Malgré ses déplacements de l’entre-deux tours à Lens, Liévin et Carvin, Emmanuel Macron n’a pas su convaincre les habitants du bassin minier du Nord‐Pas‐de‐Calais. Lors du second tour de l’élection présidentielle, les électeurs de la région ont assez largement plébiscité la candidate du Rassemblement national (RN). Marine Le Pen arrive ainsi en tête dans la quasi‐totalité des villes de ce territoire populaire en mutation sociale, économique et politique. Ces résultats sont‐ils le signe d’un basculement complet de cet ancien bastion de gauche au profit de l’extrême droite ? Une analyse électorale fine permet de nuancer cette idée.
Une dynamique bleu Marine qui s’accentue lors de ce second tour
On pouvait s’y attendre, Marine Le Pen, qui avait déjà réalisé de très bons scores en 2017, confirme et termine en tête dans le bassin minier du Nord‐Pas‐de‐Calais avec une moyenne de 60 % lors de ce second tour en progressant même de 5 % par rapport à 2017. Elle réalise des scores encore plus élevés dans les deux communes frontistes de ce territoire que sont Hénin‐Beaumont (67 %) et, plus récemment acquise, Bruay‐la‐Buissière (69 %).
On peut aussi observer de très bons scores dans des villes de gauche, avec jusque 77 % à Marles‐les‐Mines ou 57 % à Lens, bastion socialiste. Ces résultats sont même souvent en hausse par rapport à 2017. Elle progresse de 130 000 voix dans le Nord‐Pas‐de‐Calais. À Lens, par exemple, Marine Le Pen avait obtenu 7 316 voix au second tour de 2017 contre 7 631 cette année. Même son de cloche pour Hénin‐Beaumont, où elle gagne 875 voix par rapport à 2017.
Le bassin minier est une terre de courageux et de travailleurs. Pour ses habitants, j’avais pris des engagements clairs, nous avons posé les bases, mais il faut accélérer. Je viens faire le point avec les élus et les acteurs locaux. pic.twitter.com/vLid3yIuZT
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) February 2, 2022
Ces différentes percées se font au détriment du président sortant qui recule en partie dans ce territoire par rapport au second tour de 2017. Dans le Nord‐Pas‐de‐Calais, Emmanuel Macron perd 65 000 voix. Et cette chute est encore plus forte dans les villes au cœur du bassin minier. À Lens, il perd 796 voix et obtient 42 % des suffrages contre 46 % en 2017. Même à Valenciennes, l’une des rares mairies de droite du bassin minier – et l’une des rares plaçant Emmanuel Macron en tête –, il perd 708 voix, passant de 63 % en 2017 à 58 % aujourd’hui.
Mais cette analyse ne saurait être complète sans porter une attention particulière à l’abstention, qui – comme le vote pour Marine Le Pen – est toujours plus élevée dans le bassin minier que dans le reste de la France. Même si elle est moins spectaculaire que ce qu’on pouvait attendre, elle est en moyenne à 28 % dans le bassin minier (+3 % par rapport à la moyenne nationale) et atteint des sommets dans certaines villes, comme Lens avec 37 % (+2,5 % par rapport à 2017). Rapporté à cette abstention, ça n’est « que » une électrice ou un électeur sur trois qui a voté pour Marine Le Pen lors de ce second tour dans le bassin minier.
Un premier tour faisant émerger trois pôles politiques
Si Emmanuel Macron perd des voix lors du second tour, les résultats du premier montrent une autre réalité. Dans le Pas‐de‐Calais, il récupère la deuxième place, occupée par Jean‐Luc Mélenchon en 2017, et gagne 40 000 voix entre 2017 et 2022, le faisant passer de 18 à 24 %. Progression encore plus nette dans le Nord, où il gagne 6 % entre 2017 et 2022, terminant à 26 %. Cette tendance s’observe aussi dans le bassin minier : il gagne quatre points à Lens, deux à Hénin‐Beaumont et jusqu’à six à Béthune.
Ces résultats peuvent se comprendre au regard de la chute des partis traditionnels tels que Les Républicains (LR) et le Parti socialiste (PS). Si, contrairement à LR, le PS a été très fort dans ce territoire, les deux partis observent une chute continue de leurs scores : Anne Hidalgo et Valérie Pécresse ne dépassent quasiment jamais les 2 % dans le bassin minier. De par son positionnement politique entre les deux candidates, c’est probablement le président sortant qui a le plus bénéficié de cette chute.
L’écologiste Yanick Jadot sous‐performe lui aussi fortement dans le bassin minier, ne dépassant que très rarement les 2,5 % alors qu’il obtient 4,7 % des suffrages au niveau national. Quant au communiste Fabien Roussel, élu député dans ce bassin minier en 2017, il y réalise de meilleurs scores que dans le reste de la France, étant régulièrement au‐delà de la barre des 4 % – avec un pic à plus de 12 % dans le fief communiste d’Avion.
À gauche, c’est Jean‐Luc Mélenchon, qui, comme au niveau national, se retrouve largement en tête. Mais il n’a pas convaincu autant dans le bassin minier qu’il a pu le faire à Lille, par exemple, où il a recueilli 40,5 % des suffrages. Dans ce territoire encore fortement marqué par la gauche, l’insoumis souffre de la division avec le Parti communiste français (PCF) et ne recueille que rarement plus de 20 % des suffrages (22 % à Lens et Carvin).
C’est bien Marine Le Pen qui termine en tête dès ce premier tour dans le bassin minier. Elle dépasse quasiment toujours les 40 % avec des pics très élevés dans ses fiefs, 51 % à Hénin‐Beaumont et 52 % à Bruay‐la‐Buissière. Mais elle réalise aussi de très bons scores dans de plus petites villes comme Auchel avec 50 % des suffrages ou Noeux‐Les‐Mines avec 48 %. Dans ce territoire du bassin minier, elle a pu profiter du faible score de son concurrent à l’extrême droite, Éric Zemmour, qui y réalise des résultats plus faibles que dans le reste de la France. Il monte peu au‐dessus des 5 % et obtient ses meilleurs scores dans les très rares villes plaçant Emmanuel Macron en tête de ce premier tour, comme Drouvin‐le‐Marais (8,5 %) ou Vaudricourt (8 %).
Une tendance qui pourrait s’inverser ?
Pas de grandes surprises dans le bassin minier, donc. Les résultats de cette présidentielle s’insèrent dans des dynamiques profondes, de long terme et qui touchent l’ensemble du territoire : les percées de plus en plus fortes du RN, la perte de vitesse du PS et l’augmentation – plus légère que prévu néanmoins – de l’abstention. Les éléments permettant d’expliquer ces tendances sont multiples et se jouent à plusieurs échelles.
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La sociologie du bassin minier correspond assez bien à une partie de l’électorat Le Pen. On y observe une sur‐représentation d’ouvriers, d’employés, de personnes avec un faible niveau de diplômes et de salaires et on sait que Marine Le Pen réaliste de bons scores chez ces franges de la population. Ces résultats s’expliquent ainsi davantage par proximité sociologique – entre les profils des habitants du bassin minier et une partie de l’électorat RN – que par une supposée proximité idéologique plus forte dans le bassin minier qu’ailleurs. Cet électorat populaire permet aussi de comprendre les faibles scores d’Éric Zemmour, qui réussit mieux dans des territoires plus aisés et historiquement de droite.
Même constat pour le candidat écologiste, dont la base électorale se concentre bien plus dans les métropoles que dans les territoires populaires comme le bassin minier. C’est plus surprenant pour le candidat de la France insoumise (LFI), qui semble avoir plus convaincu dans les territoires populaires proches des métropoles (52,5 % à Roubaix) que dans le bassin minier. Enfin, cette sociologie populaire permet de mieux comprendre l’abstention, dont on sait qu’elle touche plus fortement les personnes les plus précarisées.
Autre élément important à prendre en compte, le caractère national de la campagne. Au niveau local, le bassin minier reste dirigé par la gauche – le RN ayant parfois du mal à présenter des candidats issus du territoire. L’élection présidentielle s’apparente à un autre contexte, dans lequel les enjeux nationaux prennent le pas sur l’ancrage local. Plusieurs électeurs rencontrés lors de mon travail de thèse ont expliqué avoir voté à gauche pour les élections municipales à Lens – le maire PS sortant, Sylvain Robert, a été réélu dès le premier tour –, mais pour Marine Le Pen à la présidentielle.
Dans un contexte de désunion des gauches, le Rassemblement national a su incarner une offre politique permettant de canaliser les différentes colères des habitants du bassin minier, dénonçant tour à tour les « élites » et « l’assistanat ». Mais l’enjeu pourra se révéler bien différent lors des élections législatives. Si plusieurs circonscriptions de ce territoire ont été récupérées en 2017, c’était dans un contexte de division de la gauche, avec souvent des candidats distincts pour LFI, le PS et le PCF. L’union qui semble cette fois se dessiner pour les élections à venir dans le cadre de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES) pourrait inverser la tendance : un candidat unique pourrait bénéficier de l’influence encore forte de la gauche au niveau local.
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