La Région Auvergne‐Rhône‐Alpes traverse une tempête violente. Jamais depuis 1998 et le tristement célèbre rapprochement entre Charles Millon et le Front national, la collectivité (8 800 agents et 3,685 milliards d’euros de budget) n’avait connu pareille tornade. Élus de la majorité et de l’opposition, membres de l’exécutif, salariés, représentants du personnel, interlocuteurs extérieurs, spécialistes en stratégie territoriale, dirigeants consulaires, syndicaux et patronaux, conseillers du Ceser, élus de la Métropole de Lyon… dressent un état des lieux social, humain, organisationnel inquiétant. Même funeste. Dix‐huit mois après la victoire de Laurent Wauquiez, les espérances ont pris la forme d’interrogations puis de troubles puis de frondes, qui hypothèquent l’efficacité même des compétences de l’institution. Avec pour objet de cristallisation la personnalité, le comportement et les (grandes) manœuvres de son président. Auvergne‐Rhône‐Alpes avait vocation à être le « laboratoire » d’expérimentations destinées à une duplication hexagonale ; le conflit des intérêts poursuivis par Laurent Wauquiez y a inoculé un poison, qui confère à la collectivité d’être l’otage des ambitions politiques nationales de son charismatique patron. À une
synthèse qu’on imaginait, aux prémices de l’enquête, contrastée et équilibrée s’impose au final un sévère réquisitoire.
Les quatorze mois de vacance à la direction des ressources humaines – Jean‐Louis Biard, en provenance de la mairie de Cannes, a pris ses fonctions en février 2017 – en sont l’illustration : la définition puis la mise en œuvre d’une nouvelle architecture organisationnelle concrétisant la fusion des collectivités Auvergne et Rhône‐Alpes et la gestion managériale et sociale, des postes et des emplois, sont, pour l’heure, un échec. En cause, pêle‐mêle une impréparation, des négligences. Et quelques stratégies troubles. 8 800 agents (dont 6 800 à… 6 027 selon les sources, affectés aux lycées) sont employés, réunis dans cinq pôles eux‐mêmes subdivisés en 22 directions, elles‐mêmes sectorisées par services. La conjonction d’une volonté, affichée – au nom du plan pluriannuel de réduction des coûts de fonctionnement pour un montant total de 300 millions d’euros – d’alléger les effectifs, de l’ampleur considérable que constitue l’agglomération de deux collectivités, mais aussi d’une insuffisante considération du chantier, provoque une situation explosive. C’est à plusieurs centaines que les organisations syndicales chiffrent les postes fermés, en cours de redéfinition ou de redéploiement, dans l’attente de recrutements ou de départs. Les nominations aux postes de directions sont loin d’être achevées, les organigrammes sont incomplets, et en cascade les affectations intra et inter services sont figées. Même celui des ressources humaines, censé mettre en œuvre la politique des emplois, n’est pas pleinement opérationnel. Que le vice‐président Étienne Blanc s’avoue dans l’incapacité de produire une photographie de la situation est révélateur. Et ce sont donc l’incertitude, les calculs tactiques, les (dé)espérances qui caractérisent l’état d’esprit, notamment au siège lyonnais, du personnel. Avec pour point d’orgue une compétition souterraine, « malsaine » résume une salariée, entre agents, otages des rumeurs et des supputations, des connivences et des inimitiés, exhortés à postuler dans tel service contre tel autre candidat, pour conserver tel emploi contre tel prétendant… le tout, sciemment ou maladroitement entretenu par une hiérarchie jugée au mieux amatrice au pire cynique. « Dans ce contexte, il s’avère difficile de séduire des hauts profils externes de venir et de convaincre ceux en interne de rester », commente un professionnel des ressources humaines.
Les répercussions de ces dysfonctionnements frappent l’exécutif et ont franchi les murs de l’enceinte. Elles frappent l’exécutif, comme le rapportent les salariés et le reconnaissent des vice‐présidents consternés par d’ultimes arbitrages qui les déjugent publiquement et au sein même de leur délégation, jusqu’à les réduire à des rôles de « figurants » ou de « simples exécutants. » Tout ou presque transite par le cabinet du président ; une hyper centralisation qui tranche avec l’hyper – et à certains égards très excessive – liberté dont jouissaient les vice‐présidents de l’exécutif précédent de Jean‐Jack
Queyranne. Un proche du directeur général des services l’affirme : « Guillaume Boudy est lessivé, tétanisé, en souffrance. La rumeur de son départ ne cesse d’enfler. » Et elles ont franchi les murs de l’enceinte et rejaillissent sur la fluidité des dossiers mêlant le tissu socio‐économique, comme en témoigne l’« immense bordel » ainsi résumé par une figure du monde patronal. La simplification des process internes et l’assèchement bureaucratique, promis pendant la campagne pour décongestionner le fonctionnement de l’établissement, sont encore à l’état de chantier. « Tout est bloqué, en stand‐by, en attente de signatures ou, pire, de responsables pour prendre la plume et de collaborateurs compétents », complète un spécialiste des politiques territoriales.
Un climat social délétère
Ce contexte organisationnel participe en premier lieu à un mal‐être qui s’est propagé et ramifie indistinctement services et strates hiérarchiques. Sans vision des emplois, sans perspective commune de sens, sans dynamique managériale partagée, le corps social apparaît désemparé. Les mobilisations du personnel qui se sont succédées depuis le 7 novembre 2016 en témoignent. L’un des vice‐présidents le concède lui‐même : dans sa délégation coexistent des situations de « burn out » et d’autres de « bore out ». Les représentants du personnel l’affirment : le nombre d’arrêts maladie a « explosé », sans toutefois – faute d’obtenir des informations de la DRH – être en mesure d’étayer quantitativement l’allégation… qu’Étienne Blanc lui‐même est dans l’incapacité de contester ou d’invalider. « La direction a‑t‐elle fait le calcul financier de ce phénomène, auquel d’ailleurs moi‐même participe pour la première fois dans ma carrière ? », interroge un cadre non syndiqué. Enfin, sans qu’il soit possible de distinguer clairement ce qui relève du fantasme et de la réalité, le personnel syndiqué ou non stigmatise un contexte « de peur » et de « paranoïa », des méthodes « de pression insupportables », des pratiques d’intimidation « inacceptables. » Et tous notamment de faire référence au mouvement de contestation du 9 février 2017. « Nous étions rassemblés dans l’atrium intérieur du siège social, que surplombent des passerelles. De là, des personnes nous photographiaient », assurent‐ils. « Quand donc les dossiers que des collègues commencent de constituer déboucheront‐ils enfin sur des plaintes pour harcèlement ?, questionne l’un d’eux. Quand je découvre le projet de conditionner désormais les absences pour « décès » ou « maladie très grave » des proches aux « nécessités de service »… C’est aussi grotesque que scandaleux. Le climat est irrespirable. Vivement que j’en parte. Et c’est sans doute le but que poursuit cette stratégie de découragement. » Et de lancer un avertissement : « Imagine‐t‐on l’ampleur du séisme si, pour des motifs professionnels, un agent se balance dans le vide du haut de l’édifice ? »
La politique de l’exécutif n’est pas non plus étrangère au découragement. D’une culture historique de mission et de projets, la collectivité apparaît aux yeux du personnel s’être enfermée dans celle de « simple » gestion, qu’incarne le dogme des 75 millions d’euros de réduction des coûts de fonctionnement en années 2016 et 2017. « On ne bâtit pas un projet d’entreprise, on ne mobilise pas des agents sur ce seul objectif », déplore le socialiste Jean‐François Debat, vice‐président de la Région Rhône‐Alpes en charge des finances dans la précédente mandature. Seul ? Certes non. Mais l’ensemble des observateurs, y compris dans le cénacle syndical ou dans l’exécutif de Jean‐Jack Queyranne (président de 2004 à 2015), le reconnait : le corps social de la collectivité était usé. Restaurer un cadre responsabilisant, rigidifier les procédures, revitaliser une perspective, redynamiser les agents était devenu urgent. Ce qui, en premier lieu, impliquait de mettre fin aux gabegies – y compris dans la gestion, « élastique » voire laxiste, du personnel – et aux emplois inutiles qui avaient sédimenté au gré des largesses et des négligences.
Un dialogue social discrédité
Cet examen aussi sévère qu’incontestable des dérives de l’ancienne mandature est d’ailleurs au carrefour des espérances originelles et des désillusions actuelles qu’incarne Laurent Wauquiez. Unanimement en effet, l’impériosité de réveiller l’endormie de concert avec les injonctions économiques et financières – liées à la raréfaction des subsides de l’État et donc des ressources – s’est imposée. « Nous sommes parfaitement conscients de la situation des collectivités. Et même nous étions en attente forte du nouvel exécutif pour mettre en œuvre un projet compatible avec l’obligation de contraintes incontournables et d’une rigueur retrouvée », résume Élisabeth Le Gac, secrétaire régionale de la CFDT. C’est pourquoi, affirme‐t‐on chez les agents, que la victoire de Laurent Wauquiez fut accueillie avec « beaucoup d’espoir » et sécréta une volonté « motivante » d’apporter leur contribution au vaste chantier. Or, très vite, le désenchantement a assombri les certitudes, avant de les éteindre. En cause, la perception que le président déconsidérait les organisations syndicales, manifestait une défiance « idéologique et sectaire » à l’encontre d’agents assimilés à des suppôts de la gauche, méprisait le dialogue social. « Une chasse aux sorcières », claque Christian Darfeuille, secrétaire général UNSA. Une perception créditée par des gestes et des phrases – « comme son refus, dès son arrivée, de nous reconnaître officiellement toute légitimité tant que les élections du personnel concrétisant la fusion ne seraient pas tenues… ce qui intervint dix mois plus tard », fulminent les organisations syndicales –, corroborée par des membres du Conseil économique, social et environnemental (Ceser) – « on ne compte plus les silences et les actes dilatoires, les entraves délibérés y compris en terme d’information et de communication », pestent aussi bien Michel Weill et Jean‐Marc Guilhot (CFDT) que des participants au collège patronal – et dans la bouche même des plus hauts hiérarques patronaux. « De manière doctrinaire, et parce que viscéralement il exècre toute formation syndicale, Laurent Wauquiez a tiré un trait sur le dialogue social », résument deux d’entre eux. Sa décision de mettre fin à la Conférence sociale annuelle, où germèrent, par le passé, le Fonds régional d’action d’urgence, le hub financier et notamment le Fonds régional d’investissement, le plan PME, la gouvernance des CTEF (35 contrats territoriaux emploi formation aujourd’hui supprimés et appelés à être remplacés par un dispositif endogène), ou encore la plateforme de sécurisation des parcours professionnels, surgit comme un symbole. Y compris d’une « méfiance » voire d’une « aversion dogmatiques » pour les corps intermédiaires et les espaces de contre‐pouvoirs, supposés « déranger » la démocratie directe qu’il revendique – dans le sillage de Nicolas Sarkozy. « Or, que traduisent la transformation de la politique française et la mutation de la démocratie que nous vivons en 2017 ? La volonté citoyenne de « prendre part à ». Exactement l’inverse des logiques de Laurent Wauquiez », complète Élisabeth Le Gac.
Au final, et exacerbé par ses prises de position politiques nationales et par la perception d’une instrumentalisation de sa fonction régionale au service de son destin personnel, le corps social apparaît électrisé. Même le devoir d’obéissance et de loyauté, intrinsèque à tout emploi de fonctionnaire, semble fragilisé, et vaciller. D’aucuns estiment leur intégrité malmenée. Passent les « cas évidents », comme la clause Molière imposant l’usage du français sur les chantiers publics ; finalement jugée discriminatoire et contraire à la législation européenne, les agents ne peuvent être sommés de la mettre en oeuvre. Mais bien d’autres situations échappent à cette limpidité. « Comment voulez‐vous « considérer » votre président lorsque celui‐ci déclare que les plats préparés dans les lycées par le personnel de la Région sont de la « m…. » ?, synthétise un cadre. Alors nous ne faisons rien pour nous mettre en faute, mais nous ne faisons pas plus pour faire honneur à notre responsabilité. » Une insubordination sourde et déguisée, mais un sabordage réel. Ce qui n’est pas « obligation factuelle » est potentiellement nié ou détourné. « On ne se déplace plus, on ne relance pas les mails, on ne provoque pas de réunion, on ne prend plus d’initiative », confient, en substance, les témoins.
Des aides directes vilipendées
La relation conflictuelle que Laurent Wauquiez semble entretenir à l’égard des corps intermédiaires et cette culture de la démocratie directe ne sont pas étrangères au choix, prioritaire, des « aides directes » pour matérialiser la mobilisation de l’exécutif régional en faveur du tissu socio‐économique. Un dispositif, concomitant à l’éradication des CDDRA (contrats développement durable Rhône‐Alpes) qui maillaient le territoire et diagnostiquaient les besoins locaux, loin de faire l’unanimité. Outre l’obsolescence dont les milieux économiques le taxent volontiers, il représente un levier éthiquement suspect, c’est-à-dire un outil d’exercice d’influence potentiellement soustrait à l’impartialité et à la transparence. Au sein même des instances représentatives des chefs d’entreprise, confidentiellement « on » s’inquiète qu’un tel instrument de pouvoir permette à quelque individu obsessionnellement de pouvoir d’assouvir immodérément et « amoralement » l’exercice politique du pouvoir. Et de mettre en garde contre cette logique là encore « très sarkozienne » des rapports de force, au nom de laquelle « rien n’est jamais gratuit » et « toute aide est subordonnée à un renvoi d’ascenseur. Comment croyez‐vous que Laurent a été fait star au Puy‐en‐Velay ? », questionne, caustique, une figure régionale de l’entrepreneuriat proche de l’intéressé. Au sein de la Région et du Ceser, y compris de l’exécutif, on s’émeut d’attributions « étonnantes », qui correspondent aux intérêts électoraux des Républicains et à une cartographie des « points forts » en Auvergne – « outrageusement favorisée » – et dans les zones rurales, là où Laurent Wauquiez fonda son succès en 2015. La subvention directe de 1,2 million d’euros accordée lors de la première session plénière le 28 janvier 2016 au colosse Aubert et Duval, propriété du géant minier Eramet, pour soutenir l’installation d’une unité de production est restée dans les mémoires. Et « annonçait la couleur ».
Celle, clament désormais sans se cacher les interlocuteurs, d’un « clientélisme » habilement maquillé, aux commandes duquel règne celui que ses détracteurs surnomment le « préfet » ou l’« âme damnée » du président : Ange Sitbon, que Laurent Wauquiez a débauché au sein de l’ex-UMP où il exerçait son excellente connaissance de la carte électorale. Officiellement « simple » délégué général aux missions transversales et à la relation aux élus, il est en réalité « les yeux et les oreilles du président en son absence, dans la collectivité comme sur tout le territoire », constate un élu de la majorité. En effet, à lui et à son équipe rapprochée, constitutifs d’un « cabinet noir », l’arbitrage ultime d’un certain nombre de fléchages financiers. Et des fléchages financiers dont, dans l’ensemble et au‐delà du périmètre d’intervention « Sitbon », les motivations n’apparaissent pas « que » électoralistes : celles dites « idéologiques » sont aussi convoquées. Là encore encrée de manière indélébile, la mise en perspective des trois millions d’euros de subventions pluriannuelles votés le 22 septembre 2016 en faveur de la Fédération régionale des chasseurs pendant que des mouvements de défense de l’environnement comme la Frapna ou la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) étaient appauvris. Culturelles ou sociales, les associations souffrant des restrictions drastiques de la Région sont légion. « Même le secteur de l’économie sociale et solidaire est attaqué », déplore‐t‐on au sein du Ceser, où, là aussi, est mise en avant « l’impressionnante » cohérence des arbitrages avec les positionnements politiques et les préférences thématiques du président. Avec à la clé, selon les organisations syndicales, la disparition de 1 500 emplois. Le secteur de la formation professionnelle n’est pas épargné. Au sein du Cnam (Conservatoire national des arts et métiers) et du Greta, dont acteursdeleconomie.com révélait le 13 avril les conséquences sur l’emploi des coupures budgétaires brutalement décrétées, on ne peut s’empêcher de considérer que la nature même des formations dispensées, l’ADN des établissements, et le type de publics concerné
par les parcours de professionnalisation, ont participé à la décision régionale. « C’est, là encore, un bon exemple de ce qui caractérise la stratégie de Laurent Wauquiez confondant vitesse et précipitation. La nécessité d’économies et pour cela de nouveaux arbitrages budgétaires est tout à fait légitime ; appliquer la règle dans l’immédiateté, sans nuance ou plan B, et dans le mépris des conséquences est inacceptable », précisent à l’unisson des représentants des collèges syndical et patronal du Ceser. « La brusquerie aveugle n’est pas compatible avec la réalité et les contraintes objectives qui fondent le fonctionnement d’une collectivité régionale », abonde Jean‐François Debat.
Un plan de réduction accompli au‐delà des objectifs
Le bilan de Laurent Wauquiez peut‐il être confiné dans ce seul réquisitoire ? Non. Ce qui compose son actif n’est pas anodin. Et tout d’abord, l’accomplissement du principal vœu de campagne : la réduction des coûts de fonctionnement de l’institution. 300 millions sur l’ensemble de la mandature, dont 75 millions pour chacune des deux premières années. Selon le premier vice‐président Étienne Blanc (lire p.41), le seuil annoncé des exercices 2016 et 2017 cumulés sera même dépassé. « Oui, il y avait un peu de gras », concède Jean‐François Debat. Ce « coup de volant » de rigueur, souligne‐t‐on unanimement dans les rangs patronaux était une « absolue nécessité. » L’institution était encalminée, enkystée. « Ce que le président et son exécutif ont réussi pour la sortir de cette asphyxie est remarquable. » Y compris parce que cela doit permettre de desserrer l’étau des restrictions, et libérer de nouvelles marges d’investissement. « Dans mon secteur [celui des transports, d’1,260 milliard d’euros NDLR], nous devons remédier à l’usure du réseau ferroviaire, principalement des lignes secondaires. Sans cette stratégie qui permet de dégager une capacité d’investissements de 40 millions d’euros, je n’aurais pas pu convaincre l’État d’abonder de 215 millions d’euros pour lancer les travaux de réfection de 1 200 km de rails », illustre Patrick Mignola (vice‐président Modem et désormais député La République en marche). Son expérience passée de vice‐président des finances lui conférant une expertise particulière dans ce domaine, Jean‐François Debat se montre en revanche dubitatif. « L’immense majorité d’un budget régional est composée de postes de dépenses et d’investissements incompressibles, dans les secteurs des transports, de la formation, ou de l’économie. Imagine‐t‐on générer éternellement des économies dans l’entretien des lycées ou des transports ferroviaires ? Non. En année 1, la justification des économies était possible. En année 2, ce sera nettement plus compliqué. Au‐delà, cela est impossible, sauf à vider la politique régionale de sa substance. Enfin, peut‐on simultanément réduire drastiquement les affectations dans les domaines culturel et environnemental et affirmer une « vision » pour la Région ? ».
Des vice‐présidents « Économie » appréciés
Autre fortune, la composition d’un exécutif globalement apprécié. Certains vice‐présidents certes balbutient voire souffrent, principalement ceux issus de la société civile et/ou dont la « matière » ne constitue une priorité ni programmatique, ni idéologique, ni électoraliste – « des faire‐valoir » ou « des fantômes », les raille‐t‐on. La promesse d’un rajeunissement, mais aussi de la double parité hommes‐femmes et professionnels de la politique‐société civile a toutefois été mise en œuvre. Au sein des milieux économiques et patronaux, leur propre expérience des si complexes et souvent périlleuses fusions d’entreprises dicte une grande indulgence à l’égard de celle des collectivités auvergnate et rhônalpine – ici complexifiée par le déploiement, cahoteux, de la loi NOTRe –, et la préoccupation personnelle de Laurent Wauquiez pour la « chose entrepreneuriale » n’est l’objet d’aucun soupçon. Enfin la « bonne volonté » et les dispositions affichées par quatre des cinq vice‐présidents concernés – Étienne Blanc, Martial Saddier (économie, emploi, entreprises), Yannick Neuder (enseignement supérieur et recherche) et Juliette Jarry (numérique), le « cinquième élément » étant Philippe Meunier, délégué à la Chasse, la pêche, la sécurité… et aux partenariats internationaux – sont soulignées. « Il est d’ailleurs étonnant de constater l’écart, abyssal, entre la dynamique de coopération de ces quatre vice‐présidents et l’esprit de non coopération de leur président », constate l’un de leurs alter egos à la Métropole de Lyon. Surtout, au sommet de cette hiérarchie de l’exécutif, exerce un Étienne Blanc plébiscité. Au point qu’entamée plusieurs semaines avant le dépôt des candidatures au scrutin législatif (19 mai) la somme des entretiens composant l’enquête révélait « l’espoir » et le « soulagement » – pour les plus mesurés – la « délivrance » – pour les plus vindicatifs – d’un départ, alors fortement crédible, de Laurent Wauquiez pour le Palais Bourbon et concomitamment son remplacement par le maire de Divonne‐les‐bains et ex‐député de l’Ain. « En tant que représentante des salariés, c’est exactement ce à quoi j’aspirais », claque Viviane Huber, secrétaire CFDT. « Douche glacée », ce jour‐là, pour les détracteurs du possible futur président des Républicains. Glacée mais promise à tiédir, puisque son statut de suppléant lui assure, avec la victoire d’Isabelle Valentin dans la 1ère circonscription de Haute‐Loire, de retrouver un strapontin de député au moment où il le jugera utile. Ce qui pourrait intervenir bien avant la fin de sa mandature en 2021.
Un problème « personnel »
En définitive, le « problème » de la Région Auvergne‐Rhône‐Alpes apparaît circonscrit à « celui » de son président. Et d’une personnalité anathématisée. Pêle‐mêle sont rapportés l’« extrême » dureté de ses propos, l’« autoritarisme » de son leadership, un « machiavélisme » et un « narcissisme » « pathologiques », des comportements duplices et des arbitrages sophistes, sa propension à « intimider » et à « humilier » – y compris, en public, son exécutif –, ses manques « d’humanité » et même « d’éducation » dans certaines circonstances, sa logique des rapports de force et sa défiance naturelle cultivées dans une vision manichéenne des situations et des individus. Son instrumentalisation « experte » de la communication liée à sa « soif de lumière » est source de « mensonges » selon Jean‐François Debat, faisant référence à la « gestion criminelle » dont Laurent Wauquiez qualifia la mandature Queyranne. « Nous le savions tous : son engagement hautement médiatisé d’installer des portiques de sécurité dans les lycées était irréaliste, comme en témoigne la poignée d’établissements aujourd’hui équipés. Peu importe, l’effet d’annonce a réussi », prend pour exemple Viviane Huber. Incarnation symptomatique : selon nos sources, la « violence » de sa réaction, en privé, lorsque le Ceser émit des réserves sur le budget de la Région aurait participé à la décision de sa présidente Sybille Desclozeaux de ne pas postuler à la reconduction de son mandat.
Également déploré : son pilotage « à temps très partiel » de la collectivité. Le chantier de la fusion, pour n’évoquer que lui, autorise‐t‐il une présidence en pointillés ? « À un ectoplasme a succédé un fantôme », fustige le président d’une société conseil en stratégie. Enfin, last but not least, la juxtaposition antagoniste de ses responsabilités régionales et de ses visées nationales, la collision qu’instruît l’exaucement de son intérêt personnel et celui de l’intérêt général propre à sa présidence, la compatibilité, conflictuelle, de la neutralité idéologique caractéristique de tout mandat régional et de la liberté idéologique – vitupérée jusque dans son camp – émise dans le cadre du débat public national. Au soir du premier tour du scrutin présidentiel, son refus, déterminé et isolé, d’appeler les électeurs LR à voter pour Emmanuel Macron afin de faire barrage à Marine Le Pen, fut considéré comme le symbole supplémentaire d’une « radicalisation » et même d’un « sectarisme » orchestrés dans le cadre de la recomposition du parti dont il brigue les commandes. L’un de ses anciens comparses du Conseil d’État observe son évolution idéologique vers la « droite dure » : au début, il la croyait de « pure » opportunité circonstancielle. Aujourd’hui, et à l’aune de ses 18 premiers mois à la tête de la collectivité, il en est « sûr » : la « brutalité » avec laquelle il exerce son pouvoir incarne et modèle celle de ses convictions les plus intimes. Les récentes évocations, dans le cadre de la future présidence des Républicains, d’une proximité avec Marion Maréchal Le Pen – qui lui « tend la main » dans un entretien à Valeurs actuelles le 17 mai – et le mouvement intégriste Sens commun – qui « salue et soutient ses prises de position courageuses » – attisent un peu plus les braises. Ce contexte confusant et même collusif, accréditant la perception qu’il prend la collectivité régionale au piège de son ambition – légitime mais obsessionnelle – de conquérir l’Élysée, contribue à enflammer les doutes, les rejets, et donc les supputations plus ou moins fondées. Au premier rang desquels le « désintérêt » pour sa fonction régionale, entretenu par l’exiguïté du budget et des marges de manœuvre, par des convictions personnelles en matière territoriale et européenne « peu compatibles », par l’illisibilité de sa « vision régionale », et surtout par la nature des compétences gérées qui ne lui autorisent guère de visibilité « publique et électorale ». Son « combat » en faveur de la réduction des coûts de fonctionnement participe d’ailleurs des rares opportunités pour lui de faire valoir, le moment venu, dans le débat national sa capacité à dupliquer sur la géographie hexagonale les enseignements du « laboratoire » régional. « Son populisme idéologique et tactique, et sa politique clientéliste n’honorent pas le sens de la responsabilité républicaine et citoyenne », tranche Élisabeth Le Gac. Pour toutes ces raisons, la perception qu’en décembre 2015 son objectif final était davantage de conquérir le poste que de piloter la Région est peu à peu devenue certitude dans les consciences, synthétise Christian Darfeuille.
« Le mal est fait »
Personne ne se hasarde à contester son « impressionnante » intelligence, un don rare d’ubiquité, une capacité de travail « hors du commun » qui lui assurent une « excellente » maîtrise des dossiers. « Il déplace des montagnes », admire le vice‐président Martial Saddier. Nul doute, à ce titre, que « l’impatience » et « l’opportunisme » le caractérisant résultent de cette singulière agilité intellectuelle. Intellectuelle mais aussi tactique ; son renoncement momentané (et surprenant) à la députation a « intégré » la victoire d’Emmanuel Macron, la déroute du parti LR et sa probable implosion, l’anticipation d’une débâcle le 18 juin, l’analyse des votes, peu favorables à sa formation politique, au Puy‐en‐Velay lors de la présidentielle – François Fillon arrivé seulement troisième, avec 21,78 % des voix, derrière Emmanuel Macron (26,46 %) et Jean‐Luc Mélenchon (23,18 %) –, la préparation du congrès LR de l’automne… et bien sûr la « place » que la nomination de Gérard Collomb au ministère de l’Intérieur libère dans l’agglomération lyonnaise. Martial Saddier et Alain Berlioz‐Curlet (président de la commission Economie de proximité, commerce, artisanat) l’assurent en substance : « le meilleur est à venir au sein de la collectivité. C’est-à-dire qu’après les bouleversements imposés par la construction de la fusion va venir le temps de la stabilisation et de la consolidation. » Il n’empêche, le « mal est fait. » L’immodérée personnification et l’excessive politisation dont, en matières de gouvernance comme de communication, le président a fait le choix de particulariser son exercice du pouvoir régional, sont à double tranchant. Pour l’heure, les raisons d’en souffrir dominent. « Quel gâchis. En quelques mois, il a dissous l’énergie et les compétences que les salariés étaient déterminés à mettre à son service », peste un cadre. Laurent Wauquiez – qui n’a pas donné de suite favorable à notre demande d’entretien – entendra‐t‐il ce blâme ? Est‐il disposé à et capable de procéder aux retournements assurant sa réversibilité ? Les prochains mois seront révélateurs.
Mediacités reproduit ici une enquête publiée ce mercredi 28 juin par Acteurs de l’économie‐La Tribune dans son numéro de juillet‐août 2017 et sur son site internet. Cette reprise est le fruit d’une rencontre entre nos deux rédactions et fait suite à un premier partenariat éditorial, le 7 juin dernier, avec la publication par nos confrères d’un de nos articles (« Ange Sitbon, la perle secrète de Laurent Wauquiez »). Si nos identités éditoriales sont différentes, nous partageons cette exigence d’une information intègre, utile aux citoyens et à la vitalité démocratique. Parce que l’enquête inédite d’Acteurs de l’économie‐La Tribune sur le fonctionnement (ou plutôt le dysfonctionnement) de la région Auvergne‐Rhône‐Alpes à l’heure Wauquiez constitue un apport précieux au débat local, nous nous réjouissons de pouvoir la proposer aux lecteurs de Mediacités. D’autres collaborations entre nos deux titres pourraient voir le jour. |
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