Sur le parking de la crèche, Pola* s’apprête à remonter dans sa voiture, son bébé Esther* dans les bras. Mais une auxiliaire de puériculture s’extirpe du bâtiment par une fenêtre et la rattrape. À l’abri des regards, celle‐ci lui fait passer un message : il faut retirer Esther de la structure. Pola s’inquiète mais n’a guère d’alternative… Un mois plus tard, elle retrouve sa fille avec « un énorme hématome bleu, des griffures et du sang séché » sur le front, sous une mèche aplatie maladroitement, comme pour dissimuler. Cette fois, Pola dépose plainte.
Dans cette crèche de Villeneuve‑d’Ascq (Nord), gérée par le groupe privé People & Baby, elle n’est pas seule : Zohra* vient tout juste de faire pareil, après avoir récupéré son fils Sofiane* couvert de bleus et de griffures, correspondant possiblement à des gestes d’adulte. Le soir en question, elle a surtout reçu un SMS d’une employée ayant pris le risque de lui parler : « Vous avez totalement raison de ne pas avoir confiance », écrit cette jeune professionnelle en décrivant « des comportements choquants » au sein de la crèche. Deux bébés, deux lanceuses d’alerte. L’enquête préliminaire enclenchée au printemps 2021 va durer trois longues années, et prendre de l’ampleur.
https://www.mediacites.fr/dossier/petite-enfance-creches-en-souffrance/
Huit familles côté victimes
Ce lundi 23 septembre, huit familles sont ainsi appelées à la barre, côté victimes. Devant le tribunal correctionnel de Lille, l’ancienne infirmière et l’ex-directrice de l’établissement sont jugées pour des suspicions de violences sans incapacité sur mineur·es de moins de 15 ans, commises par une personne ayant autorité, entre 2019 et 2021.
Pour People & Baby, gestionnaire de 700 établissements en France, la date de ce procès ne peut tomber plus mal, alors que les dérives de l’entreprise sont au cœur du livre que le journaliste Victor Castanet consacre, en cette rentrée, aux maltraitances dans les crèches privées et aux dysfonctionnements de tout un secteur. En exclusivité, Mediapart a pu se plonger dans le dossier judiciaire.
Outre que les deux prévenues sont présumées innocentes, une relaxe au moins partielle ne semble pas exclue, vu la difficulté d’établir la réalité d’incidents survenus dans le huis clos de cette crèche. Mais les investigations menées par la brigade des mineurs de Lille attestent bel et bien des gestes inappropriés commis au sein de l’établissement, au détriment de plusieurs enfants.
Elles racontent aussi, en creux, le sous‐effectif chronique et la désorganisation permanente entretenus par People & Baby, propices aux maltraitances. D’après des informations obtenues par Mediapart, la hiérarchie des deux salariées a d’ailleurs dissimulé aux enquêteurs la gravité des irrégularités relevées à l’issue d’une inspection réalisée par la PMI (la protection maternelle et infantile chargée de contrôler les crèches), de même que l’ampleur …