C’est une première mondiale passée quasi‐inaperçue. Et pour cause… L’un des six réacteurs de la centrale nucléaire EDF de Gravelines vient de subir une délicate et inédite intervention. L’électricien ne l’a pas camouflée, mais il ne s’en est pas non plus vanté. On le comprend : il n’avait aucun intérêt à rappeler qu’une fissure unique en France – et même en Europe – fragilisait ce réacteur. Et qu’il a mis cinq ans pour y remédier !
L’événement n’est pas lié à la vague d’arrêts de réacteurs qui touche actuellement les centrales françaises pour défaut de fabrication sur l’une de leurs pièces essentielles. La découverte de cet autre pépin remonte à décembre 2011 – rien de moins ! L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le gendarme de l’atome chargé de contrôler les centrales, repère alors une anomalie dans le réacteur 1, le plus ancien de Gravelines (mis en service en 1980). Sur un des tubes soudés au fond de la cuve, au sein de laquelle se déroule la fission nucléaire, un phénomène de corrosion a provoqué une fissure de 3,9 centimètres de long. Un problème extrêmement rare – il n’existe que deux cas analogues dans le monde, recensés dans une même centrale aux États‐Unis – et loin d’être anodin. Selon une note de l’ASN, « une fuite à ce niveau serait considérée comme une brèche du circuit primaire du réacteur ». Autrement dit, un incident sérieux.
Dans un premier temps, EDF, avec l’accord de l’ASN, procède à une réparation temporaire à l’aide d’un bouchon démontable et d’un détecteur de fuite. Le rafistolage permet de redémarrer le réacteur dans la foulée, en mars 2012, dans l’attente d’une solution pérenne. Mais le provisoire dure… Quinze mois plus tard, dans un courrier adressé à EDF, l’autorité de sûreté « considère que la réparation définitive doit être mise en œuvre avant le 30 juin 2015 ». EDF aura plus d’un an de retard sur ce délai : les travaux se sont finalement déroulés en septembre et octobre derniers.
Une excuse ? L’exploitant a dû soumettre à l’ASN la technique de réparation qu’il envisageait – jamais éprouvée jusqu’à présent –, ce qui aurait ralenti le processus. La solution retenue diffère en effet de celle utilisée aux États‐Unis pour réparer les deux fissures similaires découvertes en 2003 à la centrale de South Texas. Dans ce cas, des robots (la radioactivité interdisant toute présence humaine) avaient opéré sous l’eau, dans la piscine de fond de cuve. A Gravelines, EDF a préféré une solution « à sec ». « Ce choix a principalement été guidé par la localisation de la pénétration [le tube fissuré], qui rend le déploiement des outils de réparation plus ou moins facile », explique‐t‐on chez l’exploitant. L’opération de haut vol a nécessité un entraînement sur maquette et mobilisé sur place 110 spécialistes dépêchés par le leader américain des équipements nucléaires Westinghouse.
« On n’est pas loin de l’acharnement thérapeutique »
En détail, une colonne étanche de 20 mètres de hauteur émergeant de la piscine à la verticale de la fissure a été déployée. Au fond de celle‐ci, une vingtaine d’outils robotisés guidés à distance, spécialement conçus pour l’occasion, ont travaillé à l’air libre pour retirer le tube défaillant et souder un bouchon définitif. Coût total de cette « rustine » high‐tech : plus de 50 millions d’euros, selon EDF.
« Cette tentative de colmatage était une opération de la dernière chance. On n’est pas loin de l’acharnement thérapeutique », estime Stéphane Baly, conseiller EELV à la Métropole européenne de Lille (MEL) et co‐fondateur de Virage‐énergie Nord Pas‐de‐Calais, une association qui réclame la planification progressive de la fermeture de la centrale. « L’opération s’est déroulée sans problème, (r)assure Rémy Zmyslony, chef de la division lilloise de l’ASN. Après examen des comptes‐rendus des contrôles réalisés par l’exploitant, nous avons autorisé la remise en service du réacteur le 23 novembre dernier. »
Un soulagement pour EDF Gravelines. Car l’électricien a quelques autres épines dans le pied… Après le réacteur 2 (qui devrait redémarrer demain, vendredi 23 décembre, selon nos informations), le numéro 4 a été mis en quarantaine depuis le 17 décembre à cause du fameux défaut de fabrication (un excès de carbone dans l’acier du générateur de vapeur) commun à plusieurs centrales françaises. Et pendant ce temps, le réacteur 5 ne produit plus d’électricité depuis avril dernier, dans l’attente d’un nouveau générateur de vapeur jugé non conforme par l’ASN. Autrement dit : le site fonctionne au ralenti avec trois réacteurs sur six indisponibles. Une situation inédite depuis la mise en service de la centrale, il y a 36 ans…
Rendez‐vous la semaine prochaine : Mediacités Lille poursuit son exploration de Gravelines, la plus puissante centrale nucléaire de France… et l’une des plus vieilles. A lire dès jeudi 29 décembre.
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