En soutien à la mobilisation citoyenne qui monte contre l’autoroute fluviale des Hauts-de-France, des conseillers régionaux insoumis et écologistes ont présenté une motion visant à arrêter le projet. Un débat houleux, une manifestation et l’arrestation d’un militant devant le siège du conseil régional n’ont pas empêché le texte d’être très majoritairement rejeté.
Pour le conseiller régional d’opposition insoumis Benoit Tirmarche, le projet de Canal Seine‐Nord Europe est un « projet écocidaire, inutile et destructeur, qui menace la biodiversité, les ressources en eau et les écosystèmes de notre région ». Vendredi dernier, il a déposé une motion au conseil régional des Hauts‐de‐France, l’un des principaux promoteurs et financeurs de l’infrastructure, afin de réclamer son arrêt.
Les détracteurs de cette autoroute fluviale de 107 kilomètres de long entre Compiègne et Aubencheul‐au‐Bac (près de Cambrai) soulignent qu’elle nécessitera de pomper l’eau de l’Oise en hiver et de construire une retenue d’eau géante de 14 millions de mètres cubes pour l’alimenter en période de sécheresse. Initialement financé à hauteur de 5,2 milliards d’euros, le coût du projet est en cours de réévaluation en raison du retard pris par les travaux et de l’inflation. La facture pourrait s’établir au final « entre 7 et 8 milliards d’euros », selon la dernière enquête publique. Un montant toutefois contesté en séance par le président du Conseil régional, Xavier Bertrand.
Le précédent de l’A69 et de Sainte‐Soline
Alors que « les travaux [du canal] avancent pour le moment en toute discrétion », selon Benoit Tirmarche, il fait valoir auprès de Mediacités que « l’actualité récente autour de Sainte‐Soline et de l’A69 démontre qu’on peut agir et qu’on ne peut saccager l’environnement à n’importe quelles conditions ». L’élu insoumis fait ici référence à la décision du tribunal administratif de Toulouse qui a prononcé l’annulation du chantier de l’autoroute A69 et à celle de la Cour administrative d’appel de Bordeaux qui a décrété l’illégalité de quatre méga bassines, dont celle de Sainte‐Soline. Il y voit la preuve que même les plus grands projets d’infrastructure dont les travaux sont engagés peuvent être remis en cause.
Le tribunal administratif de Toulouse donne raison aux anti‐A69
Sa motion a été soutenue par les conseillers régionaux écologistes, à l’exception de Karima Delli, présidente du groupe « Pour le climat et pour l’emploi », qui s’est abstenue. Peu avant le vote, l’ancienne présidente de la commission transports du Parlement européen a été prise à partie par le vice‐président du conseil régional aux transports, Christophe Coulon, pour un tweet publié en 2021 dans lequel elle se déclarait favorable à une telle infrastructure.
En réponse, elle a expliqué être « pour un canal » mais « à haute valeur écologique ». Son collègue écologiste Alexandre Cousin a pour sa part observé que « Seine‐Nord Europe est un beau projet sur le papier mais c’est un projet du 20e siècle. Nous sommes en 2025 et la catastrophe climatique à laquelle on nous demande de nous adapter doit nous amener à reconsidérer ce projet qui est devenu obsolète et dangereux. »
Débats houleux
La motion a été rejetée par 115 voix contre 12 et 3 abstentions, 32 élus n’ayant pas pris part au vote. Les membres de la majorité régionale ont vigoureusement réfuté les arguments avancés lors d’un débat houleux. « Dès aujourd’hui, le projet induit des retombées économiques, s’est ainsi insurgé le conseiller régional UDI Jean‐Michel Michalak, par ailleurs membre du conseil de surveillance de la société du canal Seine‐Nord Europe. « Nous sommes particulièrement vigilants sur les coûts et leur évolution », a‑t‐il ajouté.
« Ce projet fait l’objet d’un avis favorable du Conseil national de protection de la nature », a souligné pour sa part Christophe Coulon. Et le même d’affirmer : « Avant de détruire, on renature ».
Canal Seine Nord : “Il y aura de l’eau, mais au détriment de qui ?”
Cette initiative des élus insoumis et écologistes avait pour but d’appuyer un mouvement d’opposition citoyenne de plus en plus vigoureux. Depuis le début de l’année, des collectifs grossissent et fédèrent désormais plusieurs organisations : des groupes de désobéissance civile, des syndicats comme la CGT ou la Confédération paysanne ou encore des associations environnementales.
Depuis quelques mois, les actions de sensibilisation se multiplient : réunions publiques, balades autour du tracé, et opération écureuils, avec des militants suspendus aux arbres pour dénoncer les abattages nécessaire aux travaux. Un recours en justice a même été déposé le 6 décembre dernier par les associations Protection du Territoire Seine‐Escaut et Nord Nature Environnement devant le Tribunal Administratif d’Amiens pour contester l’autorisation environnementale du projet.
Manifestation devant le conseil régional

Vendredi, des militants ont organisé une manifestation devant le conseil régional pour soutenir la motion. Une demande d’audition auprès de Xavier Bertrand a été formulée, sans que le président de la Région y réponde favorablement, en tout cas pour le moment.
Au matin, avant même le début de la séance plénière, un militant a été interpellé et placé en garde à vue alors qu’il s’apprêtait à mener une opération écureuil. En janvier, deux militants avaient déjà été arrêtés alors qu’ils occupaient des arbres à Compiègne. Leurs procès se tiendront le 20 mai et le 26 août, pour organisation illégale de manifestation et outrage sur personne dépositaire de l’autorité publique.
Le groupe d’élus régionaux insoumis se dit quant à lui déterminé à poursuivre sa contestation. « Nous ne sommes pas contre un projet de canal mais contre ce projet », insiste Benoit Tirmarche. Il indique qu’il déposera une autre motion « l’année prochaine pour continuer la discussion sur un projet alternatif ». Envisagé par le collectif « Méga canal non merci », celui‐ci devrait proposer de simplement redimensionner le canal du Nord, qui existe déjà. En attendant, le slogan scandé par les manifestants devant le conseil régional est on ne peut plus clair : « Le canal sera la prochaine A69 ! »
Si ça peut « détromboser » l’A1 pourquoi pas ? Mais les coûts commencent déjà (as usual) à dériver, il faut donc les bloquer pour éviter les scandales