Des enfants qui « devaient rester avec les couches souillées en attendant du renfort » ou « laissés en pleurs jusqu’à épuisement ». D’autres attachés sur leur transat ou à un radiateur, quand ils ne sont pas enfermés dans l’obscurité d’un dortoir. Des « privations d’eau ». Des bébés « jetés dans leur lit », poussés avec les pieds, tirés par les cheveux ou humiliés et traités de « grosse » ou de « connard » par des professionnels.
Ces situations glaçantes figurent parmi les près de 2 000 témoignages de maltraitances recueillis par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), qui a remis la semaine dernière au gouvernement son rapport sur la « qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches ». L’Igas avait été saisie par le ministre des Solidarités, l’été dernier, à la suite du décès d’un enfant dans une crèche lyonnaise.
Une qualité d’accueil parfois « très dégradée »
Au terme de quatre mois d’enquête, 300 auditions, 36 crèches visitées et des milliers de témoignages de professionnels collectés par questionnaires se dessine un tableau édifiant de l’état des crèches collectives françaises, publiques, associatives ou privées. Si l’Igas rappelle qu’énormément d’établissements offrent un accueil de grande qualité, elle souligne que cette qualité est « particulièrement hétérogène » et peut être « très dégradée » dans certaines crèches.
Dans le milieu de la petite enfance, la bombe n’étonne pas grand monde. Le rapport confirme ainsi les dysfonctionnements pointés dans une série d’enquêtes publiées par Mediacités en septembre 2022, pour laquelle nous avions recueilli près de 150 témoignages. La plupart décrivaient un système à bout de souffle, avec des conditions de travail particulièrement difficiles se répercutant sur les enfants accueillis. « Les enfants et les professionnels sont du bétail », lançait déjà une salariée à l’époque.
Crèches en souffrance : « Les enfants et les professionnels sont du bétail »
Risque de « banalisation de faits de violence »
Au fil des quelque 300 pages du rapport, l’Igas documente une « maltraitance institutionnelle » bien installée. Si les crèches possèdent souvent sur le papier des projets pédagogiques solides, leur application sur le terrain est bien souvent très limitée.
Le manque de personnel qualifié, le taux d’encadrement insuffisant et la surcharge de travail du personnel qui en découle sont au cœur des critiques. « J’ai souvent été seule en présence d’une dizaine d’enfants », témoigne un professionnel dans le rapport. Pour l’Igas, la norme actuelle (un professionnel pour cinq enfants qui ne marchent pas ou huit enfants qui marchent) « ne répond pas aux standards dégagés par le consensus scientifique, et ne permet pas à ce jour de garantir un accueil de qualité ».
Ces conditions de travail dégradées constituent « un risque de premier plan » en entraînant des « dérives dans les pratiques professionnelles », estime l’Igas. Parmi ces dérives : un rythme de travail « à la chaîne », une « banalisation de faits de violence » ou un « manque d’identification des circuits d’alerte ».
Des dérives dans le privé
Si le rapport de l’Igas ne traite par le secteur privé à part, il note que les dérives peuvent être accentuées par des « logiques de rentabilité qui se semblent transformer l’activité en gestion de flux » et peut avoir pour effet de « limiter la réponse aux besoins de l’enfant dans des logiques économiques (pression pour limiter le nombre de couches ou de gants utilisés par jour, quantité insuffisante de l’alimentation…) ».
En septembre dernier, plusieurs anciens cadres de grands groupes de crèches privées avaient ainsi décrit l’obsession du remplissage, l’utilisation du personnel comme variable d’ajustement et la course aux petites économies. « Tout est calculé au plus juste », témoignait, auprès de Mediacités, une ancienne responsable régionale du sud‐ouest de la France. Rien qu’au sujet des repas, 9 % des professionnels ayant répondu au questionnaire de l’Igas estiment que les portions sont insuffisantes.
La pénurie de personnel qui frappe le secteur – 10 000 postes vacants, ce qui cause la fermeture de 9 500 places – est un « facteur aggravant autant qu’un symptôme », écrit l’Igas. L’image très dégradée des métiers de la petite enfance et les très faibles salaires – souvent à peine au‐dessus du Smic – ne permettent pas de répondre à la demande.
Malgré ces tensions, le gouvernement s’est empressé, après la publication du rapport, de rappeler l’engagement d’Emmanuel Macron de créer 200 000 places en crèches supplémentaires d’ici 2030.
Des réformes nécessaires
Pour améliorer l’accueil des jeunes enfants, l’Igas formule 38 recommandations. Les inspecteurs préconisent l’obligation pour tout établissement d’avoir au minimum deux professionnels présents, quel que soit le nombre d’enfants accueillis. Ils appellent aussi à considérer les normes d’encadrement actuelles comme des « planchers » permettant d’assurer la sécurité des enfants, et non pas comme un « optimum ». L’Igas propose aussi d’augmenter les contrôles de la PMI et de la CAF dans les établissements.
Le rapport aborde également l’enjeu du mode de financement. Il n’épargne pas la « prestation de service unique » (PSU) versée aux crèches par la CAF. Créée en 2002 puis transformée en équivalent de la tarification à l’acte pour l’hôpital en 2014, la PSU a « mis sous tension les établissements, en donnant aux professionnels le sentiment de s’engager dans une logique de « remplissage » plutôt que d’accompagnement. Elle a aussi rigidifié les relations avec les familles, pour des résultats modestes en termes d’occupation des structures », estime l’Igas.
Derrière la poussée des crèches privées, la complicité des pouvoirs publics
Reste à savoir dans quelles mesures les conclusions du rapport nourriront le projet de service public de la petite enfance, promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Les contours d’une vaste réforme de la petite enfance – comprenant les crèches, mais aussi les assistantes maternelles confrontées à un vieillissement et à un manque de renouvellement du personnel – doivent être dévoilés prochainement.
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