Aéroports de Lyon : l’inspection du travail retoque le plan de suppressions d’emplois de Vinci

D’après nos informations, Vinci Airports est contrainte de renégocier l’accord signé en juillet dernier qui prévoyait la suppression d’un poste sur dix à Saint-Exupéry. Alors qu’en interne, une alerte pour « dangers graves et imminents » sur les personnels a provoqué la tenue d’une réunion extraordinaire.

34403138734_8fe78611cf_k
A l'aéroport Lyon Saint-Exupéry, exploité par Vinci Airports. Photo : E/Brown/CC BY-NC-SA 2.0 (image recadrée).

Stop, on arrête tout ! D’après les informations de Mediacités, Vinci Airports, la filiale du groupe de BTP qui exploite l’aéroport Lyon Saint‐Exupéry, a été contrainte par l’inspection du travail de geler ses projets de suppressions d’emplois [lire nos précédentes révélations : «À l’aéroport Lyon Saint‐Exupéry, Vinci veut supprimer au moins un emploi sur dix »]. Pierre Bel, le directeur des ressources humaines d’Aéroports de Lyon (ADL), a adressé lui‐même un mail aux salariés, le 6 octobre dernier : « La Direccte [Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi] nous demande de suspendre le dispositif départ volontaire individuel, pour reprendre de nouvelles négociations avec les délégués syndicaux ». En attendant un nouvel accord avec les trois organisations représentatives (CFDT, CFE‐CGC et Unsa), tous les dispositifs de « l’accord de performance collective », signé mi‐juillet en réaction à la crise du secteur provoquée par le coronavirus, sont suspendus. 

L’inspection du travail tique sur les 40 départs volontaires prévus (sur un effectif total de 424 salariés). D’après une source interne à ADL, la Direccte estimerait leur nombre trop élevé pour qu’ils soient mis en œuvre sous la forme de ruptures conventionnelles individuelles, comme l’envisageait l’entreprise. Les services de l’État demandent à l’exploitant de négocier une rupture conventionnelle collective.

« Éviter de négocier un départ à la tête du client »

« Avec un accord collectif, qui posera un cadre général, tout le monde partira avec les mêmes chances, estime un salarié. Les conditions négociées (indemnités de départ, formation) seront valables toute la durée de l’accord de performance [jusqu’à cinq ans]. On évitera ainsi de négocier un départ à la tête du client et dans la précipitation. » D’après cet interlocuteur, depuis cet été, certains salariés seraient « poussés vers la sortie » plus ou moins volontairement.

Un témoignage corroboré par les procès‐verbaux des dernières séances du Comité économique et social (CSE) que Mediacités a consultés. Les représentants des élus y parlent de « mal‐être » et de « souffrance ». Mi‐septembre, une réunion extraordinaire de la Commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) a été convoquée suite à une alerte pour « dangers graves et imminents » : risques psycho‐sociaux concernant « tous les salariés » et « un salarié parlant de suicide » [voir le document ci‐dessous].

Insert1
Extrait réunion interne ADL. Document Mediacités.

Suite à cette alerte, la direction d’Aéroports de Lyon estimait, lors d’un comité social et économique qui s’est tenu le 24 septembre, avoir « conscience qu’un grand nombre de salariés souffr[aient] de risques psycho‐sociaux » et indiquait aux représentants du personnel qu’elle « travaill[ait] à trouver des solutions ». Quelques jours plus tard, le DRH envoyait un mail aux salariés pour leur rappeler les interlocuteurs à leur disposition « en cas de besoin » : psychologues, assistante sociale, infirmière ou médecin du travail. En parallèle, une commission d’enquête interne (composée de représentants des personnels, de membres du CSE, de la direction, du médecin du travail et d’un psychologue externe) a été mise en place fin septembre.

120 emplois supprimés à Saint‐Exupéry

Plus que jamais, les salariés de Saint‐Exupéry pâtissent des incertitudes générées par la crise sanitaire. « Les perspectives ne sont pas bonnes […]. Le trafic de septembre est inférieur à nos prévisions », leur écrivait dans un mail, le 22 septembre dernier, le directeur de l’aéroport Tanguy Bertolus. En septembre 2020, le trafic était en recul de 70% par rapport au même mois de l’an dernier. Résultat : d’après une estimation de la direction d’ADL, « les besoins [de l’entreprise] sont évalués à 266 emplois à temps plein ». Or, aujourd’hui, 424 personnes sont salariées par Aéroports de Lyon. Que proposer aux personnels sans activité ? C’était l’objet de l’accord signé fin juillet, mais son application n’est pas sans dommages. 

Aux 40 départs volontaires évoqués plus haut s’ajoutent 83 emplois « ré‐internalisés ». En clair, il s’agit de missions retirées aux sous‐traitants afin qu’elles soient assurées directement par Vinci Airports. La liste comprend une soixantaine de postes, du « développement du fret aérien » au « traitement des réponses sur les réseaux sociaux », en passant par « la supervision sûreté ». Au total : plus de 120 emplois seraient ainsi supprimés sur la plate‐forme de Saint‐Exupéry.

« 44 pompiers sont prêts à se mobiliser »

Pour remplacer les départs volontaires et « ré‐internaliser », l’exploitant doit procéder à un jeu de chaises musicales via une « bourse à l’emploi » : les salariés qui travaillent sur des postes non indispensables pendant la crise doivent postuler à un autre poste, pour une durée indéterminée. Les changements peuvent être majeurs, comme passer d’horaires administratifs à des horaires décalés, ou voir sa mission remplacée par une autre, au risque de perdre en compétences. Exemple : la direction estime qu’une vingtaine de pompiers professionnels sont de trop par rapport à l’activité de l’aéroport. Elle a donc prévu de créer des postes de « coordinateur sécurité », présentés en CSE le 8 septembre. Ils récupéreraient les missions d’aides et assistance aux personnes à mobilité réduite à la montée ou la descente des avions, auparavant sous‐traitées. Lors de la réunion interne, un élu indiquait que « 44 pompiers sont prêts à se mobiliser contre ces changements ».

La première commission d’attribution de « la bourse à l’emploi » s’est réunie le 22 septembre. D’après les chiffres exposés par la direction, « 170 des candidats, soit plus de 75%, retrouvent un taux d’emploi contractuel [correspondant à leur contrat de travail initial]. Il reste donc à trouver de nouvelles propositions pour 60 salariés, une vingtaine d’entre eux ont encore un taux d’emploi à zéro ».

Depuis le mois de mars, Vinci Airports sollicite les aides publiques, via le chômage partiel prolongé jusqu’au 15 mars 2021. Les salariés de l’entreprise qui en bénéficient voient leur salaire maintenu à 84%, payé par l’État. Mais sur les « 300 000 heures prévues [par le chômage partiel] », la direction estimait, le 27 août, que « seuls 30 ou 35% de ces heures ont été consommées car les salariés ont également pris des congés et des RTT ».

Insert3
Extrait du procès‐verbal d’une réunion interne d’ADL. Document Mediacités.

32 millions d’euros d’économies sur le personnel

In fine, la direction d’Aéroports de Lyon espère réaliser 32 millions d’euros d’économies sur le personnel, comme elle l’avait présenté à ses actionnaires lors du conseil de surveillance du 25 juin 2020. C’est d’ailleurs l’objectif annuel majeur assigné à Tanguy Bertolus.

Un rapport présenté en conseil de surveillance, le 25 septembre dernier, indique qu’en plus de sa part de rémunération fixe (139 000 euros brut annuels), le directeur de Lyon Saint‐Exupéry touche une part variable, plafonnée à 55 000 euros par an, en fonction des objectifs qui lui sont fixés. Les années précédentes, ceux‐ci étaient calculés en fonction du trafic, du résultat de l’entreprise, de la qualité du service et de la sécurité. Mais pour l’année 2020, la donne a changé : le bonus de Tanguy Bertolus sera calculé par rapport aux économies réalisées sur « la masse salariale » [voir le document ci‐dessous]. Une prime à la casse sociale en quelque sorte. Les employés d’ADL apprécieront…

Insert4
Extrait du rapport présenté en conseil de surveillance. Document Mediacités.

La région Auvergne‐Rhône‐Alpes et le Grand Lyon n’ont pas donné suite à nos demandes d’entretien. Représentant de la collectivité de Laurent Wauquiez au conseil de surveillance d’Aéroports de Lyon, Paul Vidal, conseiller délégué aux transports, avait assuré le 25 juin que « la région est solidaire de Vinci Airports » car « sauver l’aéroport permet de sauver des emplois ». Côté Métropole, nous avons sollicité la première vice‐présidente Emeline Baume (EELV), qui siège désormais au conseil de surveillance d’ADL. La nouvelle majorité écologiste n’a pas donné suite à notre demande. On attendra donc pour connaître les positions qu’elle défendra en tant qu’actionnaire de l’aéroport…

De son côté, le service presse d’Aéroports de Lyon nous confirme par mail que « les discussions sont en cours avec les délégués syndicaux ». Il ajoute : « Les objectifs de l’aéroport restent inchangés : préserver l’emploi à travers l’internalisation de certaines missions et recourir à des départs volontaires. La mise en œuvre de ces évolutions fait l’objet d’un suivi régulier entre organisations syndicales et direction, notamment en vue d’assurer l’accompagnement adéquat des salariés concernés ».

  • Le Président de la Répuplique devrait être solicité et tout faire contrôler oui tout contrôler de ce qu’il s’est passé depuis 2016. Comme les licenciements et autres départs suites à des manipulations pour faire partir quoi qu’il en coûte. Coût pas vraiment financier, mais plutôt par des moyens relevant plus de techniques psy. violences psy. etc. Le Président de la République devrait s’en inquiéter immédiatement car cela risque de sortir pour 2022 toutes ces casseroles…

  • L’année dernière, le mercredi 29 mai 2019 et pour diverses raisons, les dirigeants de Vinci ont été auditionnés par le Sénat.
    C’est à visionner sur youtube ou directement sur publicsenat.
    Mots clefs : « Audition de Xavier Huillard, PDG du groupe VINCI – Les matins du Sénat (29/05/2019) »
    Bis repetita apparemment.
    Il est ainsi question d’une nouvelle audition au sujet de l’aéroport Lyon Saint‐Exupéry et spécifiquement ce dernier.
    En effet, une explication tendue est à attendre, notamment sur l’aspect gestion des  » human resources  » depuis 2016 et plus particulièrement 2018.
    Également depuis la crise liée à la pandémie de la covid‐19 et l’intervention récente (comme mentionné dans le très bon papier ci‐dessus)
    de la Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE) qui interviendrait, selon mes sources, très simplement en tête de pont d’autres services moins déconcentrés, le(s)quel(s) « ? »
    Hier est derrière, demain est un mystère, mais aujourd’hui est un cadeau, c’est pour cela qu’on l’appelle présent. [Proverbe chinois]

Publié le

Modifié le

Temps de lecture : 6 minutes

Favorite

Par Isabelle Jarjaille

Attention : journal en danger !
Soutenez Mediacités !

Depuis bientôt huit ans, notre journal d’investigation propose des enquêtes sur les pouvoirs locaux dans les grandes métropoles. À Lille, Lyon, Nantes et Toulouse, des dizaines de journalistes publient en toute indépendance des informations inédites qui nourrissent le débat public et produisent de l’impact.
Aujourd’hui, notre campagne de financement participatif a dépassé 75% de l’objectif. Aidez-nous à atteindre les 100% d'ici au 31 décembre !
On vous explique tout ici :

Comment soutenir Mediacités ?

D’ici au 31 décembre, chaque coup de pouce compte !

Ceci fermera dans 25 secondes