Les 1001 visages de la Guillotière

Secteur cosmopolite en voie de "boboïsation" ? Oui, mais pas que. Entre mutation immobilière, immigrations successives et influence des étudiants, portrait d’un quartier emblématique de Lyon, au-delà des clichés.

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Attirante, effrayante, elle a le mérite de ne laisser personne indifférent. A Lyon, on l’adore ou on l’abhorre ; on en parle au féminin, or il s’agit d’un quartier : la Guillotière est l’un des territoires de la capitale des Gaules qui polarise le plus les avis… et les clichés. Elle reste difficilement saisissable, car complexe et mouvante. Etendard d’un métissage urbain talentueux pour les uns, elle fait figure pour d’autres de coupe‐gorge nocturne, de tête de pont de l’islamisme radical et/ou de l’impérialisme bobo. Chacune des étiquettes accolées à la « Guill”  » porte une part de vérité, aussi infime soit‐elle. Mais les 1001 visages de ce quartier prolifique, aux frontières aléatoires, se révèlent au visiteur comme à l’habitant selon l’humeur.

Cette identité versatile, la Guillotière la doit à sa position historique de carrefour, de point de passage et de lieu de rencontre. Jusqu’en 1775 et l’ouverture du pont Morand, celui de la Guillotière est le seul accès possible à la presqu’île depuis la rive gauche du Rhône. Dès le XIIe siècle, un faubourg se développe autour du noyau que constitue « la place du pont ». C’est là que les voyageurs font une dernière halte avant de passer les portes de la ville, que les malades sont mis en quarantaine en attendant d’accéder à l’Hôtel‐Dieu.

Quartier des Canuts avant la Croix‐Rousse

Le quartier se peuple de cabarets et d’auberges – en témoignent les cours intérieures pavées, qui servaient à parquer les chevaux. Ballotée entre les départements du Rhône et de l’Isère, la commune de la Guillotière est définitivement rattachée à la ville de Lyon en 1852. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, elle s’urbanise. Des artisans s’installent, certains viennent d’Auvergne, d’Ardèche ou de Savoie, alors italienne. Les Canuts y établissent leurs premiers métiers à tisser avant de migrer vers la Croix‐Rousse.

A partir du début du XXe siècle, les flux de population s’internationalisent. Maghreb, Turquie, Asie, Europe de l’Est, Afrique sub‐saharienne : les vagues se suivent et se superposent. « Cela a toujours été un ghetto, au sens de l’école de Chicago, c’est‐à‐dire un sas entre ici et ailleurs, une transition entre l’extérieur et un nouvel espace, explique Jacques Défossé, géographe à l’université Lyon 2. Et le commerce ethnique y a toujours été important puisque c’est traditionnellement un point d’accueil des migrants, qui pouvaient se débrouiller avec leurs codes sociaux et leur langue. »

Désormais, la Guillotière désigne la moitié nord du 7e arrondissement et le sud‐ouest du 3e arrondissement, et englobe notamment le Chinatown lyonnais (le nord de la rue Pasteur), les boutiques africaines (rue Gryphe et Grande Rue de la Guillotière) et le quartier maghrébin (autour de la rue Paul‐Bert), où Kabyles et Algériens ont longtemps prédominé. Mais aussi des boucheries kasher …

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Par Maïté Darnault (texte) et Alberto Campi (photos) /WeReport

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