Lyon, berceau perdu du macronisme

En 2017, la ville de Gérard Collomb avait activement participé à l’émergence puis à la victoire d’Emmanuel Macron. Un quinquennat plus tard, le mouvement présidentiel y a des allures de champ de ruines. La faute aux querelles internes mais aussi à l’incapacité - voire au refus - de La République en marche de se structurer en véritable parti.

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Emmanuel Macron et Gérard Collomb, à Lyon, en septembre 2017. Le second était alors ministre de l'Intérieur. Photo : Sipa.

Bien sûr, il votera Emmanuel Macron ce dimanche 10 avril. Qui d’autre ? « Je reste européen, progressiste et social‐démocrate… Malgré tout, je me retrouve en lui », confie Jean‐Baptiste Ducatez, « marcheur de la première heure » et ancien socialiste, tendance Strauss‐Kahn. Mais ce sera sans l’enthousiasme de 2017. À l’époque, ce chef d’entreprise de la région lyonnaise avait participé avec un petit groupe de Lyonnais piloté par Jean‐Marie Girier, alors chef de cabinet de Gérard Collomb, à la mise sur orbite du futur président. « Je me rappelle même avoir été son chauffeur entre la gare Part‐Dieu et le musée des Confluences pour le sommet des réformistes européens [en septembre 2016] », s’amuse-t-il.

Un quinquennat plus tard, Jean‐Baptiste Ducatez dit avoir « pris beaucoup de recul ». Celui qui a supervisé l’implantation de La République en marche (LREM) dans l’Est lyonnais a rendu son tablier d’animateur du comité de Genas. Il a aussi quitté les multiples boucles Telegram du mouvement, messagerie prisée des militants. « On est nombreux à être parti, la mayonnaise n’a pas pris, conclut‐il. Lyon n’est plus le phare d’En Marche qu’elle a été. »

Du berceau au labo des écolos

D’une image à l’autre : au lendemain de l’accession d’Emmanuel Macron à l’Élysée, la ville de Gérard Collomb est perçue comme « le berceau du macronisme ». Séduit avant tout le monde par le ministre de l’Économie de François Hollande, le baron local lui a mis à disposition des troupes – celles de la fédération socialiste du Rhône -, un dispositif opérationnel – une partie de ses collaborateurs dont l’indispensable Jean‐Marie Girier – et même une esquisse de logiciel politique – rassembler centre gauche et centre droit. Les Lyonnais suivent : au premier tour de l’élection présidentielle, ils plébiscitent Emmanuel Macron avec 30,31 % de leurs voix. C’est six points de plus que la moyenne nationale.

Depuis, le « berceau » est devenu « labo », mais celui des écologistes qui ont emporté la Ville et la Métropole en 2020. La Macronie locale, déchirée cette année‐là, n’en finit pas de panser ses plaies [lire plus bas]. Et le parrain des débuts, Gérard Collomb, bien que choyé à coup de Légion d’honneur, représente désormais plus une menace qu’un atout [lire également plus bas]. « Plus personne n’ose aujourd’hui parler de berceau », convient Jérôme Payen, qui fut chef de cabinet de l’ex-maire de Lyon. 

« Cette image facile était un peu usurpée, pense l’ancien animateur d’un comité lyonnais de LREM, qui souhaite rester anonyme. Elle convenait à la volonté de Gérard Collomb de rayonner au‐delà de sa ville. » Le contraste avec 2017 n’en reste pas moins saisissant : l’an dernier, lors des élections régionales, Lyon n’a voté « qu’à » 16,46 % pour le candidat LREM (dans un contexte d’abstention massive). « Notre électorat ne s’est pas rendu aux urnes alors qu’on avait pourtant reçu un très bon accueil pendant la campagne », veut nuancer Sarah Peillon, référente du mouvement dans la Métropole de Lyon.

« Le parti n’a jamais été un outil jugé important ou nécessaire par Emmanuel Macron »

L’élue du 7e arrondissement, aussi nommée « correspondante départementale » de la campagne d’Emmanuel Macron, assure que l’élection présidentielle de 2022 ravive la flamme macroniste des Lyonnais : « J’enregistre 50 nouveaux adhérents par semaine et plus de 1 000 militants du Rhône étaient présents au meeting du candidat à La Défense Arena. » Même discours d’Allan Bouamrane, référent départemental des Jeunes avec Macron (JAM). « Notre boucle Telegram rassemble 170 personnes et beaucoup de nouveaux nous ont rejoints ces derniers mois, revendique‐t‐il. Les profils sont plus variés qu’en 2017, plus jeunes. Certains sont passés par LR et auraient pu se retrouver, à une époque, en Nicolas Sarkozy. » 

Las ! Cet apparent regain ne masque pas le mirage qu’est devenu, en cinq ans, La République en marche à Lyon. « La plupart des comités ont disparu de leur belle mort, constate un ancien militant qui a laissé tomber au moment des élections européennes de 2019. LREM, qui promettait un renouvellement, n’est plus qu’une machine électorale et de communication au service des carrières politiques de quelques‐uns. » « Le parti n’a jamais été un outil jugé important ou nécessaire par Emmanuel Macron, abonde Jean‐Baptiste Ducatez. La preuve : nous sommes restés plus d’un an sans référent [avant la nomination de Sarah Peillon en septembre dernier] alors que Lyon est censée être la capitale du macronisme… » 

« Les nouveaux venus en politique autour du président de la République n’ont pas compris ce qu’est un mouvement, l’importance des réunions militantes, du travail sur les idées, poursuit le chef d’entreprise. Résultat, il manque aujourd’hui de relais et son mouvement est condamné : LREM mourra au plus tard dans cinq ans, car il n’a pas d’avenir en dehors d’Emmanuel Macron. »

Macronie éparpillée façon puzzle

Entre 2017 et 2019, Caroline Collomb, alors référente départementale du parti présidentiel, avait pourtant multiplié les rencontres entre militants et les conférences avec des ministres et autres figures de LREM. Mais sa personnalité, son fonctionnement et l’étiquette de « femme de », patronne du mouvement par le fait du Prince, a divisé et démobilisé une partie des troupes. « La République en marche est un mouvement à l’état gazeux, sans doctrine. Cela s’explique par le fait que ce n’est pas le parti qui a amené Emmanuel Macron au pouvoir, mais l’inverse », analyse le politologue lyonnais Philippe Dujardin.

Mal‐aimée, décriée, Caroline Collomb s’incruste dans le paysage lyonnais

Dans ce contexte, l’interminable guérilla que se sont livré les clans Collomb et Kimelfeld avant et pendant les élections municipales et métropolitaines a fini de ruiner les fondations du « berceau ». « On était trop divisés pour rester crédibles », regrette Jimmy Brumant, ancien référent des JAM du Rhône, toujours « sympathisant ++ ».

Stigmate de cette période, la Macronie locale reste éparpillée façon puzzle : deux groupes politiques au conseil municipal de Lyon, trois (avec Synergies) au conseil métropolitain du Grand Lyon. « Très honnêtement, le conflit entre Gérard Collomb et David Kimelfeld, il n’y a plus que les journalistes qui m’en parlent, jamais les militants », minimise Sarah Peillon. La référente souligne que les deux hommes ont apporté leurs parrainages à Emmanuel Macron. « Mais les rancœurs restent tenaces et les plaies sont loin d’être refermées », observe Jérôme Payen.

De fait, le microcosme prête à Gérard Collomb l’intention d’aligner quelques fantassins aux élections législatives de juin prochain pour faire perdre, parmi les députés LREM, ceux qui furent les soutiens les plus zélés de David Kimelfeld (Thomas Rudigoz, Anne Brugnera). Sollicité, l’ancien ministre de l’Intérieur n’a pas répondu à notre demande d’interview. L’un de ses proches, le conseiller métropolitain Louis Pelaez, se montre plus explicite. Lui n’a pas accordé son parrainage à Emmanuel Macron, ni à aucun autre prétendant à l’Élysée. « Cela me permettra de soutenir ou de ne pas soutenir certains candidats aux législatives ou d’être moi‐même candidat. On verra… », fait‐il planer le doute. « Louis Pelaez n’a jamais été membre de LREM. Les militants ne le connaissent pas », cingle Sarah Peillon.

« Je sais, cher Gérard, tout ce que je vous dois »

Signe que le pouvoir souhaite ménager « Gégé », comme l’appelait Brigitte Macron, l’ex-baron de Lyon a été décoré de la Légion d’honneur, le 8 mars dernier, par le président de la République. « Je sais, cher Gérard, tout ce que je vous dois », lui lance Emmanuel Macron. Mais l’assistance invitée ce soir‐là à l’Élysée raconte mieux qu’un long discours les divisions qui minent toujours la Macronie lyonnaise : sont présents les grognards de l’ancien système Collomb (Bernard Rivalta, Jean‐Michel Aulas, Jean‐Yves Sécheresse) et les derniers ralliés venus de la droite (Christophe Geourjon, Yves‐Marie Ulhrich), pas les députés et cadres de La République en marche du Rhône. Caroline Collomb, qui avait cru avant son mari au destin d’Emmanuel Macron, est également absente.

Le président‐candidat peut‐il malgré tout compter sur Lyon pour décrocher un second mandat ? « Je parie qu’il fera ici un de ses meilleurs scores dimanche, entre 30 et 35 % des voix, pronostique Allan Bouamrane. Sociologiquement, notre électorat – les bobos urbains – ressemble à celui des Verts. » « Le « ni droite, ni gauche » correspond encore à ce que veut Lyon », pense Jimmy Brumant. 

Ce mardi 5 avril, les marcheurs du Rhône et leurs partenaires organisaient « un meeting de fin de campagne », avec en vedettes la ministre Agnès Pannier‐Runacher et le patron des députés LREM Christophe Castaner. Lieu du rendez‐vous : la salle polyvalente de la Ficelle, à la Croix‐Rousse. Capacité : 600 personnes debout. Le 4 février 2017, au Palais des sports de Gerland, Emmanuel Macron avait donné le coup d’envoi de sa campagne devant plus de 12 000 partisans.

Les trois mousquetaires lyonnais

La place particulière de Lyon au sein du système macroniste tient aussi aux hommes de l’ombre passés de Gérard Collomb au pouvoir parisien. Comme mentionné plus haut, Jean‐Marie Girier, chef de cabinet de l’ancien président du Grand Lyon, a d’abord suivi son mentor place Beauvau avant de rejoindre le cabinet de Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale. Très actif pendant la campagne présidentielle de 2017, puis au sein de LREM (il fut notamment membre de la commission nationale d’investiture du parti pour les élections locales de 2020), le discret Girier a rompu avec la politique politicienne : à l’été 2020, Emmanuel Macron l’a promu préfet à 36 ans. Il est actuellement en poste dans la Vienne.

Arthur Empereur, ancien collaborateur du sénateur Gérard Collomb, avait la main sur les réseaux sociaux du baron lyonnais. Lui aussi a suivi son patron au ministère de l’Intérieur. Il y est resté sous Christophe Castaner avant de rejoindre Matignon au moment de la nomination de Jean Castex. Il a fait sa réapparition dans la région l’an dernier, candidat au scrutin régional en Savoie.

Enfin un dernier collaborateur avait accompagné Gérard Collomb à Paris, sa plume Jonathan Guémas. Il a rejoint le palais de l’Élysée quand le Lyonnais a décidé, en octobre 2018, de quitter le gouvernement avec perte et fracas. Ce normalien, récemment dépeint en « porte d’entrée secrète du cerveau d’Emmanuel Macron » par L’Express, y rédige toujours les discours du président de la République. Il s’est également piqué de politique électorale en se présentant l’an dernier sur les listes régionales LREM en Bretagne.

Le politologue Philippe Dujardin décèle l’influence de Jonathan Guémas quand le chef de l’État invoque « le solidarisme », doctrine forgée sous la IIIe République qui cherche une voie médiane entre libéralisme et socialisme. « Emmanuel Macron fait la balance en permanence entre le marché et l’État, décrit le chercheur. Balance parfaitement incarnée en leur temps par Raymond Barre puis Gérard Collomb, à Lyon. » On y revient.

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Par Nicolas Barriquand

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