Maillon faible, résistance au barrage républicain … Le carnet de campagne en Haute‐Garonne #3

Pour ce troisième « carnet de campagne » en Haute-Garonne, nous nous concentrons encore et toujours sur la circonscription pivot de Haute-Garonne où les couteaux sont tirés. Nous vous donnerons aussi des nouvelles de l'état du Barrage républicain, avant d'aller faire un petit tour dans le quartier de Bagatelle et dans le monde de la culture...

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Des circonscriptions où le résultat final va se jouer à quelques voix dimanche soir, il y en aurait 24 tout au plus en France, selon certains tacticiens du Nouveau Front populaire. L’une d’elle englobe Toulouse et la campagne du Girou : la 3e où s’affrontent la sortante Corinne Vignon (Renaissance‐Ensemble) et Agathe Roby (LFI‐NFP), talonnées par une représentante du RN. Signe des enjeux, les discours s’échauffent. Tandis que Corinne Vignon se radicalise en chassant sur les terres de l’extrême droite, l’entourage d’Agathe Roby convoque l’Histoire pour comparer sa concurrente aux députés abdiquant devant Pétain en 1940.

Le soutien d’un maire

Réplique de l’équipe de campagne de la première qui organise un tractage devant le métro du cossu quartier des Carmes, en compagnie du maire de Toulouse pour faire « face à tous les extrémismes, les marchands de haine qui veulent prospérer sur la division ». Pas convié, Mediacités a eu le droit à un SMS d’un collaborateur de la candidate résumant l’esprit de cette action : « La ville de la convivencia ne saurait être représentée à l’Assemblée nationale par des candidates qui développent des discours clivants et proposent des programmes économiques irréalistes ». On aimerait en savoir plus, notamment sur le contenu des tracts de la candidate, mais nos cinq questions écrites sont restées sans réponse à l’heure où nous publions.

Le soutien de Jean‐Luc Moudenc ne manque pas de sel quand on se rappelle la position de ce dernier dans l’affaire opposant Vignon à Arribagé. Alors que son adjointe LR était poursuivie (et condamnée depuis) pour son rôle dans une machination politique lors des législatives 2017, le maire de Toulouse assurait qu’il ne comprenait pas ce qu’on reprochait à son « amie ». Comme quoi, les campagnes électorales sont souvent l’occasion de rapprochement entre adversaires acharnés d’hier. En la matière, la droite toulousaine, toujours prompte à fustiger l’alliance du PS avec LFI, n’a aucune leçon de morale politique à donner.

Ceux qui font barrage et les autres

Faire barrage, un peu, beaucoup, à la folie. Pour ce deuxième tour des législatives anticipées, les électeurs haut‐garonnais auront le choix entre quatre triangulaires (dans les 1e, 2e, 3e et 9e) et cinq duels (dans les 5e, 6e, 7e, 8e et 10e).

Présentes dans chacune, les candidatures d’extrême droite ne sont pas toutes aussi menaçantes. Grâce au Barrage républicain, les trois députés sortants – Jean‐François Portarrieu (Horizons‐Ensemble), Joël Aviragnet (PS‐NFP) et Christophe Bex (LFI‐NFP) – ont de grandes chances de l’emporter. Arrivées en troisième position dans les 5e, 7e et 8e, leurs adversaires – Sylvie Espagnolle (LFI‐NFP), Céline Laurenties (Horizons‐Ensemble) et Élisabeth Toutut‐Picard (Renaissance‐Ensemble) – se sont désistées sans hésitation. Dans la 6e, la députée sortante Monique Iborra en a fait de même en faveur de son adversaire socialiste Arnaud Simion.

Dans la 10e, il a fallu attendre mardi en fin de matinée, quelques heures avant la limite de dépôt des candidatures, pour que la députée sortante Dominique Faure (Parti radical‐Ensemble) renonce finalement au deuxième tour. Après avoir annoncé son maintien, un jour plus tôt, elle a cédé sur consigne de l’Élysée et du Premier ministre, et après de nombreux messages l’invitant à le faire sur les réseaux sociaux.

« Le maintien de ma candidature (…) est à comprendre en analysant l’évolution des résultats des premiers tours (2022 et 2024) et la configuration spécifique de l’électorat de cette circonscription dont je suis élue locale depuis plus de 12 ans (…) Ce maintien était pour moi la meilleure solution pour battre les extrêmes. Le combat, particulièrement contre le RN, a toujours été ma boussole », a annoncé la ministre déléguée en charge des collectivités territoriales sur le réseau social X.

Avec quelque mille voix de moins (22 910) que la candidate RN Caroline Falgas‐Colomina (23 993), et loin derrière celui du Nouveau Front populaire Jacques Oberti (28 631), l’ancienne maire de Saint‐Orens n’est pourtant arrivée qu’en 3ème position au premier tour dans la circonscription du Lauragais, où le taux de participation a été le plus fort de Haute‐Garonne (77,55 %).

En campagne, Domi‐Ni‐Ni‐que Faure tape sur la gauche

Maintenant que c’est chose faite, le maire socialiste d’Ayguevives Jacques Oberti ne souhaite pas donner au désistement de Dominique Faure une importance outre mesure. « Ce qui m’importe est le choix républicain que les électeurs de la circonscription feront. Pour cela, on continue à expliquer la ligne de notre programme, basé sur le renforcement du pouvoir d’achat, la justice sociale et surtout l’apaisement ».

« Hormis les circonscriptions toulousaines, toutes celles qui couvrent la périphérie et le rural ont positionné le RN en tête… sauf chez nous »

Jacques Oberti, candidat NFP dans la 10e circonscription

Selon le président du Sicoval, c’est son engagement d’ « élu de terrain et de consensus, pas classé comme extrémiste » depuis bientôt 30 ans qui lui a permis de se propulser en tête avec six points d’avance (soit 5 000 voix). « Hormis les circonscriptions toulousaines, toutes celles qui couvrent la périphérie et le rural ont positionné le RN en tête… sauf chez nous. C’est la preuve d’une vraie mobilisation pour soutenir la gauche, donc on fait confiance aux électeurs pour une amplification au second tour », avance Jacques Oberti. En réalité, c’est aussi le cas de la 6e, même si l’avance du candidat de gauche est moindre.

Un candidat Renaissance dans l’anti‐barrage

Dans le camp présidentiel, tous n’ont pas suivi la consigne nationale pour faire barrage à l’extrême droite. Florian Delrieu fait partie de la trentaine de candidats qui se sont maintenus coûte que coûte, alors que le RN arrivait en tête ou en seconde position dans leur circonscription. Il est le seul en Haute‐Garonne. 

Pourtant, la candidate arrivée en tête dans sa circonscription (la 9e) Christine Arrighi, avec 47,53% des voix, est écologiste : elle fait donc figure de « républicaine » dans la grille de lecture véhiculée par le gouvernement. Florian Delrieu, qui talonne sa concurrente RN de 1 414 voix, espère la dépasser au second tour grâce au report de voix de la centriste Camille Clinet. « Après différentes consultations, j’ai décidé de maintenir ma candidature pour le second tour, car la circonscription ne présente pas de risque Rassemblement national, et il est important que l’on continue à défendre nos valeurs », a déclaré l’ingénieur de 26 ans à Actu Toulouse. Son pari n’est pas gagné d’avance, car la candidate d’extrême droite bénéficiera sans doute du report des 813 voix de Reconquête.

Ce calcul hérisse Christine Arrighi. « J’avais déjà interpellé M.Delrieu sur un marché avant le scrutin pour lui demander s’il se retirerait pour faire Front républicain. Il avait botté en touche. Il veut passer devant le RN, mais on ne joue pas aux petits chevaux. Je lui ai dit au lendemain du premier tour, que lorsqu’on commence en politique, mieux vaut faire des actes dont on peut être fier. C’est une question de valeurs », soupire l’écologiste.

Malgré sa nette avance, Christine Arrighi poursuit pleinement sa campagne et a tenu un rassemblement à Ramonville, jeudi soir. « On veut montrer qu’on a un vrai projet, immédiat et dans la durée, que ce soit sur la question sociale ou sur l’écologie. L’enjeu est de mobiliser encore davantage, notamment dans les quartiers comme Empalot et Bagatelle », explique‐t‐elle.

Apéro‐débat à Bagatelle… pour mobiliser dans les urnes

Et justement, à Bagatelle, on se serre les coudes. Très inquiets face à la menace de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, 80 habitants et représentants d’une vingtaine d’associations de Bagatelle, un quartier populaire de Toulouse, se sont retrouvés jeudi 4 juillet pour en discuter.

Les très nombreuses prises de parole ont montré la peur de l’ostracisme et des violences à venir pour les minorités en cas de passage du Rassemblement national. « Je suis terrorisée par la haine qui monte, alors que mes grands‐parents ont pu être accueillis en France et y refaire leur vie. La première chose à faire en cas d’élection du RN sera de protéger celles et ceux qui seront pris à parti », prévient Claire*, une habitante.

De fait, les discussions ont permis de souligner la nécessité de se mobiliser. « C’est notre dernière chance d’aller voter. C’est ce que je dis aux déçus de la politique », assure Rachida. « C’est un droit important qui nous est attribué. Moi je voudrais y aller, mais je ne peux pas encore », ajoute Mounira, 13 ans.

L’après‐élection est aussi évoqué. Un habitant suggère de monter des « comités de vigilance ». « On devrait plutôt les appeler comités de solidarité », lui rétorque une voisine. Un ancien habitant de Papus, qui réside désormais dans le Comminges, propose de faire des jumelages entre les territoires ruraux et les quartiers toulousains. « C’est de la méconnaissance que naissent l’incompréhension et la haine. Il faut se rencontrer », affirme‐t‐il, sous les applaudissements des participants, presque rassérénés.

La voix cassée de la culture

« Fils d’immigré, 50 % argentin, 50 % algérien. 100 % français et fier de l’être ». Une semaine avant le premier tour, le rappeur Oli a appelé sur Instagram à faire barrage contre le RN, en abordant son identité multiculturelle, ses grands‐parents, mais aussi son père, arrivé en France dans les années 80, dont il se rappelle le « choc et les larmes en 2002 devant les résultats de Le Pen ». Après les résultats du 1er tour, silence radio. Ni l’artiste ni son frère ne se sont exprimés publiquement sur autre chose que leur actualité artistique.

Ce mutisme du monde de la culture n’est pas un cas isolé à Toulouse. Les prises de parole se font rares. Le chanteur et écrivain Magyd Cherfi a, par exemple, publié le 2 juillet une tribune dans Libération intitulée « La France ne m’aime plus ». Pour l’écrivain et chanteur toulousain, fondateur du groupe Zebda, qui chantait il y a près de 30 ans « Le bruit et l’odeur », « Le drame, ce n’est pas tant le pouvoir d’achat, la retraite (…), c’est l’immigration : une moitié de la France ne veut plus de l’arabe, du musulman », a‑t‐il expliqué sur France 3 Occitanie. « Quand j’ai entendu ce chiffre de 11 millions de personnes votant contre le RN, j’ai eu comme un effroi (…), comme le cœur qui se glace ». « Ce raz de marée est quand même effarant. Parce qu’on finit par se dire qu’ils sont partout. J’ai pensé à mes meilleurs amis, à mon boucher… On se dit ils sont tellement nombreux qu’ils sont forcément près de nous. On est sidéré », déplore l’artiste.

Au niveau local, la compagnie l’Agit théâtre a envoyé une newsletter à ses abonnés, les inciter à aller voter dimanche. « Depuis dimanche soir, à l’Agit, on sent qu’on a des trucs qui poussent sous la gorge, ça grossit à vue d’œil et on a bien peur de finir par éclater littéralement (…), angoisse Inès Fehner, la directrice de la structure. On a l’impression d’être dans le viseur, nous et nos semblables, compères, ami·es, d’ici d’ailleurs, les deux à la fois, (…) Ce matin, ces deux petites boules sous la gorge se demandent bien pourquoi des partis politiques font leur beurre sur la peur, la peur de l’autre, de tous ceux cités plus haut, ou plus simplement ceux qu’ils appellent les « parasites ». Alors soyons leur poux, leur morpions, ou même leur bébé chat mignon, mais ne laissons pas la peur s’installer, on est toujours debout, et tant qu’on est debout on avancera ! »

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Par Armelle Parion et Gael Cérez