Grand Lyon : comment sauver les dernières terres agricoles de la bétonisation

Autoroutes, lotissements, parkings… En dix ans, l’équivalent de 1240 terrains de football a disparu sous le bitume et le béton, dans la métropole lyonnaise. A défaut d’inverser la tendance, des efforts ont toutefois permis de ralentir le rythme du phénomène.

Decines (69): Le Parc Olympique Lyonnais
L'Est lyonnais (au premier plan, le stade de l'Olympique lyonnais à Décines), secteur de l'agglomération particulièrement touché par l'artificialisation des sols. Photo : Andia.

« Aujourd’hui, on se retrouve à cultiver sur des timbres‐poste. » Le constat, amer, est de Stéphane Peillet, agriculteur à Saint‐Priest. « Chaque année, on perd quelques hectares. Nos parcelles se retrouvent parfois coincées entre trois routes. De nouveaux ronds‐points se construisent… On n’arrive même plus à faire passer nos engins agricoles en sécurité avec toutes les chicanes », poursuit cet exploitant qui cultive 425 hectares de blé, d’orge, de colza et de maïs. Ses terres sont enclavées entre l’A46 et l’A43. Un des secteurs où l’étalement urbain a été le plus intense ces dix dernières années comme le montre notre carte interactive ci‐dessous. A Saint‐Priest, au sud‐est de la métropole de Lyon, près de 94 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers (NAF) ont disparu. 

I/ LE CONSTAT : 900 hectares perdus en dix ans

picto artificialisation2En plein boom démographique avec ses 1,3 million d’habitants, ses 647 000 emplois et ses pôles d’enseignement supérieur, le territoire de la Métropole se bétonne à tout‐va. Le sud‐est, autrefois vaste plaine agricole, a fait les frais de l’intensification de l’activité économique. Plus à l’ouest, c’est l’étalement pavillonnaire qui a progressivement grignoté du terrain au détriment de l’agriculture [voir notre carte]. Du côté de Dardilly et de la Tour de Salvagny, le chantier de raccordement de l’A89 à l’A6-A46 « a englouti » entre 200 et 300 hectares. A Décines, le stade de l’Olympique lyonnais a rayé à lui seul 110 hectares de champs. Et ce n’est pas fini ! D’autres projets pourraient sortir de terre : la ligne à grande vitesse Paris‐Orléans‐Clermont‐Lyon (Pocl), le contournement ferroviaire de l’agglomération, le fameux « Anneau des sciences » (le nom très com’ qui désigne le périphérique ouest), un entrepôt géant d’Amazon à côté de l’aéroport Saint‐Exupéry… 

Mediacités s’est plongé dans les données de la Safer et du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). En dix ans, ce sont près de 900 hectares d’espaces cultivés qui ont disparu. Le gardien du foncier agricole qu’est la Safer comptabilisait, en 2007, un peu plus de 15 900 hectares sur les 59 communes du Grand Lyon. Dix ans plus tard, le chiffre est tombé à 15 000 hectares, partagés entre 360 agriculteurs et 260 exploitations. 

« 900 hectares en moins, c’est à la fois beaucoup et peu si l’on ramène ce chiffre à l’évolution du territoire et de la démographie », analyse Thierry Pistre, directeur de la Safer pour la métropole de Lyon. « Il y a dix ans, la situation était bien pire : 150 hectares disparaissaient chaque année contre 90 actuellement », poursuit‐il. Reste que plus d’une exploitation sur trois a disparu dans l’agglomération lyonnaise entre 2000 et 2010 selon l’Observatoire des espaces naturels et agricoles. Aux superficies englouties sous le béton, s’ajoutent 40 autres hectares qui se métamorphosent chaque année en pâtures pour les chevaux ou en espaces de loisirs. Dans son jargon, la Safer appelle ce phénomène « la consommation masquée » de terrains agricoles.

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II/ LES SOLUTIONS : PLU‑H, sanctuarisation et retour à la terre

Comment enrayer cette urbanisation galopante ? Le monde agricole tente de résister via notamment l’élaboration du nouveau Plan local d’urbanisme et de l’habitat de la Métropole de Lyon (PLU‑H). Ce document « découpe » les communes en grandes zones : celles urbanisées (U), celles à urbaniser (AU), les espaces agricoles (A) et naturels (N). Après une période de consultation publique, la commission d’enquête a remis son rapport et ses conclusions au Grand Lyon le 10 janvier dernier. Le plan devrait être voté d’ici à l’été.           

La définition d’un tel document vire parfois au casse‐tête : « Un PLU‑H est toujours un compromis entre les besoins en développement urbain et la préservation des espaces agricoles, explique Thierry Pistre, pragmatique. L’évolution démographique implique la création d’entreprises, d’écoles, de crèches, de transports, de centres commerciaux… On n’a pas encore réussi à construire un modèle sociétal dans lequel on arrive à concilier agriculture et consommation foncière. » Une évolution – positive – cependant : ces dernières années, le PLU‑H tente de mieux prendre en compte les espaces agricoles et naturels.

« On a quand même divisé par deux le nombre de mètres carrés construits par an »

« On observe une prise de conscience de la part des élus. Ils font en sorte de bétonner en priorité plutôt des « dents creuses », ces terrains urbains non utilisés (des friches, des terrains à bâtir, d’anciens parkings…) », remarque le représentant de la Safer. « On construit de façon plus vertueuse, confirme de son côté Martin Bocquet, chargé d’études au Cerema. Les acteurs locaux et les promoteurs ont tendance à récupérer les gisements déjà existants. On a quand même divisé par deux, en France, le nombre de mètres carrés construits par an entre 2007 et 2016 [45 millions de mètres carrés contre 90 il y a une dizaine d’années]. »

Protection à long terme

picto artificialisation1Ce ralentissement (relatif) de la bétonisation ne s’est pas produit par magie. Les réglementations successives en faveur de la préservation des territoires agricoles et des espaces naturels et la mise en place de Schémas de cohérence territoriale (Scot), à partir des années 2000, ont permis de limiter les dégâts. Les PLU‑H – dont celui du Grand Lyon évoqué plus haut – doivent être en conformité avec ces Scot. Le monde agricole dispose aussi d’une arme de poids avec « la politique de protection des espaces naturels et agricoles périurbains ». Cette « Penap » (encore un sigle !), issue de la loi relative au développement des territoires ruraux de 2005 permet de sanctuariser pour trente ans un périmètre agricole donné. Seul un décret interministériel peut le remettre en cause. « Cela présente l’avantage de mettre un terme à toute forme de spéculation. C’est une protection à long terme », commente Mathieu Novel, chargé de l’agglomération lyonnaise à la Chambre d’agriculture du Rhône. Dans le Grand Lyon, le dispositif concerne 9117 hectares sur 44 communes. 

Autre avancée majeure, dans le futur PLU‑H du Grand Lyon, des zones classées « à urbaniser » seront restituées à l’agriculture. 600 hectares environ. On va « plutôt dans le bon sens », estime Stéphane Peillet, le céréalier de Saint‐Priest, par ailleurs vice‐président de la Chambre d’agriculture du Rhône. « Plutôt » ? Car l’exploitant apporte un gros bémol. Les zones agricoles sont classées en deux catégories : une classique (A1) et l’autre dite « inconstructible » (A2). Interdit sur ces périmètres de bâtir un hangar agricole, pour stocker engins et outils. Ce qui peut représenter un sérieux handicap pour les exploitants.

« La Métropole voit l’agriculture comme utilisatrice de foncier, pas comme une activité économique à part entière », déplore Jean Guinand, membre de la Confédération paysanne, qui dénonce les « incohérences » et « l’hypocrisie » des documents d’urbanisme. « C’est un blocage idéologique, juge Stéphane Peillet. La crainte de voir un hangar se transformer, à terme, en maison qu’un exploitant, une fois à la retraite, pourrait être tenté de revendre à des non‐agriculteurs. »

La concurrence des chevaux

Pour maintenir une activité agricole sur un territoire, il faut des terres, mais aussi… des agriculteurs. C’est l’autre facette de l’enjeu de la préservation des sols cultivés : installer des jeunes professionnels. Et l’une des raisons d’être de la Safer. « Nous tentons de capter les opportunités. Mais ce n’est pas facile », confie Thierry Pistre. A la demande de l’Etat, l’organisme constitue des réserves foncières pour « compenser » les pertes d’hectares à venir. Exemple avec des achats de terrains agricoles en prévision du raccordement de l’A89 à l’A46 qui détruira des centaines d’hectares. En attendant la mise en route d’un chantier, la Safer passe avec des agriculteurs des conventions précaires d’exploitation reconduites tacitement chaque année. En clair, elle loue pour un loyer modique des terres à cultiver vouées à être urbanisées. Effet pervers : les exploitants ne disposent d’aucune visibilité sur l’avenir et la profession se précarise.

picto artificialisation5« Ce genre de locations augmentent au détriment des baux ruraux plus protecteurs », souligne Mathieu Novel. Dans le Grand Lyon, chaque agriculteur est en moyenne propriétaire de seulement 17% des surfaces qu’il exploite (contre 28% il y a dix ans). Au niveau départemental et national, ce chiffre avoisine les 23 %. La majorité des terres naturelles dépend de propriétaires qui rechignent parfois à louer leurs parcelles à des agriculteurs. Certains préfèrent les laisser en friche en espérant les vendre un jour au prix fort. Quand d’autres se tournent vers une manne plus rentable : les propriétaires de chevaux. Louer un pré pour y faire paître un cheval rapporte jusqu’à dix fois plus que la location d’une parcelle à usage agricole (entre 30 et 140 euros par hectare et par an contre 10 euros pour un terrain agricole). « Toutes ces surfaces pourraient être mobilisées pour compenser d’autres projets d’urbanisation », déplore Thierry Pistre.

Des nuits lyonnaises au légumes bio

La concurrence est aussi rude avec les promoteurs qui font flamber les prix du marché (un terrain agricole se négocie en général 1 euro le mètre carré dans l’ouest lyonnais). En cas d’abus, la Safer peut préempter une vente. Mais l’utilisation de ce « veto » doit justifier d’un réel projet agricole. C’est là que le bât blesse… « On use de notre droit de préemption dans 5 à 10% des cas. Le reste du temps, on négocie à l’amiable avec l’acheteur », explique Thierry Pistre. Illustration récemment à Curis-au-Mont‑d’Or. Un ancien corps de ferme allait être vendu à un promoteur. Pour faire barrage, le syndicat mixte Plaines Monts‑d’Or (SMPMO) a monté un dossier avec la Safer et la Métropole de Lyon pour créer trois logements destinés à de jeunes agriculteurs et quatre ateliers de transformation. Les travaux débuteront d’ici la fin de l’année.

picto artificialisation3Ce syndicat, qui regroupe 13 communes du Grand Lyon et présidé par le maire de Limonest Max Vincent, mène dans les Monts‑d’Or une politique volontariste. Sorte de « Safer bis »… « Nous avons constitué un portefeuille foncier de 70 hectares, achetés en 20 ans, détaille Cédric Janvier, son directeur. La Safer nous informe dès qu’un terrain agricole ou naturel est en vente. » En partenariat avec la Chambre d’agriculture et les élus locaux, le SMPMO cible des sites qui permettent de réinstaller des agriculteurs. Une dizaine de projets ont vu le jour en 20 ans d’existence, avec, en général, des logements à bas coût proposés aux exploitants. A l’image de Vincent Galliot, à Collonges-au-Mont‑d’Or.

Cet ancien informaticien cultive depuis un an des fruits et des légumes bio sur le plateau de Moyrand‐Charézieu. Dans le même secteur, à l’abri des appétits des promoteurs immobiliers, deux autres agriculteurs s’apprêtent à démarrer leur activité : « Ce plateau, classé en Penap, revit grâce à l’agriculture », se réjouit Cédric Janvier. A Poleymieux, un vigneron sans héritier a ainsi légué ses terres au syndicat, afin que de jeunes exploitants reprennent le vignoble.

« Différentes espèces selon le principe de la permaculture »

Dardilly, traversée par l’A6 et l’A89, compte elle aussi de nouveaux agriculteurs. Comme sur le site de la Brochetière, à 300 mètres du bitume de l’autoroute. La Safer y avait constitué une réserve de 15 hectares en prévision du chantier de l’A89. Le raccordement terminé, elle a revendu 3,5 hectares finalement non‐bétonnés à Sébastien Koutnouyan, l’ancien gérant du Sirius, une boîte de nuit lyonnaise. A 36 ans, il s’est lancé avec des associés dans le maraîchage bio, après une formation d’un an : « On associe différentes espèces selon le principe de la permaculture ».

Sur son exploitation, plus d’une trentaine de légumes, des plantes aromatiques et médicinales, des fleurs, mais aussi des ruches et des perchoirs pour les oiseaux. Il aimerait pouvoir trouver un ou deux hectares supplémentaires « pour pouvoir prévoir des rotations, laisser reposer les parcelles ». Dans le même temps, à l’autre bout de l’agglomération, avec sa future plateforme, Amazon doit s’accaparer plus de 20 hectares de terres…

De l’épi à la baguette, sans sortir de la région

Initiative parmi d’autres pour maintenir des agriculteurs – et donc des terres agricoles – au sein de l’agglomération lyonnaise, l’association les Robins des champs, fondée en 2010, a mis sur pied une filière pain locale. Six céréaliers du Rhône (Claude, Michel, Romain, Jean‐Yves, Dominique et Gilbert, comme ils se présentent sur leur site internet) se sont associés à un boulanger (Christophe) qui en avait « ras‐le‐bol » de ne pas savoir d’où provenait sa matière première. Tous cultivent leur blé dans le département, à Genas, Communay, Toussieu ou encore Feyzin. La céréale récoltée est transformée par la minoterie Dupuy Couturier à L’Etrat (Loire). Deux silos et des appareils de manutention, financés par la région Auvergne Rhône‐Alpes, le département du Rhône et la Communauté de communes de l’Est Lyonnais ont été installés cet été à Genas pour centraliser sur un seul lieu tout le blé de la filière. Et ça marche ! Une quarantaine de boulangeries de Lyon et des environs confectionnent désormais leur pain avec cette farine 100% locale.

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Par Elise Moreau

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