Big City Life : Mediacités révèle l’audit accablant de la Ville de Nantes

Il aura fallu saisir la Commission d’accès aux documents administratifs, mais nous avons finalement obtenu une copie de l’audit mené par la Ville de Nantes suite aux révélations de Mediacités sur l'association Big City Life. Plus lourdes qu'annoncé, ses conclusions n'ont pas empêché la municipalité de lui attribuer la gestion de l’ex-Scène Michelet pour trois ans.

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La Scène Michelet, à Nantes, avant de devenir Decadanse et d'être géré par Big City Life pour trois ans. / Photo : Thibault Dumas

« La première fois que j’ai entendu parler de Big City Life, notamment par Mediacités, je me suis dit « c’est quoi cette m**** ? » Bon, certes, c’est vraiment géré comme une asso étudiante, mais j’ai décidé de leur faire confiance. » Le 31 août dernier, lors d’une conférence de presse, voilà comment le gérant de la Scène Michelet, Olivier Piard, justifiait avec franchise le choix d’accueillir pendant trois ans l’association-média, en attendant la vente de sa salle de concert.             

De son côté, Bassem Asseh se voulait apaisant. « L’audit nous a permis de nous rassurer en tant que tiers de confiance pour ce nouveau lieu et de donner quelques recommandations importantes », affirmait alors le premier adjoint (PS) de Johanna Rolland. « Cette démarche n’a pas, au regard des pièces analysées, révélé de malversations ou de manquements majeurs », complétait encore le service communication de la Ville de Nantes.

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Nicolas Bénardeau (à gauche), directeur de Big City Life, les adjoints Tristan Riom et Bassem Asseh, et Olivier Piard (à droite), le gérant de la Scène Michelet, le 31 aout 2022. / Photo : Thibault Dumas

L’audit secret finalement dévoilé

Bref, alors que la Ville venait à nouveau de faire une jolie fleur à Big City Life cet été, en lui confiant la gestion d’un lieu culturel, on tentait d’étouffer l’incendie déclenché quelques semaines plus tôt par les révélations de Mediacités sur le « big bazar » régnant au sein de l’association (qui a bénéficié de 151 000 euros de subventions municipales en 2021 et de 120 000 euros en 2020). Le tout en s’appuyant sur un audit mené par les services de la Ville et commandé après la publication de notre enquête.

Problème : en dehors des élus et des services de la Ville, personne ne pouvait avoir accès à ce fameux audit, ni à ses conclusions. Après avoir essuyé de multiples refus, Mediacités a fait appel à la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), dont l’avis favorable du 8 novembre a contraint la Ville à nous fournir le document, le 16 décembre dernier [Lire l’encadré En coulisses, en bas de l’article]. Sur 10 pages, ce dernier se révèle plus accablant qu’annoncé.

En substance, les services municipaux relèvent « des manquements importants constatés au regard des règles comptables. Une organisation et une gestion très largement perfectibles ». Ils préviennent également que « la poursuite de l’accompagnement de la collectivité est conditionnée à la remise à plat de la gouvernance (rôle AG, CA, directeur) ».

78 % d’anomalies sur les mouvements financiers en 2021

Invitée à réagir, l’association Big City Life juge que Mediacités fait « une interprétation outrancière du rapport d’audit et [décrit] une situation alarmiste qui n’existe que dans [notre] imagination », tout en indiquant avoir été « fragilisée par la crise du Covid ». Plus mesurée, la Ville reste sur sa ligne : « Pas d’alarmisme », nous dit‐elle.

Dans le détail, l’audit relève pourtant 60 % d’anomalies ou de manquements sur les mouvements financiers de l’association en 2020. Un chiffre qui grimpe même à 78 % en 2021 ! Les raisons ? « Absence de factures ou justificatifs des dépenses concernant des mouvements financiers ; nombreuses factures ou pièces justificatives non détaillées ; factures avec des dates postérieures au paiement ; factures incohérentes ; retards de paiement, destination des dépenses non précisée imprécision sur le bénéficiaire ». On comprend mieux le choix d’imposer dès l’été dernier un commissaire aux comptes à l’association, qui indique l’avoir « d’ores et déjà nommé ». 

Big City Life attaque Mediacités

Suite à la publication de notre premier article, le 31 mars 2022, Nicolas Bénardeau (et non Big City Life) a porté plainte pour diffamation publique contre Mediacités pour une seule et unique phrase contenue dans celui‐ci. La procédure, menée par une juge d’instruction du tribunal judiciaire de Nanterre, suit son cours.

Lors de l’élaboration de ce nouvel article, nous avons envoyé une série de questions à Big City Life ainsi qu’à son fondateur Nicolas Bénardeau. La première nous a répondu. Nous avons également reçu de la part de l’avocat parisien de l’association, Me Sébastien Journé, un courrier au ton comminatoire.

Celui ci nous indique « avoir reçu mandat [de Big City Life] d’intenter à [notre] encontre, sans délai, toute procédure judiciaire appropriée ». Et ce « dans l’hypothèse où [notre article] contiendrait, comme [nos] messages peuvent le laisser penser, des propos portant atteinte à son honneur ou à sa considération »… Une « mise en demeure solennelle », explique‐t‐il.

Concernant le volet fonctionnement de l’association et la gestion des salariés, plusieurs pages ont été retirées de notre copie de l’audit, pour des raisons légales. Le motif ? Ces éléments « portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ». 

Dans cette version expurgée, les services de la Ville de Nantes préconisent « de décrire le rôle du CA et de la présidence dans la gestion de l’organisme ; décrire les habilitations du directeur ; définir les délégations : lister les responsabilités incombant au directeur seul et celles partagées avec le CA ». Bref, une remise à plat complète qui passe par « faire approuver les principes en AG, convoquer une AG à cet effet et renouveler le CA » ou encore « poser le principe de la validation de la dépense par une autre personne que celle qui manipule les fonds ». 

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À l’intérieur de Decadanse, l’ex-Scène Michelet, en août 2022. / Photo : Thibault Dumas

« L’association a refusé le contrôle sur place »

Toutes préconisations que l’association affirme suivre. « Nous avons […] renouvelé la gouvernance associative, explique‐t‐elle à Mediacités. Les administrateurs de l’association vont continuer de poursuivre la clarification de la gestion de l’association dès le premier trimestre 2023. »

L’audit décrit aussi un « organisme […] excédentaire en 2020 et 2021, pour un montant cumulé de 175 000 euros. Cette période correspond à l’exploitation des sites « Écuries de Mellinet » et « [Le] 23 » », attribués par la Ville, en plus de ses subventions. L’audit relève d’ailleurs « la place importante que prennent les ventes de bar » qui représentent la moitié du chiffre d’affaires (contre 1,5 % pour la partie média).

Les agents municipaux n’ont cependant visiblement pas apprécié le comportement de leurs interlocuteurs de Big City Life lors du processus d’audit. « L’analyse porte sur les éléments que l’association a bien voulu mettre à disposition du contrôle de gestion. L’association a refusé le contrôle sur place et sur pièces tel que proposé en préalable. Les éléments […] ont été transmis pour les derniers d’entre eux […] cinq semaines après la date convenue », taclent‐ils.

Demeure une question de fond : comment Big City Life a pu se voir confier par la Ville de Nantes la gestion d’un nouveau lieu, Décadanse, au vu de tous ces éléments inquiétants qui confirment les faits et chiffres de notre enquête du printemps  dernier ? Selon nos informations, le soutien à l’association susciterait un grand malaise au sein des services, au‐delà de cet audit.

Décadanse crée des remous au sein de la mairie de Nantes

Le direction culture et le service jeunesse et vie associative tente chacun de se repasser le dossier. « Une bonne blague circulait à un moment : « Pourquoi on ne donnerait pas la gestion de la Scène Michelet à Big City ? » On a halluciné quand c’est devenu réalité… », glisse un fonctionnaire à Mediacités.

À en croire plusieurs sources, c’est Johanna Rolland elle‐même qui aurait approuvé l’occupation pour trois ans de la salle de concert rock par Big City Life. Techniquement, c’est d’ailleurs la Ville qui a signé le bail avec le propriétaire, versant le loyer que doit lui rembourser l’association via une convention d’occupation.

Une sacrée protection en cas d’impayé alors que le premier adjoint Bassem Asseh répétait cet été « qu’il y a zéro subvention pour le lieu en tant que tel. Big City Life porte son projet lui‐même avec son propre équilibre économique ». Pour l’heure, l’association a racheté le matériel scénique de la salle de 150 places, « réembauché » les trois intermittents qui travaillaient sur place et ouvert un poste au recrutement pour un projet (déjà) qualifié d’« immense réussite » par l’association. Par ailleurs, Big City Life a décidé de séparer ses activités strictement associatives de ses activités événementielles commerciales.

À la suite de la publication de notre enquête initiale le 31 mars, nous avons demandé à plusieurs reprises (à l’écrit et à l’oral) à Mahaut Bertu, adjointe à la vie associative, de nous communiquer l’audit Big City Life lorsqu’il serait finalisé. Suite à la conférence de presse de présentation de Décadanse le 31 août, nous avons réitéré notre demande auprès de la Ville de Nantes. Sans succès.

Nous avons donc saisi la Cada (Commission d’accès aux documents administratifs) le 2 septembre. Cette dernière a répondu favorablement à notre requête le 8 novembre. Le document nous a été communiqué par la Ville de Nantes le vendredi 16 décembre.

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Par Thibault Dumas

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