents au CDI, l’avocat a également annoncé la mise en ligne de l’intégralité du fonds documentaire.

De la même manière, Me Guez Guez a tenu à mettre en avant la refonte totale du cours d’éthique musulmane, un enseignement jugé « contraire aux valeurs de la République » par le tribunal en février dernier. « Un nouveau programme a été mis en œuvre, lequel a été validé par Tareq Oubrou, imam de Bordeaux et référence théologique de l’islam en France », a avancé l’avocat d’Averroès.

« Si la décision a permis de toiletter un établissement qui posait des difficultés récurrentes, je m’en réjouis, a répondu Me Pinatel. Mais ce toilettage de dernière minute est sans effet sur la décision de la préfecture. »

Une note blanche à la genèse pour le moins obscure

Dans la droite ligne de sa plaidoirie de janvier dernier, Me Pinatel a de nouveau pointé « une proximité idéologique plus que problématique avec un certain nombre de pensées en contradiction complète avec les valeurs de la République ».

Pour l’affirmer, l’avocat de la préfecture s’appuie sur un court document – deux pages à peine – mais dont l’importance est cruciale dans ce dossier. Il s’agit d’une « note blanche » transmise au préfet par un inspecteur d’académie, et que Mediacités avait rendue publique en février dernier. En complète contradiction avec les précédentes inspections, cette note assurait que «  les livres classés en rubrique “religion” traitaient uniquement de l’islam dans sa version frériste ». Parmi les auteurs, la note relevait la présence de l’imam marocain Hassan Iquioussen, expulsé de France en janvier 2023 pour incitation à la haine, notamment envers les juifs.

Sefen Guez Guez a tenu à souligner la genèse pour le moins obscure de cette note. Comme l’a déjà raconté Mediacités, celle‐ci a été transmise au préfet la veille de la commission qui a validé sa décision de résilier le contrat d’Averroès. Si cette note est datée du 27 janvier 2022, soit une semaine après une inspection de l’établissement, l’avocat d’Averroès suspecte que le document a pu être antidaté. Les métadonnées du fichier indiquent en effet la date du 21 novembre 2023, soit moins d’une semaine avant la tenue de la commission décisionnaire, a‑t‐il fait valoir.

Aussi, Me Guez Guez a‑t‐il affirmé qu’ « Hassan Iquioussen n’est connu du grand public qu’à partir de juillet 2022, date de l’annonce par Gérald Darmanin de son expulsion ». « Comment peut‐on dès lors m’expliquer que l’inspecteur en question aurait repéré un de ces ouvrages dès janvier ? », a‑t‐il fait mine de s’interroger devant le tribunal.

Des irrégularités de procédure jusqu’ici ignorées par le tribunal

Si l’avocat d’Averroès s’attarde tant sur l’origine des pièces fondant la décision de l’ex-préfet du Nord Georges‐François Leclerc, c’est dans l’espoir que le tribunal se prononce sur la légalité de la procédure. En février dernier, les juges ne s’étaient pas aventurés sur ce terrain hautement polémique. Cela reviendrait en effet à pointer la responsabilité du préfet dans le non‐respect manifeste des obligations procédurales. Le fait que M. Leclerc ait désormais quitté son poste et rejoint le cabinet de la ministre de la Santé Catherine Vautrin, pourrait‐il rebattre les cartes ?

C’est sans doute le pari que fait Me Guez Guez. Bien que cette stratégie ait déjà échoué il y a cinq mois, il s’est de nouveau appliqué à pointer les irrégularités ayant émaillé la procédure. En citant de larges passages de l’enquête de Mediacités rédigée à l’appui d’un enregistrement de la commission du 27 novembre 2023, le conseil d’Averroès a notamment souligné les « omissions volontaires effectuées par les rédacteurs du compte‐rendu ». 

« La consigne de vote de Xavier Bertrand y est gommée, tout comme les réserves de la rectrice », a détaillé le conseil d’Averroès avant de demander que cette pièce soit purement et simplement rejetée par le tribunal.

Le délibéré attendu pour le 22 juillet

« L’administration en France est mue par l’intérêt général. Le sceau de l’Etat ce n’est pas rien ! Alors je trouve ça insultant qu’on vienne répandre de tels propos à la barre », s’est offusqué Me Pinatel, se retranchant derrière la probité des fonctionnaires d’Etat.

Au fil de sa courte plaidoirie – vingt‐cinq minutes contre une heure vingt pour Me Guez Guez – celui‐ci s’est montré autrement moins technique. Sachant pertinemment qu’il n’avait aucun intérêt à rejouer le match déjà remporté en février, il a préféré discréditer son adversaire, arguant que ce dernier n’apportait aucun élément nouveau. Une stratégie payante puisqu’elle aura fait sortir de ses gonds le conseil d’Averroès. « Les outrances, ça suffit », lancera‐t‐il en coupant la parole à Me Pinatel. Reste que ce manque de sang froid fait tache devant la justice administrative. Contrairement à la justice pénale, elle n’est pas vraiment adepte des clashs.

La courte séquence n’en demeure pas moins le parfait résumé des tensions qui entourent ce très singulier dossier Averroès… et qui ne semblent pas près de se dissiper. « L’affaire est devenue un symbole et elle pourrait bien lancer un débat de société », juge Pierre Mathiot, soutien de l’établissement de la première heure. Le délibéré du tribunal administratif est attendu pour le lundi 22 juillet.

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Par Matthieu Slisse