Dures, dures, les négociations de la gauche pour une alliance aux législatives ! Il aura fallu cinq jours depuis que la présidentielle a rendu son verdict pour résoudre les nombreuses divergences de fond entre LFI d’un côté, EELV et le PS de l’autre et aboutir à l’esquisse d’un programme commun vendredi matin. Mais cela n’a pas clôt les discussions pour autant. Les socialistes ont même annoncé leur suspension dans l’après‐midi, peu après avoir dit qu’ils « souscrivaient » aux propositions des Insoumis.
C’est que derrière les nobles enjeux politiques se cachent des nécessités plus prosaïques. Celles‐ci émergent sous la crainte des socialistes de subir la « volonté hégémonique » du parti de Jean‐Luc Mélenchon. En clair, de ne pas se voir attribuer suffisamment de circonscriptions « gagnables », voire d’être empêché de présenter des candidats dans un maximum de circonscriptions. Le négociateur de Parti communiste – également invité à la coalition – a pour sa part très directement critiqué le fait que seules 165 circonscriptions dites « de qualité » aient été mises sur la table des négociations.
Or le nombre de candidats aux législatives est crucial. Il conditionne en effet l’accès aux financements publics des partis politiques. Et les résultats obtenus déterminent les montants qui seront versés au cours des cinq années suivantes. Ces paramètres de l’aide d’État sont évidemment aussi très surveillés dans le cadre de l’alliance réunissant plusieurs formations satellites autour d’En Marche, à commencer par Horizon, le parti d’Edouard Philippe. Elle a en effet représenté un pactole de 66,2 millions d’euros en 2022 qui se répartit pour moitié entre deux enveloppes ayant chacune leurs conditions d’attribution.
Une première aide fonction des résultats du 1er tour des législatives
La première enveloppe – 31,9 millions d’euros en 2022 – est attribuée aux partis en lice aux élections législatives proportionnellement aux résultats obtenus lors du premier tour du scrutin de 2017. Grâce à cette participation, ils peuvent ainsi percevoir en moyenne 1,53 euro par électeur. Mais il y a une condition.
En métropole, il faut avoir recueilli au moins 1 % des suffrages exprimés dans au moins 50 circonscriptions. Sachant qu’il y a au total 577 circonscriptions, ce seuil peut apparaître assez modeste. Dans les collectivités territoriales outre‐mer, la contrainte est encore plus légère : il suffit d’obtenir 1 % des suffrages exprimés dans l’ensemble des circonscriptions dans lesquels les partis se sont présentés.
La conséquence d’un tel système est évidente : « On a donc intérêt à présenter des candidats partout, explique Marine Tondelier, porte‐parole d’EELV. Parfois, un candidat qui ne fait même pas 5 % des voix s’avère rentable pour le parti », une fois déduits les frais de campagne.
« On a donc intérêt à présenter des candidats partout »
Une analyse partagée par Julia Cagé, économiste spécialiste du financement de la démocratie : « Dans les circonscription qui sont ingagnables pour la gauche, vous avez intérêt à envoyer des candidats LFI, PS, EELV et PCF pour qu’ils aient 1 % des voix et que cela compte pour les financements. A l’inverse, dans les circonscriptions potentiellement gagnables, vous n’envoyez qu’un seul candidat pour aller assurément au second tour. Ça fait partie de ce qui est en train de se jouer aujourd’hui. »
Cet intérêt bien compris s’est vérifié en 2017. Le RN est ainsi le parti qui présenté le plus de candidats (569) devant LFI (547). Les autres tournaient en général autour de 450. Des scores qui s’expliquent par des accords de coalition : LREM a ainsi dû laisser 88 circonscriptions à ses alliés Modem. Le PS, lui, n’était présent que dans 360 circonscriptions, 80 ayant été réservées au Parti radical de gauche (PRG).
Neuf partis ont ainsi perçu plus d’un million d’euros par an grâce à ce système. LREM se taillant la part du lion avec près de 10,1 millions d’euros, loin devant le RN (4,9 millions), le parti Les Républicains (3,9 millions), La France Insoumise (3,75 millions), le PS (2,6 millions), le Modem (1,8 million), EELV (1,3 million) et le PC (1 million).
Mais les grands partis ne sont pas les seuls à profiter du système. Lutte Ouvrière (LO) a ainsi réussi la performance, il y a cinq ans, de présenter 551 candidats au total. Plus que LFI ! Cela lui assure un revenu, certes modeste, de 261 000 euros par an. D’autres formations encore bien plus petites n’hésitent pas à se regrouper sous la même ombrelle afin d’atteindre le seuil de 1 % dans 50 circonscriptions.
C’est ce qui a permis au regroupement de partis régionalistes « Régions et peuples solidaires » d’afficher une présence dans près de 200 circonscriptions en 2017 avec, à la clé, 275 000 euros par an d’argent public. Elle avait intégré au passage la petite formation Nouvelle Donne de l’ex-PS Pierre Larrouturou, présent dans seulement 69 circonscriptions, raconte Marianne. Un simple « accord technique » reconnaît l’intéressé dans les colonnes du magazine, qui ne vaut pas approbation de revendications autonomistes.
Ces alliances de circonstances peuvent donc brasser très large dans l’espoir, ensuite, de se répartir la manne. Parfois avec succès, comme le mouvement La France qui ose, de l’ex-LR Rama Yade, curieusement attelée pour l’occasion à une Confédération pour l’Homme, l’animal et la planète. Mais parfois aussi sans parvenir à passer le cap des 1 %, à l’instar de « La Caisse claire » qui regroupait le Parti pirate, À nous la démocratie, La Voie citoyenne, Cannabis sans frontières… Un contournement de l’esprit de la loi, qui appelle, selon certains, à revoir le système.
Des pénalités pour non respect de la parité
Depuis 2000, la loi tendant à favoriser l’accès des femmes aux mandats électoraux contraint les partis politiques à présenter un nombre égal d’hommes et de femmes aux élections régionales, municipales, sénatoriales et européennes. Mais la règle n’est pas la même pour les élections législatives. Elle n’est que dissuasive. Les partis ne respectant pas la parité se voient retirer une partie des aides publiques auxquelles ils auraient droit.
Concrètement, si l’écart entre le nombre de candidats de chaque sexe est supérieur à 2 % du total des candidats présentés, la subvention est alors réduite d’un pourcentage égal à 1,5 fois cet écart. Avec seulement 40 % de femmes investies en 2017, le parti Les Républicains a ainsi dû se passer de 30 % de sa dotation (20 points d’écart fois 1,5), soit la bagatelle de 1,8 million d’euros par an. Également fautifs, mais à un degré moindre, les Insoumis ont été privés de 252 000 euros chaque année.
C’est ce qui explique que la subvention publique par électeur n’est pas la même pour chaque parti. Elle s’élève à 1,64 euros pour LREM, EELV, le RN ou le PS qui ont respecté la parité. Mais elle tombe à 1,54 euros pour LFI et même 1,13 pour LR. A noter qu’il est aussi possible d’être sanctionné pour avoir présenté trop de candidates par rapport aux candidats. C’est ce qui est arrivé au parti animaliste qui avait aligné 91 femmes pour 56 hommes.
Une deuxième aide liée au nombre de parlementaires
Le dispositif de financement public des partis comprend une seconde enveloppe – de 34,1 millions d’euros en 2022 – à laquelle peuvent prétendre pendant 5 ans toutes les formations ayant participé au 1er tour des législatives. Elle est versée en fonction du nombre de parlementaires, députés mais aussi sénateurs. Cette subvention est particulièrement généreuse puisqu’elle équivaut à 37 402 euros par élu.
Là encore, c’est LREM qui arrive en tête avec 291 parlementaires et près de 10,9 millions d’euros. Ajoutés aux 10,1 millions de la première enveloppe, il truste ainsi près du tiers de tous les financements publics aux partis. Il est suivi en ce qui concerne la seule dotation liée au nombre de parlementaires par LR (9,1 millions et 244 élus) et le PS (3,3 millions et 89 élus). En perte de vitesse à l’Assemblée, les deux « vieux » partis ont ainsi continué à tirer les fruits de leur ancienne domination grâce au maintien de leurs positions au Sénat, reflet de leur enracinement dans les collectivités locales.
A l’inverse, le RN se caractérise par le grand écart entre le montant de sa dotation au titre de ses résultats aux législatives de 2017 – la 2ème en importance derrière LREM – et celui de subvention dépendante du nombre de ses parlementaires. Avec à peine 299 000 euros, elle classe la formation de Marine Le Pen seulement au 11ème rang des plus dotées.
« Le système ne marche plus. Il est dépassé. Il faudrait le refonder entièrement, c’est évident, estime Julia Cagé. Il a été mis en place en 1988 par le RPR [devenu l’UMP puis LR]. En 1993, le PS l’a retouché. Cela a abouti à un équilibre entre PS et LR. Or, ce système bipartisan n’existe plus car le système d’alternance a changé. On peut dire qu’on est dans un système de tripartition de la vie politique avec trois blocs. »
L’économiste appelle donc de ses voeux « un système qui redistribue les cartes chaque année. Car là, on fige la vie politique pour un intervalle de 5 ans et on crée des tensions sur des choses qui ne devraient pas être l’enjeu des négociations ». « Ces règles ne sont pas là pour favoriser ou défavoriser des accords électoraux », conclut‐elle.
C’est passionnant. On s’accroche parce que c’est aussi affriolant qu’un bilan comptable mais c’est très instructif. La loi du pognon ne s’applique pas seulement chez les poètes du CAC40 où elle y est finalement plus évidente .
Faut donner un coup de plumeau là aussi ! Voir peut‐être dans les pays du nord de l’Europe à combien se monte l’argent de poche de la démocratie Et régalez nous un de ces jours de l’argent des syndicats Un gros tabou et peut être une french touch un peu « zarbi » ?