Elle devait être le symbole d’un second souffle pour le centre‐ville du Puy‐en‐Velay. Elle sera plus sûrement le synonyme d’une affaire très embarrassante pour la municipalité de Michel Chapuis (UDI), fidèle installé à la mairie par Laurent Wauquiez, le réel patron de la ville (il en a été le maire entre 2008 et 2016). D’après nos informations, le Parquet national financier a ouvert, il y a quelques semaines, une enquête préliminaire pour délit de favoritisme à propos de la halle du marché couvert du centre‐ville. Ce mardi 29 mars, dans la matinée, une perquisition était en cours dans les locaux de la commune.
Les magistrats soupçonnent la ville du Puy‐en‐Velay d’avoir truqué le marché de concession de service public pour le développement, la promotion et l’exploitation de la halle. Comme Mediacités est en mesure de le révéler, un candidat à ce marché, opposant politique local de Laurent Wauquiez, a en effet été délibérément désavantagé pendant la procédure. Sollicité sur le dossier de la halle depuis le début de la semaine dernière, Michel Chapuis n’a pas répondu à nos sollicitations malgré nos relances par téléphone et par mail. Contacté ce matin par SMS, pour réagir à la perquisition ordonnée par le Parquet national financier (PNF), le président de la région Auvergne‐Rhône‐Alpes n’avait pas non plus répondu au moment de notre publication.
Mais commençons par l’objet du scandale. Abîmée par les années, la halle de style Baltard construite en 1880 au cœur de la cité ponote est en passe de retrouver son lustre d’antan. La Ville a entrepris des travaux de rénovation au printemps 2021, qui devraient s’achever en juillet prochain. En attendant, elle a décidé de confier, le 21 décembre dernier, les futures gestion, promotion et exploitation du marché couvert au restaurateur Guillaume Fourcade, associé au brasseur Frédéric Bayer. Le duo a remporté ce gros lot, d’une valeur de 8 millions d’euros (chiffre d’affaires escompté) pour dix ans, au terme d’une procédure d’appel d’offres.
La crainte de froisser Laurent Wauquiez
Dans L’Éveil de la Haute‐Loire, début février, Michel Chapuis s’est chargé lui‐même d’évoquer « l’esprit » des lieux. « L’idée est de créer une halle gourmande autour d’une brasserie avec la possibilité d’acheter des produits locaux et de consommer sur place, le tout dans une ambiance conviviale », promet le maire. Et d’inviter les Ponots à patienter un peu, avant de dévoiler davantage ce projet chiffré, avec les travaux, à 1,75 million d’euros (d’après Le Progrès, la facture grimperait à 2,6 millions d’euros avec la réfection de la place où se trouve la halle). Ouverture prévue en septembre 2022.
Voilà pour la belle histoire. Car, en réalité, les choses se sont déroulées de façon bien moins idyllique et « conviviale »… Mediacités a pu accéder aux coulisses de l’appel d’offres lancé par la Ville pour l’exploitation de la future halle. Il se révèle complètement truqué par le service chargé du commerce de proximité (que se partagent la commune et la communauté d’agglomération du Puy‐en‐Velay) afin de satisfaire des considérations politiciennes et de crainte de froisser Laurent Wauquiez.
« Je lui ai dit un jour qu’il était un bel hypocrite »
Rembobinons. En décembre 2020, la municipalité décide de confier la gestion de la halle via une délégation de service public. Très vite, deux candidats se détachent : Alexis Haon et Guillaume Fourcade. Le premier, jeune chef en vue du Maki Nova, un restaurant japonais qu’il a monté à 20 ans dans le centre historique du Puy, voit là le projet de sa vie. Il imagine une halle accueillant un magasin de producteurs locaux et une table de 150 couverts. Viendront se relayer les meilleurs chefs de la ville pour y cuisiner leurs produits. Il projette également de créer une chaîne de télévision en ligne, sur laquelle il posterait ses road‐trips à mobylette dans la campagne altiligérienne, à la rencontre des agriculteurs.
Alexis Haon croit tellement à son projet qu’il vend le Maki Nova en mai 2021, sans attendre le résultat de l’appel d’offres. En face, son concurrent Guillaume Fourcade propose lui un restaurant de burgers et une micro‐brasserie, le tout avec une redevance annuelle deux fois et demi moins intéressante pour la municipalité (18 000 euros contre 51 800 euros, en part fixe).
Sauf qu’Alexis Haon présente un sérieux handicap aux yeux de la majorité municipale du Puy‐en‐Velay. Lors des élections de 2020, ce féru de produits bio et authentiques figurait en position éligible (à la 7e place) sur la liste de Laurent Johanny, qui rassemblait toutes les sensibilités de gauche. Bref, le candidat n’est pas inconnu dans le paysage local et de l’ancien maire, Laurent Wauquiez, toujours élu au conseil municipal et vice‐président de la communauté d’agglomération.
Les deux hommes ont d’ailleurs déjà échangé des propos musclés sur le marché du centre‐ville où l’élu à la parka rouge se promène les samedis matins. « Un jour, un producteur a refusé de lui vendre des pommes. J’ai dit à Laurent Wauquiez qu’il ne devait pas s’en étonner car il était un bel hypocrite à faire des sourires aux agriculteurs locaux, alors qu’en fait il soutient l’agro-industrie », confie, bravache, le restaurateur.
Boucle WhatsApp
Laurent Wauquiez et ses proches ont‐ils œuvré pour disqualifier Alexis Haon dans la procédure d’attribution du contrat de concession de la halle ? De source judiciaire, les petites mains de la mairie du Puy‐en‐Velay se sont activement mobilisées pour écarter sa candidature, avec le feu vert du maire Michel Chapuis. Dès le choix des deux candidats finalistes publié, le service du commerce de proximité aide Guillaume Fourcade à muscler son offre jugée trop faible sur plusieurs points.
En septembre dernier, la responsable du pôle « économie de proximité », chargée du dossier, dégotte ainsi un avocat de droit public pour accompagner le candidat lors de sa présentation. Ce n’est pas tout : contrairement à Alexis Haon, qui est sèchement éconduit quand il demande un rendez‐vous au service, Guillaume Fourcade a droit à une salve de conseils personnalisés via une boucle WhatsApp sur laquelle il échange avec cette responsable. La mairie va même jusqu’à réécrire en grande partie le dossier du candidat.
À plusieurs reprises, le candidat Fourcade s’inquiète, rappelle son interlocutrice à la Ville. Elle le rassure : en dépit de sa présentation bien médiocre, il va remporter l’appel d’offres. Il faut dire que le dossier de la halle l’accapare complètement. Au point que la fonctionnaire craque à plusieurs reprises. Le 19 octobre dernier, elle se plaint à son supérieur direct du peu de soutien de la part de Stéphane Granet, le directeur général des services de la communauté d’agglomération. Or, le dossier du marché couvert est hautement politique. En interne, tout le monde convient que l’ombre de Laurent Wauquiez pèse sur le sujet. Ne pas réussir à écarter Alexis Haon n’est pas une option.
Début novembre, tout s’accélère. La procédure est sur le point de s’achever, rien ne doit fuiter. Les clés USB laissées sur le bureau de la responsable du service du commerce de proximité à disposition du candidat choyé par la mairie pour que celui‐ci peaufine son dossier dans le bon sens ? Terminé. Puis vient la tuile : les employés de la mairie s’aperçoivent un peu tard que leur appel d’offres, publié au niveau national, a dépassé un seuil qui aurait nécessité une publication de l’appel à concurrence au niveau européen. Ce détail technique n’en est pas un : le marché peut être annulé, et tout serait à refaire. Pas de problème, l’efficace employée de mairie remet le dossier dans les clous en modifiant la durée du contrat de délégation de service public. Le candidat Haon est donc prié de refaire ses calculs pour s’ajuster à cette nouvelle donne.
Ces manigances ne vont pas sans créer quelques tensions en interne. Les fonctionnaires chargés du dossier redoutent autant, si ce n’est plus, que l’attribution traîne en longueur, ce qui mécontenterait Laurent Wauquiez, que de possibles poursuites judiciaires. Finalement, le 24 novembre, la décision est actée. Guillaume Fourcade reçoit un appel de la mairie pour l’informer qu’il a gagné le marché alors que le résultat de l’appel d’offres n’est censé être rendu public que lors du conseil municipal… du 21 décembre ! Mais il y avait urgence : le gagnant partait aux vacances aux États‐Unis. Commence alors un travail de camouflage. Le service du commerce de proximité efface les traces compromettantes, des mails sont mis à la poubelle.
« Tout portait à croire que les règles avaient été respectées »
Le 29 novembre, une réunion a lieu dans les locaux du service pour officialiser le choix. Sont présents la responsable qui s’est occupée du dossier, l’adjoint au maire du Puy Jérôme Eynard, chargé des commerces, le responsable du service juridique à la mairie et à l’agglomération, et une autre employée. Les deux offres sont notées. Dans une ambiance bon enfant, on rigole sur le fait qu’il faut dévaloriser celle d’Alexis Haon. On rigole moins quant il faut justifier que Guillaume Fourcade fera payer ses loyers beaucoup plus chers. Le juriste propose d’analyser uniquement la part fixe du prix au mètre carré par an afin de noyer la part variable dans un global. La manœuvre a beau être habile, elle n’en reste pas moins malhonnête, comme il en convient lui‐même pendant la réunion…
Le même jour, Jérôme Eynard et la responsable du pôle économie de proximité rencontrent Michel Chapuis et sa directrice de cabinet Annick Sabatier. Celle qui a supervisé le dossier depuis le départ présente le résultat au maire, à l’aide d’un vidéo projecteur. L’élu s’étonne que le rapport soit autant raturé. Il relève aussi l’absence de certaines pièces dans le dossier Fourcade, à savoir le prix estimé des menus. Un détail qui peut rendre la candidature irrecevable… Pour le rassurer, ses interlocuteurs précisent avoir noyé le poisson dans la présentation. Ils l’entretiennent aussi des bidouillages effectués sur la redevance. Michel Chapuis ne s’en inquiète pas et balaie d’un revers de manche le risque de contentieux.
De fait, le travail de maquillage a payé : le passage en commission d’appel d’offres puis l’annonce, le 21 décembre dernier en conseil municipal, du choix de la mairie d’attribuer la concession à l’offre Fourcade‐Bayer passent comme une lettre à la poste. Contacté par Mediacités, le chef de file de l’opposition Laurent Johanny concède n’avoir pas réagi : « Sur l’attribution de ce marché, je n’ai rien à dire. Lors de ce conseil municipal, on nous a présenté un dossier de synthèse, mais nous avons choisi de nous abstenir parce qu’une des offres a été présentée par quelqu’un qui a été candidat avec nous. Tout portait à croire que les règles avaient été respectées. »
Pas pour Alexis Haon, qui dépose un recours le 23 février au tribunal administratif de Clermont‐Ferrand pour contester la validité du contrat de la halle. Deux jours plus tôt, il a porté plainte contre X pour délit de favoritisme devant le procureur du Puy‐en‐Velay avant que l’enquête ne soit confiée au Parquet national financier. L’affaire est désormais dans les mains de la justice.
Nous avons contacté dès le 21 mars la mairie du Puy‐en‐Velay en sollicitant une interview avec Michel Chapuis. Comme nous l’avons écrit par mail à ses services, nous souhaitions aborder avec le maire du Puy‐en‐Velay l’attribution de l’exploitation de la halle alors que nous avions appris qu’elle était contestée devant le tribunal administratif. En vain. Nous avons par ailleurs contacté Laurent Wauquiez ce mardi 29 mars, après avoir appris qu’une perquisition était en cours à la demande du Parquet national financier. Aucun des éléments réunis pendant notre enquête ne démontre une implication directe et personnelle de l’homme fort du Puy dans ce dossier, mais, dans les couloirs de la municipalité et de l’agglomération, son nom a régulièrement été mentionné pour justifier les manœuvres entreprises pour faire perdre Alexis Haon. Le président de la région Auvergne‐Rhône‐Alpes connaît très bien le projet : comme l’illustre une photo du site de la ville, il était présent, aux côtés de Michel Chapuis, pour le lancement des travaux de la halle, tout de rouge vêtu.
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