Depuis 2020 et l’arrivée des écologistes aux manettes, les cantines scolaires des écoles maternelles et primaires de la ville de Lyon ont souvent attiré l’attention médiatique – souvenez‐vous de la polémique sur les menus sans viande, qui vient de rebondir tout récemment au tribunal administratif – beaucoup moins le contenu des assiettes des collégiens du Grand Lyon. Et pourtant, leurs déjeuners partagent un point commun avec ceux des écoliers lyonnais : la promesse formulée il y a trois ans par les verts Grégory Doucet et Bruno Bernard de proposer des « repas 100 % bio et 50 % local ». Le premier, maire de Lyon, a compétence sur les cantines des écoles, le second, président de la Métropole, sur celles des 84 collèges publics de son territoire.
Pour les cantines d’une partie de ces établissements, un nouvel appel d’offres, publié en novembre 2022, est en cours d’instruction par les services du Grand Lyon. D’une valeur totale d’environ 38 millions d’euros sur cinq ans et divisé en cinq lots, il choisira le ou les nouveaux prestataires qui assureront la restauration des collégiens dans une trentaine de collèges, de Maryse Bastié, à Décines, à Marcel Pagnol, à Pierre‐Bénite, en passant par le Gabriel Rosset, dans le 7e arrondissement de Lyon.
Repas sans viande dans les cantines de Lyon : les quatre actes d’une polémique en roue libre
Si la date à laquelle la Métropole rendra sa décision n’a pas encore été communiquée, cet appel d’offres doit permettre de concrétiser les engagements pris par les élus EELV sur la restauration collective de leurs jeunes administrés : un menu entièrement végétarien chaque semaine et une alternative végétarienne chaque jour mais aussi davantage de produits biologiques et locaux au menu. Jusqu’au « 100 % bio et 50 % local » promis ? Rien n’est moins sûr, la faute à une série d’obstacles que Mediacités a passé en revue.
Obstacle 1 : le 100 % bio, un objectif, pas une obligation
Première surprise à la lecture du nouvel appel d’offres : l’objectif martelé par les écologistes en 2020 d’atteindre 100 % de bio n’est pas une obligation. La progression de la part des aliments d’origine biologique est échelonnée sur toute la période du contrat, soit cinq ans donc. Il est précisé que le nouveau prestataire « devra atteindre obligatoirement 50 % minimum de produits biologiques ou en conversion vers l’agriculture biologique ou équivalent […] pendant les deux premières années scolaires du marché, et 75 % minimum pendant les trois années scolaires suivantes ».
75 %, seulement à partir de la rentrée 2025, et non 100 % ? L’objectif est bien de « dépasser ces paliers et de tendre vers 100 % de produits biologiques », défend auprès de Mediacités Jérémy Camus, vice‐président de la Métropole chargé de l’Agriculture et de l’Alimentation. Et certains produits – les fruits, les légumes, les œufs et le pain – devront être proposés en 100 % bio par les prestataires dès le début du contrat.
Mais la perspective de servir un jour des repas intégralement composés d’aliments issus de l’agriculture biologique relève de la promesse électorale intenable. Certaines denrées, comme les produits de la mer, rendent (pour le moment ?) cet objectif illusoire. « D’autant plus que sur le poisson, par exemple, se pose la question de l’arbitrage entre le bio et le local », souligne Jérémy Camus.
Obstacle 2 : le « local », entre 50 et… 200 kilomètres
Justement, qu’en est‐il de l’engagement « 50 % local » ? Tout aliment produit dans un rayon de 50 kilomètres autour de la place Bellecour est considéré par le Grand Lyon comme « local ». Ce périmètre a été déterminé en 2019, lors du précédent mandat, à l’occasion de l’élaboration de la Stratégie alimentaire territoriale, une feuille de route qui doit aider la Métropole à améliorer la durabilité et l’autonomie alimentaire de son territoire. Le rayon de 50 kilomètres, censé prendre en compte à la fois les besoins des Grands Lyonnais et les capacités de production des secteurs limitrophes de l’agglomération, permettrait d’assurer cette autonomie.
Mais… « ces 50 kilomètres sont symboliques », souligne Jérémy Camus. Autrement dit une projection intellectuelle, qui ne tient pas compte de la spécialisation de l’agriculture métropolitaine. Aujourd’hui, le Grand Lyon et sa périphérie manquent d’exploitations qui produisent de la viande, des légumes et des fruits. Résultat, le rayon effectif du « local » s’étend plutôt à 200 kilomètres autour de Lyon puisqu’il prend en compte « les frontières des départements adjacents à la Métropole, plus la Drôme et l’Ardèche afin d’avoir les produits les plus locaux possible pour ce qui nous manque », précise le vice‐président. Soit à une bonne distance de la place Bellecour…
Pour rappel, le programme distribué en 2020 aux électeurs par les candidats Doucet et Bernard promettait noir sur blanc : « 50 % des aliments [servis dans les crèches, les écoles et les collèges] seront d’origine locale, c’est-à-dire produits à moins de 50 kilomètres du lieu de consommation. »
Le « local », arme de séduction trompeuse de la grande distribution
Obstacle 3 : les entraves de la législation européenne
Que dit l’appel d’offres pour les 30 collèges sur le « local » ? Rien. Nous n’y avons retrouvé aucune obligation d’intégrer des produits locaux. Contractuellement, le ou les futurs prestataires seront seulement tenus à la « limitation des impacts environnementaux, notamment de l’empreinte carbone avec une attention particulière portée au transport et à la livraison des denrées (distance, type de véhicules) ». On ne peut faire plus vague. Et pour cause ! D’un point de vue légal, la Métropole ne peut pas mentionner ouvertement le terme « local » : selon le droit européen, un marché public ne peut pas être attribué sur la base de critères géographiques. La préférence régionale constitue une violation du principe européen de « loyauté dans la concurrence ».
Face à cette législation, de nombreuses collectivités, dont la Métropole de Lyon, militent pour l’instauration d’une « exception alimentaire ». En mars 2023, à l’occasion du salon de l’agriculture, la collectivité de Bruno Bernard a signé une tribune en ce sens. En invoquant le principe de l’« exception culturelle », les signataires appellent à lever les exigences européennes de libre‐échange pour les achats alimentaires. L’association Un Plus Bio, un réseau de cantines bio et locales auquel le Grand Lyon adhère, va plus loin : elle appelle à « sortir d’une logique de marché » car « l’alimentation n’est pas un objet comme les autres ».
Alimentation : « Nous devons imaginer de nouveaux modèles qui permettent d’agir, avec pragmatisme et efficacité, en faveur de la planification écologique » https://t.co/XxJh7S68f9
— Le Monde Planète (@lemonde_planete) March 3, 2023
Si ces principes européens s’appliquent à tous les marchés publics, il est pourtant possible pour les collectivités de contourner ces obligations. Ou de tenter de le faire. Elles peuvent ainsi recourir à la technique de l’allotissement, c’est-à-dire « constituer des lots les plus fins possible afin qu’ils soient adaptés à des producteurs du territoire », explique Inès Revuelta, coordinatrice de l’observatoire d’Un Plus Bio. Exemple : au lieu d’un lot pour englober l’achat de viande, de légumes et de riz, la collectivité peut opter pour des marchés publics spécifiques et saucissonnés. « Si je suis dans le Gard et que je fais un lot “riz de Camargue bio”, je me donne dix fois plus de chances d’obtenir une réponse d’un producteur local que d’un grossiste », illustre Inès Revuelta.
Pour contourner l’interdiction d’utiliser le mot « local » dans ses marchés, le Grand Lyon joue lui sur des critères de qualité en fonction des lots. « Au final, seuls quelques acteurs, le plus souvent locaux, peuvent y répondre », vante Jérémy Camus. Exemple avec le pain des cantines des collèges : les céréales sont fabriquées dans l’Est de la Métropole, mises en farine dans un moulin de Pierre‐Bénite puis transformées en pain quelques mètres plus loin.
Obstacle 4 : un calendrier contraint
Alors que les cantines des écoles de Lyon sont approvisionnées par une seule et même cuisine centrale (dont le marché a été réattribué à Elior en 2022), les repas des collégiens sont préparés par une myriade de structures, de nature parfois différente d’un établissement à l’autre : régie directe pour certaines, délégation de service public pour d’autres. D’autres encore sont « hébergées » dans des établissements tiers.
Résultat, tous les contrats ne partagent pas les mêmes échéances et la Métropole « récupère progressivement des marchés signés sous d’autres mandats », commente Jérémy Camus. Difficile dans ces conditions – pourtant connues avant l’élection de 2020 – de tenir sa promesse de façon uniforme pour les 80 et quelques collèges du Grand Lyon. « C’est un peu la contrainte de l’exercice, il ne correspond pas au temps des marchés », ajoute l’élu.
Obstacle(s) 5 : prix, quantités, saisonnalité
Proposer des menus bio et avec des produits locaux aux collégiens, combien ça coûte ? Sans surprise et comme le rappelle Alice Martin, animatrice restauration collective chez Agribio Rhône & Loire, une association de producteurs bio des deux départements, « l’inflation impacte la restauration collective ». Si le coût d’une assiette tourne aujourd’hui autour d’1,98 euro, ce montant pourrait passer à 3 euros environ dans les mois à venir. Sous l’effet de l’inflation donc mais aussi de difficultés d’approvisionnement.
Celles‐ci sont accentuées par les budgets de la Métropole alloués à l’achat des denrées. De fait, les agriculteurs locaux, avec une production diversifiée, n’ont pas toujours intérêt à travailler avec la collectivité. Selon Jacques Mathé, économiste rural à l’université de Poitiers, qui avait été sollicité pour la rédaction de la Stratégie Alimentaire Territoriale du Grand Lyon, « l’offre est plus contraignante qu’alléchante pour le producteur ». Il prend l’exemple des pommes de terre que son fils cultive : celui‐ci peut espérer vendre le kilo à « 1,25 euros à la ferme alors que la collectivité l’achète en général 40 centimes en faisant un énorme effort ».
A la question des prix, s’ajoute celle des quantités. La restauration collective requiert par définition d’importants volumes. Or, le territoire métropolitain ne dispose pas des capacités de production nécessaires pour satisfaire ces besoins. L’objectif actuel du Projet alimentaire du territoire lyonnais vise une autonomie alimentaire de 15 % d’ici à 2030 contre 4 % actuellement.
Des repas « 100% bio et 50% local » dans les cantines scolaires à Lyon ? Revoir notre #DébatRadar
La saisonnalité corse également les choses. Les débouchés des producteurs qui alimentent les cantines scolaires sont assurés de septembre à juin. Problème : lors du pic de production en juillet et en août, les établissements sont fermés. Charge aux agriculteurs de trouver des solutions alternatives pour écouler leurs marchandises.
La restauration collective, comme celle des collèges du Grand Lyon, se révèle‐t‐elle incompatible avec une agriculture bio, locale et diversifiée ? Sans nier les difficultés à surmonter, Jérémy Camus vante des partenariats de long terme entre la Métropole et les agriculteurs, des « engagements sur quatre, cinq voire six ans » qui permettent de leur assurer des débouchés.
L’élu insiste aussi sur « l’importance de structurer l’offre des producteurs ». En clair : faire appel à des coopératives de produits bio et/ou locaux (tels que Bio A Pro) afin de rassembler et d’organiser les agriculteurs d’un territoire et permettre ainsi la livraison de grandes quantités.
Obstacle 6 : l’urbanisation des terres agricoles
Comment produire localement si les surfaces agricoles du territoire ne cessent de disparaître sous l’effet de l’urbanisation ? Selon les chiffres de la Métropole, entre 2007 et 2017, près de 900 hectares ont été urbanisés sur le territoire métropolitain. Tous les jours et depuis dix ans, un hectare de terre agricole disparaît dans le département du Rhône [(re)lire aussi sur Mediacités : Grand Lyon : comment sauver les dernières terres agricoles de la bétonisation].
La Métropole semble s’être saisie de ces enjeux puisqu’elle a sanctuarisé près de la moitié (49%) de ses espaces naturels agricoles. Pour cela, elle cherche à étendre le nombre de surfaces en « Penap », l’acronyme de « Protection des espaces naturels et agricoles périurbains » et y consacre une enveloppe de 3,5 millions d’euros. Une contribution à l’objectif de « 50 % de local » dans les assiettes des collégiens.
Cet article ayant été réalisé dans le cadre d’un travail étudiant du master de journalisme de données et d’enquête du CFJ‐Sciences Po Lyon, en partenariat avec Mediacités, et sans rémunération des auteurs de la part de notre journal, nous le publions en accès libre.
La rédaction de Mediacités
Article intéressant mais à charge pour rien :
« D’un point de vue légal, la Métropole ne peut pas mentionner ouvertement le terme « local » : selon le droit européen, un marché public ne peut pas être attribué sur la base de critères géographiques. La préférence régionale constitue une violation du principe européen de « loyauté dans la concurrence ». »
Et oui il est très difficile de rédiger un marché en respectant la loi.
Deuxièmement,
« Il prend l’exemple des pommes de terre que son fils cultive : celui‐ci peut espérer vendre le kilo à « 1,25 euros à la ferme alors que la collectivité l’achète en général 40 centimes en faisant un énorme effort ». »
J’imagine que la quantité de ventes à la ferme est nettement inférieur au fait de vendre à plusieurs collectivités. Cela s’appelle l’économie d’échelle et cela marche dans les 2 sens, plus de ventes donc peut‐être plus de revenus pour l’agriculteur. Bien sûr l’écart est important et la rémunération juste des agriculteurs est primordiale.
Le défi du local et du bio sont immenses, ce que fait la métropole lyonnaise semble être une très belle avancée !
Bonjour,
Merci pour votre lecture et votre commentaire.
Pour répondre à votre reproche (« à charge pour rien »), la démarche de cet article était de confronter une promesse électorale avec la réalité de l’action de ceux qui l’ont formulée, en décortiquant les obstacles sur leur route, comme vous l’avez compris. Il n’y a pas d’article « à charge » sur Mediacités. Quand un engagement électoral a été un peu survendu (« 100% bio, 50% local »), comme c’est ici le cas, il est aussi important de le signaler sans omettre les avancées effectuées sur le sujet.
Merci encore, bien cordialement,
Nicolas Barriquand, pour Mediacités Lyon