Dans le capharnaüm des déclarations d’activités et d’intérêts des députés du Rhône

Depuis leur élection en 2017, les députés sortants du Rhône ont soumis près d’une centaine de déclarations de changement de situation auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Mediacités les a passées au crible. Entre incohérences et approximations, l’examen de ces documents révèle les failles et les limites d’un système de transparence inachevé.

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Illustration : P.Leibovici/Mediacités.

Alors que huit d’entre eux tenteront de conserver leur place à l’Assemblée nationale ce dimanche 19 juin, les 14 députés sortants du Rhône ont‐ils gardé d’autres activités en parallèle de leur mandat qui s’achève ? Pour répondre à cette question d’apparence simple, Mediacités s’est plongé dans les déclarations d’activités et d’intérêts des élus du département qui siègent ou ont siégé, au cours des cinq dernières années, à l’Assemblée nationale.

Les parlementaires, ainsi que d’autres élus [voir l’infographie ci‐dessous] sont tenus de remplir de telles déclarations auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), institution indépendante créée en 2013 suite à l’affaire Cahuzac. Or, d’incohérences en négligences, notre exploration des déclarations met surtout en lumière les failles du travail de transparence que devrait mener la HATVP.

 

1/ Des données difficiles à « exploiter »

Qui souhaite connaître les déclarations de son député (ou d’un autre élu) peut simplement se rendre sur le site de la HATVP afin de consulter la déclaration d’activités de celui‐ci. Pour les déclarations de patrimoine, il faut en revanche se rendre en préfecture. Dès cette étape, un problème se pose : les déclarations disponibles sur le site correspondent soit à des fichiers en format PDF difficilement « exploitables », soit à des fichiers en format XML faiblement structurés. Autrement dit, impossible ou presque d’en extraire automatiquement les informations pour établir des comparaisons ou des analyses à grande échelle. Il faut donc éplucher les déclarations de chaque élu, « à la main ». Premier frein dans l’accès aux données.

Autre limite : conformément à la loi, dans le cas d’une démission, la HATVP supprime les déclarations du député dès qu’il quitte l’Assemblée nationale, sans attendre la fin de la législature. Dans le Rhône, entre 2017 et 2022, deux parlementaires ont abandonné leur mandat au palais Bourbon : Bruno Bonnell (LREM), au début de cette année, pour piloter le plan d’investissement du gouvernement France 2030 et Patrice Verchère, en 2020, après son élection comme maire de Cours. En utilisant des archives du web, Mediacités a toutefois réussi à se procurer une partie des déclarations de ces deux anciens députés.

À noter toutefois que, depuis sa naissance, la Haute Autorité a fait des progrès en termes d’accessibilité aux informations. Les premières années, les déclarations étaient remplies à la main par les élus et simplement scannées pour être diffusées sur le site de la HATVP.

 

2/ Des déclarations incomplètes et incohérentes

La lecture des déclarations permet vite de distinguer les bons des mauvais élèves. De nombreux documents sont incomplets, comportent des erreurs ou sont approximatifs sur certaines activités, bénévoles ou rémunérées. Un exemple ? Cyrille Isaac‐Sibille, député MoDem de la 12e circonscription du Rhône (arrivé en tête lors du premier tour), déclare conserver une activité de gérant de son cabinet médical. Or, aucune rémunération n’est indiquée après l’année 2018, date de sa deuxième et dernière déclaration. A‑t‐il omis de mentionner certains revenus ? A‑t‐il au contraire cessé toute activité médicale rémunérée à partir de 2018 ? Contacté pour clarifier sa situation, le député n’a pas répondu à nos sollicitations ni à nos questions précises transmises par mail.

L’exemple de la dernière déclaration du parlementaire MoDem, vieille de quatre ans, illustre un suivi erratique des activités des élus. « Il faudrait mettre en place une mise à jour annuelle automatique de ces déclarations, plaide Kévin Gernier, directeur juridique de l’ONG Transparency International France, car la HATVP n’a pas les moyens de traquer tout le monde. » « Oui, la perspective d’un tel dispositif [déclaration annuelle obligatoire] aurait sans nul doute des effets dissuasifs qui allégeraient l’important travail de relance mené par la Haute Autorité pour recueillir les déclarations des personnes en défaut », convient‐on du côté de l’institution.

« Il faut acquérir un réflexe déontologique »

Dans la partie sur ses participations financières, le même Cyrille Isaac‐Sibille annonçait détenir des actions de plus de 30 groupes lors de sa première déclaration en 2017. Surprise, en 2018, plus aucune information n’apparaît à ce sujet dans sa déclaration rectificative. Ceci explique cela ? Au début de cette même année, Mediacités avait pointé que le député détenait des actions chez Sanofi et, qu’avant son entrée à l’Assemblée nationale, il entretenait des liens d’intérêts avec des laboratoires pharmaceutiques. A‑t‐il vendu l’ensemble de ses actions après notre publication ? Là encore, le député n’a pas donné suite à nos questions.

D’autres déclarations comportent des approximations comme celle de Jean‐Louis Touraine, député LREM de la 3e circonscription (il ne se représentait pas) qui omet les dates précises de son activité de président d’une association dans le domaine de la santé. D’une façon générale, le fonctionnement de la HATVP pose la question du traitement des déclarations et rectificatifs tardifs. « Prenons l’exemple d’un député avocat qui a conservé son activité de conseil et qui travaille pour un nouveau client. Il est important qu’il mette à jour ses déclarations, illustre Kévin Gernier. Or, ce n’est pas forcément le cas. Il faut rompre avec cette attitude de traitement a posteriori des problèmes déontologiques et prévoir davantage d’anticipation. Autrement dit, acquérir un réflexe déontologique. »

Les députés n’ont pour obligation de remplir des déclarations qu’en début de mandat et de les mettre à jour qu’en cas de « modification substantielle ». Un concept un peu flou… D’autant que, comme elle le reconnaît bien volontiers, la HATVP constate « depuis plusieurs années l’inadéquation des sanctions pénales prévues pour les faits de non‐dépôt d’une déclaration ». L’institution plaide pour la mise en place de sanctions administratives, comme des amendes, pour plus d’efficacité et pour ne pas encombrer l’appareil judiciaire : « La sanction pénale devrait être conservée en cas de récidive ou d’absence de mise en conformité après sanction administrative. »

 

3/ Un système déclaratif peu contraignant

Comme les déclarations, le guide du déclarant, adressé à tous les élus, est mis à disposition en ligne. Les règles y sont claires, mais pas toujours respectées. Prenons les rémunérations. La HATVP préconise qu’elles soient renseignées en net avant imposition (même si la loi reste imprécise sur ce point‐là) pour en faciliter la compréhension. Or, dans une même déclaration, Yves Blein, député LREM de la 14e circonscription du Rhône (qualifié pour le second tour), mentionne des rémunérations en net puis d’autres en brut. Nous avons observé le même mélange dans les dossiers d’autres députés (Hubert Julien‐Laferrière et Thomas Rudigoz), sans pour autant qu’ils le corrigent au fil de leurs déclarations rectificatives.

 

Cet article ayant été réalisé dans le cadre d’un travail étudiant du master de journalisme de données et d’enquête du CFJ‐Sciences Po Lyon, en partenariat avec Mediacités, et sans rémunération des auteurs de la part de notre journal, nous le publions en accès libre.

La rédaction de Mediacités

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Temps de lecture : 4 minutes

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Par Arthur Dumas et Mahmoud Naffakh

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