Des « députés playmobil ». L’image a collé aux élus de la majorité présidentielle tout au long de la législature : celle d’un groupe de parlementaires interchangeables qui votent comme un seul homme les projets de loi du gouvernement. Correspond‐elle à la réalité ? Mediacités s’est plongé dans les votes des 12 députés macronistes élus en 2017 dans le Rhône. Huit d’entre eux tenteront, ce dimanche 19 juin, de prolonger leur bail à l’Assemblée nationale. Lesquels ont suivi à la lettre les consignes de leur parti ? Lesquels s’en sont émancipés ?
Si on met de côté Hubert Julien‐Laferrière, passé en cours de mandat de La République en marche (LREM) à la galaxie écologiste (il est membre de Génération écologie et a été investi, dans la 2e circonscription du Rhône, par la « Nouvelle union populaire » de Jean‐Luc Mélenchon), une élue se distingue : Blandine Brocard. Candidate à sa réélection dans le 5e circonscription, qui englobe Caluire‐et‐Cuire, le val de Saône et une partie des Monts d’Or, elle est arrivée en tête du premier tour, ce 12 juin, avec 36,11 % des voix. Elle affrontera, dimanche, le socialiste Fabrice Matteucci, investi par la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes).
Sur l’ensemble de ses 146 votes à l’Assemblée nationale, la députée Brocard s’est prononcé à 9 reprises contre son camp sur cinq sujets différents. Sont considérés comme des votes les « contre », les « pour » et les « abstention » collectés en amont sur le site de l’observatoire de l’activité parlementaire Nos Députés. Neuf sur 146, le rapport peut sembler dérisoire ? Certes, mais la nature des lois sur lesquelles l’élue diverge de son groupe interpelle.
Absente lors des votes 2 fois sur 3
Au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, Blandine Brocard s’est notamment opposée à des textes qui portaient sur des sujets sociétaux : avortement et Procréation médicalement assistée (PMA). Sur 9 votes contre, 4 portent sur les différents amendements du projet de loi relatif à la bioéthique présenté par le second gouvernement d’Édouard Philippe et un sur la proposition visant à étendre le droit à l’avortement portée par Albane Gaillot, députée LREM, en décalant de deux semaines le délai légal pour l’Interruption volontaire de grossesse. « A 14 semaines [contre 12 auparavant], ce n’est plus du tout le même acte », se justifie Blandine Brocard.
Par ailleurs, la députée n’a pas voté à 280 reprises sur les 426 scrutins de la législature – à ne pas confondre avec ses abstentions qui sont au nombre de 9 – ce qui lui vaut un taux de non‐participation de 65,7%. Le site de vulgarisation parlementaire Datan, qui ne comptabilise que les votes dits solennels – c’est-à-dire considérés comme importants – indique que la députée vote moins souvent que la moyenne des députés de son groupe politique.
Au fil des ans, les députés sortants du Rhône ont de moins en moins participé au vote des lois (votes sur l’ensemble du texte d’une loi). Jusqu’à 98% de non‐participation pour @yves_blein en 2022. Faut‐il s’en inquiéter ? Décryptage à lire sur @Mediaciteshttps://t.co/0ioq7daCZd
— Mediacités Lyon (@MediacitesLyon) June 10, 2022
Blandine Brocard, députée indisciplinée ? « Je suis loyale envers le président de la République mais un poil à gratter pour réfléchir autrement », rétorque‐t‐elle. En 2020, la députée du val de Saône a toutefois quitté les rangs de La République en marche pour le MoDem. Elle fustigeait alors une « dérive vers une sorte de bien‐pensance » de la part de son groupe.
« On a du mal à identifier les combats qu’elle mène »
Où se situe‐t‐elle politiquement ? « Sur certaines choses je peux être très tradi et le contraire sur d’autres où on ne m’attend pas du tout… », répond‐elle, sans fournir d’exemples. L’analyse de ses votes montre parfois des choix plus progressistes que ses positions sur la PMA ou l’avortement, comme sur des textes portant sur l’interdiction des thérapies de conversion ou encore l’adoption. « Mais on a quand même du mal à identifier les combats qu’elle mène », considère Fabrice Matteucci, son adversaire du second tour.
Selon Nathan Guedj, co‐secrétaire d’Europe écologie‐Les Verts (EELV) Rhône, candidat dans la 5e circonscription avant de se retirer après l’accord de la Nupes, « elle a pris les pires côtés de LREM avec des positions assez réactionnaires ». « Blandine se fout d’être de droite ou de gauche, considère Renaud George, l’ancien maire LREM de Saint-Germain-au-Mont‑D’or qui avait impulsé sa candidature en 2017. C’est une vraie centriste. »
Aucun rapport à son actif
Quand on l’interroge sur son bilan, Blandine Brocard affirme avoir porté un réel intérêt pour la question du handicap. « Cela m’est arrivé en pleine poire pendant mon mandat », lâche la députée. Elle raconte avoir été marquée par l’histoire d’un père de famille qui n’arrivait pas à scolariser sa fille handicapée, raison pour laquelle elle a appuyé le projet d’ouverture du collège spécialisé « Nescens », dans le quartier Montessuy à Caluire‐et‐Cuire.
« Blandine Brocard est arrivée au début du projet, en 2018. Elle n’a pas cessé de soutenir le collège, jusqu’au cabinet de Jean‐Michel Blanquer [ex‐ministre de l’Éducation], confirme Sébastien Duvanel, le père de famille à l’initiative de l’établissement. Elle nous a par exemple invités au restaurant avec le recteur pour faire tomber les barrières de la mise sous contrat du collège. » Plus récemment, la députée a aidé « Nescens » à trouver de nouveaux locaux pour que le collège s’agrandisse, ajoute‐t‐il.
Mais, au cours du mandat, cet intérêt pour le sujet du handicap ne s’est traduit que par de timides prises de parole – 4 questions orales sans débat en hémicycle et une question à Sophie Cluzel, la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées en commission – et très peu d’écrits. La députée ne comptabilise aucun rapport ou proposition à son actif, et aucun de ses amendements n’est en lien avec le handicap.
L’activité de la députée a été bien plus dense au moment du projet de loi bioéthique. Elle a alors déposé 107 amendements visant à modifier le texte initial. L’analyse des votes de la députée montre par ailleurs qu’elle n’a pas voté sur l’ensemble de la proposition de loi destiné à lutter contre la précarité des accompagnants d’élèves en situation de handicap et des assistants d’éducation en janvier dernier.
Cet article ayant été réalisé dans le cadre d’un travail étudiant du master de journalisme de données et d’enquête du CFJ‐Sciences Po Lyon, en partenariat avec Mediacités, et sans rémunération des auteurs de la part de notre journal, nous le publions en accès libre.
La rédaction de Mediacités
« Petite » erreur dans votre article quand vous dite qu’aucun de ses amendements ne portait sur le domaine du handicap. Nombre des 107 amendements sur bioéthique étaient en rapport, dont certains adoptés comme celui sur la DPI‑A.