Nicolas* est un agriculteur pragmatique. Sur sa ferme de 180 hectares, le quinquagénaire a toujours cultivé la pomme de terre. Chaque année, il lui consacre environ 40 hectares. En bon chef d’entreprise, il a su faire évoluer sa production en fonction de la demande. Or en 40 ans, depuis qu’il a repris la ferme familiale, il a pu observer que les habitudes de consommation ont changé. « Avant je faisais du frais, de la pomme de terre brute telle qu’on en trouve sur les étals de marché ou de grande surface. Mais aujourd’hui, la ménagère veut une frite prête à l’emploi. »
Difficile de lui donner tort. Si la pomme de terre fraîche s’est longtemps imposée en France, elle a été rattrapée par un marché en pleine expansion : celui de la pomme de terre transformée. « Ces vingt dernières années, la production de pomme de terre fraîche est restée stable tandis que celle de la pomme de terre transformée a été multipliée par cinq », assure Bertrand Ouillon, directeur général du groupement interprofessionnel pour la valorisation de la pomme de terre (GIPT). Un bouleversement de la production initié par l’essor des industries de pomme de terre dans les années 80.
Souvent d’une taille impressionnante et dotées d’équipements ultra performants, capables d’absorber et de transformer chaque jour des milliers de tonnes de pomme de terre, ces industries alimentaires sont parvenues à bousculer les modes de consommation en inondant le marché mondial de produits rapides à consommer et simples à cuisiner. Chips, purée déshydratée, plats préparés ont conquis le monde. Sans oublier, évidemment, le produit star – la frite – aussi appréciée des grands que des petits, dont la croissance a été fulgurante.
Percée de la frite industrielle
Vendue généralement surgelée, la frite est devenue un produit culinaire incontournable. En 2014, sa consommation représentait 11 millions de tonnes dans le monde. Si la frite est depuis longtemps un emblème de la France, la frite industrielle s’est progressivement imposée dans notre pays, notamment grâce au boom de la restauration rapide et des chaînes de fast‐food. Selon une étude publiée en 2017 par le cabinet Gira Conseil, spécialiste des modes de consommation alimentaires hors domicile, « deux assiettes sur trois sont servies avec des frites dans la restauration ».
Cette forte demande, les industries tentent d’y répondre en organisant un approvisionnement continu de leurs usines en pommes de terre. Capable de produire en moyenne 6 millions de tonnes par an sur les vingt dernières années, la France, troisième producteur européen …