Lundi, Gabrielle, infirmière au pôle réanimation de l’hôpital Salengro au CHU de Lille, a vu arriver ses premiers « Covid ». Les 20 lits des deux services dédiés depuis deux semaines aux malades atteints ou suspectés du coronavirus ne suffisaient plus*. La professionnelle de santé assure pourtant ne pas avoir de craintes pour elle‐même. « J’ai plus peur quand je fais mes courses au supermarché du quartier. A l’hôpital, on est hyper protégé », assure‐t‐elle.
A condition de respecter les procédures de protection. Blouse, masque, charlotte, sur‐lunettes… Et ces dizaines de petits gestes auxquels il faut désormais se conformer : « Quand on sort quelque chose des chambres, un bilan sanguin ou le linge, il faut les mettre dans un sachet, qui sera remis dans un autre sachet à l’extérieur de la chambre… Tu dois faire attention à tout. Te coordonner en permanence avec les collègues. C’est épuisant à la longue ! »
Pour le moment, Gabrielle estime que la crise est bien gérée. Son unité n’est pas surchargée. « On en vient même à se demander où sont nos patients habituels », observe‐t‐elle. C’est bien le casse‐tête auquel sont confrontées les autorités sanitaires : ou mettre les patients habituels des service de réanimation pour pouvoir accueillir les malades du Covid ? « On accélère la fluidification du parcours patient », explique ce médecin d’un hôpital lillois. Derrière ce jargon hospitalier se cache le bon vieux principe des vases communicants : on envoie les patients les moins graves du service de réanimation aux soins continus, les patients les moins graves de soins continus dans les services de court séjour (neuro, pneumo, néphrologie…), ceux de court séjour en soins de suite (les unités de convalescence), etc.
« Ici, c’est le calme avant le tsunami »
Pour « grignoter » des places à tous les étages, deux solutions ont été mises en place : annuler les consultations et les hospitalisations non urgentes, « notamment celles qui nécessitaient un respirateur », précise l’Agence régionale de santé (ARS). Et mettre les plus petits hôpitaux de la région à contribution. « Le service de réanimation du CHU m’a envoyé ses patients les moins graves », témoigne ce médecin à l’hôpital privé Saint‐Vincent‐de‐Paul qui regrette le manque de directives des autorités sanitaires. « On sait où envoyer les cas graves [aux CHU de Lille et de Tourcoing, NDLR], mais le délestage de leurs services de réanimation n’a pas été organisé. On laisse les hôpitaux se débrouiller entre eux. »
De l’avis de tous les personnels de santé interrogés, le système tient bon pour le moment. « A Lille, on est plutôt bien préparés, constate Vincent Porteous, sage‐femme anesthésiste au Samu59. Ici, c’est le calme avant le tsunami. On attend la vague, qui devrait arriver d’ici quelques jours, en sachant qu’elle devrait quand‐même être assez importante… » Le vrai problème, à ses yeux, reste le manque de matériel de protection disponible pour les soignants. « Au Samu, il y a une pénurie de gel hydro‐alcoolique, c’est assez critique. Nous avons alerté très tôt et le CHU devrait en produire sous peu en interne. »
D’après plusieurs soignants, les masques de protection font défaut un peu partout. Ceux‐ci se voient parfois obligés de porter des masques chirurgicaux, dits anti‐projections – destinés à prévenir la contamination d’un environnement par le personnel soignant – plutôt que des masques FFP2, spécifiquement utilisés pour protéger les professionnels de santé. « Dans les services conventionnels, certains soignants travaillent encore sans masque, alors qu’on ne sait pas si leurs patients sont contaminés ou non », confirme un cadre de santé du CHU de Lille. Une petite dizaine d’entre eux auraient déjà déclaré la maladie, à l’hôpital Jeanne de Flandre du CHU de Lille et aux urgences notamment. « Chez nous, il manque plein de matériel, partout. Fabriquer des masques en tissu, c’est une aberration totale : le virus passe entre les mailles du tissage, c’est du bricolage », déplore Vincent Porteous.
Soignants contaminés
A tel point que le professionnel de santé a lancé, mardi 17 mars, une pétition sur la plateforme Change.org, adressée au ministère de la Santé : Covid‐19 : donnez du matériel de protection à nos soignants ! En quelques jours, plus de 62 000 personnes l’ont déjà signée. « Les contaminations de professionnels sont nombreuses et risquent de se multiplier, y alerte Vincent Porteous. La situation n’a pas été anticipée par les autorités de santé et les stocks des hôpitaux, soumis à la loi du flux‐tendu, sont insuffisants. Ceux de l’État, non renouvelés depuis l’épidémie H1N1 [en 2009, NDLR], ne sont pas en mesure de pallier cette carence. »
Des #masques, du #gelhydroalcoolique des #tenuesdeprotection pour tous les soignants
Pour qu’ils puissent continuer à vous soigner.
MERCI de signer et faire signer tout le monde. Il y a #urgences #coronavirus https://t.co/zFX1v3T30O— Porteous Vincent (@libecciu2b) March 17, 2020
Suite à des alertes du personnel au sujet du manque de matériel notamment, une procédure de DGI (danger grave et imminent) a été déposée hier, mercredi, à la direction de l’hôpital par les syndicats. Elle permet aux salariés de faire valoir, par la suite, leur droit de retrait si aucune solution n’est trouvée.
« Il faudra choisir qui on veut sauver »
L’ARS Hauts‐de‐France a confirmé ce jeudi l’arrivée dans la semaine d’un million de masques à destination des professionnels de santé de toute la région – ce qui risque très vite, d’après ces derniers, de se révéler insuffisant. Les soignants s’apprêtent pourtant à faire face, quitte à prendre la vague de plein fouet. Avec, tout de même, une inconnue de taille : y aura‐t‐il, malgré toutes les précautions déjà prises, assez de places en réa ?
« C’est le même problème que l’autoroute au mois d’août, ça bouchonne, ça bouchonne… Sauf que là, à un moment, on ne peut plus attendre. Il faut bien des machines pour faire respirer les gens », note un médecin. Et si ce n’est plus le cas ? « Alors il faudra faire ce qu’on apprend en médecine de catastrophe ou de guerre. Regarder là où nos heures de médecin sont les plus rentables pour sauver le maximum de vies… » « Au‐delà de cent patients à intuber‐ventiler au CHU, on va vite se retrouver à court de matériel, renchérit un cadre de santé du centre hospitalier de Lille. Après, ce sera comme en Italie : il faudra choisir qui on veut sauver. Et accepter de perdre une partie de notre humanité… »
merci pour cet article.… et le ton apaisé. sans querelles politiques inutiles.
Il sera temps après quand le c19 aura été vaincu de veiller à remettre les responsabilités où elles se trouvent pour surtout reconstruire une France apaisée et mieux armée .… et armée contre les calculs politiques et les égoïsmes des citoyens
Bonjour Daniel,
Un article « apaisé » pour un commentaire qui évoque… » les responsabilités », « les calculs politiques » et « les égoïsmes des citoyens » . Les articles incisifs de Médiacités vous manquent visiblement 😉