Du très cossu 6e arrondissement de Lyon aux confins de Villeurbanne, il trace un trait dans la ville. Comme une invitation au voyage. L’axe composé de trois cours – Franklin‐Roosevelt, Vitton et Emile‐Zola – présente toutes les caractéristiques de l’évolution urbaine. Il traverse sans détour de multiples quartiers, chacun avec leur univers singulier. Mais que l’on soit à Cusset, au café « Les Terrasses », ou chez le fleuriste de la place Maréchal‐Lyautey, ses habitants et ses usagers partagent un même environnement et un même flux.
Pendant plusieurs semaines, Mediacités va arpenter cet axe, explorer ses recoins, aller à la rencontre de ceux qui le peuplent. Un travail au long cours, mené en pleine épidémie de Covid‐19, à la croisée des enquêtes journalistique et urbanistique, avec les regards de deux photographes – Tim Douet et Antoine Boureau – et d’un architecte‐urbaniste – Jérémy Cheval. Une étude pour comprendre les rapports que nous entretenons aux espaces publics et semi‐publics. En d’autres termes, comment, en 2021, on vit dans la ville.
Carte d’identité de l’axe
L’axe de notre étude, de Lyon à Villeurbanne, est l’un des principaux de l’agglomération. Il commence à l’ouest, par le cours Franklin‐Roosevelt, de la place Maréchal‐Lyautey à la place Kléber, avant de prendre le nom de cours Vitton jusqu’à Charpennes puis de devenir le cours Émile‐Zola qui traverse Villeurbanne jusqu’au cimetière, à l’est. Des berges du Rhône au périphérique, il suit la ligne A du métro de la station Foch (Lyon 6e) à la station Laurent‐Bonnevay (Villeurbanne) en passant par Massenat, Charpennes, République‐Villeurbanne, Gratte‐ciel, Flachet et Cusset. Soit 8 arrêts de métro sur cinq kilomètres. Pour le parcourir, comptez en moyenne 10 minutes en métro, 17 minutes en vélo, 20 minutes en voiture ou encore une heure à pied. Entre 3 000 et 4 000 voitures se dirigent chaque jour vers Lyautey et Cusset alors qu’environ 10 000 se rendent dans le secteur de Charpennes. Ce carrefour, au cœur de notre axe, concentre au quotidien 37 000 déplacements, tous types de transport confondus.
Cet axe témoigne également des évolutions sociales et spatiales du Grand Lyon. D’une part, il fait partie des évolutions urbaines marquantes du territoire à partir du 18e siècle. D’autre part, il agrège différentes classes sociales, car plus on se déplace à l’est, moins le niveau de vie est élevé (source Insee 2015, carte géoportail), comme le laisse deviner les bâtiments et commerces. Mais au‐delà de ce que l’on perçoit depuis la rue, qui imagine en le parcourant que l’espace urbain du 6e arrondissement de Lyon est plus densément peuplé que celui de Villeurbanne ? Qui soupçonne que cet axe, avec en moyenne 20 000 habitants au kilomètre carré, cache une texture urbaine variée derrière les façades ?
Qui sommes‐nous ?
Nous sommes trois individus qui se retrouvent autour de mêmes questionnements, autour d’une même curiosité et d’un appétit insatiable pour aller à la rencontre des autres. Trois regards composés de deux photographes dont les parcours se complètent et d’un architecte‐urbaniste chercheur.
Antoine Boureau s’immerge dans la photographie pendant ses années lycéennes grâce à la rencontre avec deux photographes‐poètes qui lui ouvrent des perspectives et le décident à s’engager sur ce chemin. Professionnel depuis 2007, il effectue des photoreportages et travaille en particulier sur le monde de l’enfance. Engagé dans une photographie documentaire et passionné par la magie de la rencontre, Antoine aime prendre le temps de laisser les personnes se dévoiler à lui. Créer un lien, saisir une sensibilité puis la partager avec elles et le monde, grâce à la photographie.
Tim Douet travaille depuis 1998 tour à tour pour Lyon Capitale et Tribune de Lyon en tant que graphiste‐metteur en page, rédacteur en chef technique puis photographe de presse. Pendant dix ans, il couvre l’actualité lyonnaise aussi bien en politique, dans le social, que sur les enjeux urbains. En 2020 il devient indépendant, développe ses propres projets en lien avec des structures événementielles et culturelles, et son écriture photographique du portrait en y intégrant une dimension symbolique centrée sur les valeurs de l’individu.
Jérémy Cheval est architecte, urbaniste et chercheur. Il coordonne le pôle formation et radio anthropocène pour l’École urbaine de Lyon. Il est l’auteur d’une thèse portant sur les transformations sociales et spatiales des shikumen lilong, anciennes entités urbaines de Shanghai où il a vécu pendant dix ans. Il a étudié l’architecture en France, en Irlande et en Chine. Après avoir travaillé à Shanghai dans des agences d’architecture et d’urbanisme, il a enseigné au College of Architecture and Urban Planning de Tongji. Ses recherches actuelles portent sur les enjeux anthropocènes et l’urbanisation chinoise.
Le projet Urbanité
Nous avons l’intime conviction que les alternatives sociales et spatiales de cette tranche urbaine – cet axe composé des cours Roosevelt, Vitton et Zola – sont observables dans l’ouverture des espaces partagés. Peut‐on comprendre en tant que piéton les différences sociales dans ces lieux occupés et traversés au quotidien ? Comment peut‐on analyser et révéler les signes d’occupation, d’activité, de commerces et les symboles marqueurs d’inégalités urbaines ? Et tout cela en temps de Covid… Avec notre projet Urbanité nous questionnons nos interactions — avec des lieux ou des gens — dans les espaces semi‐publics et publics. Ces interactions sont‐elles du même type tout au long de l’axe ? Ont‐elles une influence sur notre bien‐être par les temps qui courent ? Peut‐on déceler des nouvelles pratiques, des nouvelles alliances, des nouveaux phénomènes urbains ? Ce sont ces questions qui nous animent à travers l’étude de cet axe.
Notre méthode de travail emprunte des outils à l’anthropologie visuelle, à l’ethnographie et aux études urbaines et interdisciplinaires. Elle se démarque en donnant une place centrale à l’intuition, au sensible, à l’ouverture et en plaçant le processus photographique et artistique au centre de l’enquête. Elle permet de rendre compte qu’une rue est aussi un espace de vie partagé, témoin d’une écologie sociale urbaine. Ce concept développé par Murray Bookchin questionne les relations entre les êtres humains et les milieux naturels. Nous souhaitons appliquer ses développements théoriques au milieu urbain afin de relever les situations d’interdépendances entre les personnes, les collectifs, les non‐humains (des objets, des matières, des végétaux, des animaux) et le milieu urbain étudié dans l’espace et le temps.
Outre la publication d’une série d’articles dans Mediacités, Urbanité, qui a bénéficié d’une aide de l’Etat, via l’Agence nationale de la recherche, au titre du programme d’Investissements d’avenir (référence ANR‐17‐CONV‐0004), donnera lieu à une exposition dans l’espace public afin de continuer à questionner les usages et la connaissance de l’axe. Il s’agira également de mettre en avant des points de vue qui montrent des usages alternatifs le long de ces avenues.