Dans son pavillon de Pierre‐Bénite, Thierry Mounib n’en finit pas d’entasser les rapports et les coupures de presse sur « l’affaire Arkema ». Pour ce retraité, l’usine, vaste amas de tuyauterie et de cheminées dressé à quelques encablures de sa maison, était un élément du paysage. Elle est aujourd’hui le rappel d’une « trahison ». Une blessure révélée par un documentaire de l’émission « Vert de rage », diffusé par France 5 en mai 2022.
Prélèvements et analyses de laboratoire à l’appui, l’enquête dévoilait l’existence d’une vaste pollution aux substances perfluorées, les PFAS, une famille de près de 4 000 composants chimiques utilisés dans de nombreuses applications industrielles, appelés « polluants éternels ». Des molécules retrouvées dans l’air, dans l’eau du Rhône et même dans le lait maternel, utilisées – notamment – dans les productions d’Arkema et Daikin, deux entreprises de Pierre‐Bénite.
L’émission a provoqué un branle‐bas de combat dans la vallée de la chimie, poumon industriel de l’agglomération lyonnaise. Les rejets d’Arkema et Daikin ont été placés sous surveillance des services de l’Etat. Les études réalisées en urgence ont confirmé la pollution du captage qui alimente en eau potable près de 200 000 habitants au sud de Lyon. La préfecture, qui publie régulièrement des documents sur ce sujet, recommande aussi de ne pas consommer les poissons péchés en aval de Pierre‐Bénite dans le Rhône ou le Garon, la rivière locale, tout en précisant que les perfluorés retrouvés dans l’eau ou les animaux ne proviennent pas forcément des rejets d’Arkema.
Deux études en lien avec les perfluorés sont attendues pour la fin du mois de janvier. La première est issue du programme de surveillance environnementale lancé par les deux industriels sur ordre de la préfecture. Si Arkema s’est plié à cette obligation, l’entreprise souligne déjà dans sa réponse à Mediacités « les incertitudes importantes sur la fiabilité des résultats » à venir et évoque une « marge d’erreur entre 20 et 60 % selon les indications des laboratoires européens consultés » et « l’absence de méthodologie uniforme et fiable ». De quoi entretenir le doute sur l’ampleur éventuelle de la pollution. Une seconde étude, menée par services de l’Etat sur le maraîchage va également être rendue publique à la fin du mois de janvier. Celle‐ci doit analyser les « légumes irrigués avec de l’eau du Rhône » cultivés par des exploitations de six communes de l’Ouest lyonnais.
Polluants réglementés en… 2026
Pour Thierry Mounib, qui a accompagné l’auteur du documentaire de France 5 dans son enquête, le choc a été immense. Depuis près de quinze ans qu’il s’impliquait dans les instances de dialogue entre riverains et industriels, donnait son avis, participait à des visites guidées de l’usine, il était « en confiance », dit‐il : « Tout ça pour découvrir qu’ils balancent consciemment des saletés dans l’eau. J’ai l’impression qu’on s’est moqué de moi. »
« Consciemment » ? Légalement, en tout cas, insiste Arkema depuis le début du scandale, car la réglementation sur les perfluorés n’entrera en vigueur qu’en 2026. Sous la pression médiatique et politique, l’industriel a toutefois anticipé un arrêté préfectoral en annonçant vouloir se passer d’additif fluoré (le 6:2 FTS) dans sa production d’ici à 2024. De la poudre aux yeux, blâment plusieurs observateurs locaux, qui estiment que l’industriel avait prévu de longue date de cesser cette production. « Cette transition était déjà en cours », confirme Arkema à Mediacités, même si « sa mise en place à l’échelle industrielle nécessite du temps ».
« Les industriels ne sont pas des saints »
Les révélations de l’émission de France 5 ont aussi provoqué une vague d’interrogations. Si une telle pollution – dont les services de l’Etat peinent encore à mesurer les effets ou la toxicologie – a pu s’installer aussi durablement sans alerte des pouvoirs publics, combien d’autres passent encore sous les radars ? « L’affaire des perfluorés est venue nous rappeler que les industriels ne sont pas des saints et que nous devons être vigilants », estime Pierre Athanaze, vice‐président (EELV) de la Métropole de Lyon, chargé de l’environnement.
De ce chapelet d’usines et de cheminées industrielles qui s’étire le long du Rhône sur une quinzaine de kilomètres, les habitants de la région lyonnaise ou ceux qui empruntent l’A7 retiennent surtout la raffinerie Total de Feyzin, son alignement d’énormes cuves et sa torchère, ou l’odeur de vanille qui chatouille les narines près du site Solvay de Saint‐Fons. Les mieux informés ont une idée de l’importance stratégique de ce territoire.
Avec 12 000 emplois (près de 50 000 en comptant les emplois indirects), la vallée de la chimie compte parmi les plus importantes plateformes pétrochimique françaises, aux côtés de celles de Berre et Lavéra, dans les Bouches‐du‐Rhône, ou du Havre. Elle concentre une dizaine de sites classés Seveso seuil haut, le niveau de risque le plus élevé. Le tout dans un milieu urbain, peuplé de près de 50 000 habitants répartis dans dix communes.
Cercles rouges, bleus ou jaunes
Mais que sait‐on de la dangerosité de ce complexe industriel ? Une carte des services de l’Etat permet aux riverains de connaître les dangers auxquels ils sont exposés. Votre logement est dans un cercle rouge ? Attention au risque « thermique », qui désigne le rayonnement d’un incendie ou d’une explosion autour d’une usine. Cercle jaune ? gare aux « surpressions », c’est-à-dire au souffle d’une explosion qui peut briser les vitres ou ébranler les bâtiments. Quant aux cercles bleus, il peut vous laisser craindre le risque « toxique » en cas de fuite de produit dans l’usine voisine.
L’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen, en 2019, suivie des explosions au port de Beyrouth en 2020, ont rouvert le débat sur l’acceptabilité de ces risques à proximité de zones urbanisées. Depuis son élection en 2020 à la mairie de Lyon, l’écologiste Grégory Doucet se débat avec la préfecture pour essayer d’éloigner les dépôts pétroliers et leurs cuves qui contiennent près de 300 000 tonnes d’hydrocarbures du port Edouard‐Herriot, au sud de Gerland. Ce déménagement permettrait de « libérer » la presqu’île de l’Archevêque pour y installer des activités de loisirs, mais surtout de mettre fin à « une ineptie » qui fait peser « un risque énorme sur la population et sur l’environnement », considère, sur Twitter, le maire. Aux dernières nouvelles, l’Etat aurait accepté de déplacer ces stocks d’ici à 2040, au lieu de 2050, selon Grégory Doucet, cité par Le Monde.
Le stockage de pétrole est loin d’être la seule activité à risque de la vallée. Gaz fluorés, PVC, javel, acide chlorhydrique, polyamides et autres productions chimiques à destination de l’industrie plastique, pharmaceutique, agro‐alimentaire, de la parfumerie ou du textile… Le long du Rhône, toutes les usines sensibles sont des « installations classées protection de l’environnement » (ICPE) et font l’objet, à ce titre, d’obligations légales et de contrôles. A commencer par les sites Seveso, c’est-à-dire ceux qui fabriquent ou stockent des produits dangereux.
Ces entreprises, la plupart possédées par des grands groupes internationaux, respectent‐elles la réglementation ? Quels sites se font taper sur les doigts par les services de la Dreal, la direction régionale de l’environnement, bras armé de la préfecture pour contrôler les industriels ? Et quels types de dysfonctionnements sont détectés ? Aucun document ne synthétise ces informations.
Mises en demeure et incidents majeurs
Pour essayer d’y voir plus clair, Mediacités a épluché les rapports et les arrêtés préfectoraux publiés sur le site Géorisques depuis 2015 – date des publications les plus anciennes mises en ligne – ainsi que les rares comptes‐rendus (les derniers datent de 2019) des comités de suivis de sites. Ces instances rassemblent des responsables d’usines, les services de l’Etat, des collectivités et des représentants des habitants dans un secteur donné. Nous nous sommes concentrés sur les mises en demeure, prononcées par la préfecture en cas de dysfonctionnement important, et sur les incidents ou accidents majeurs repérés dans ces documents officiels ou dans la presse. Ce travail de fourmi nous a permis d’établir la carte ci‐dessous.
Pollution et non‐conformités : les bons et mauvais élèves de la vallée de la chimie [Cliquer sur les usines pour faire apparaître les informations disponibles]
Premier enseignement de notre carte : certains industriels sont beaucoup plus dans le viseur des services de l’Etat que d’autres. Avec respectivement huit et cinq mises en demeure sur la période étudiée, Arkema et Elkem Silicones font figure de mauvais élèves de la vallée, tandis que d’autres, comme Polytechnyl, Rhône Gaz ou deux des trois dépôts pétroliers du port Edouard Herriot, conservent un « casier » vierge.
La raffinerie Total de Feyzin, pourtant le plus grand site en surface et en nombre de salariés, n’a été épinglée en urgence qu’une seule fois à la suite d’un incident en juillet 2022. Un court‐circuit sur un transformateur avait entraîné l’arrêt rapide de la raffinerie, avec pour conséquences d’importants rejets au niveau de la torchère, la fameuse « flamme » de Feyzin utilisée pour brûler le gaz en surplus et faire baisser la pression. L’événement a été pris au sérieux : le site ne sera autorisé à redémarrer son activité qu’après onze jours.
Les autres rapports disponibles font apparaître peu de non‐conformités dans la raffinerie. Le signe, peut‐être, d’une culture de la sécurité plus ancrée depuis la catastrophe de 1966 qui avait fait dix‐huit morts ? Emblématique du territoire et scruté à la moindre fumée un peu sombre, le site de Total n’a en tout cas pas le droit à l’erreur. Sollicité par Mediacités, Total Energies n’a pas donné suite à notre demande d’interview.
Fuite de chlore et boule de feu
La nature des problèmes pointés est aussi très variable. Certains arrêtés préfectoraux visent des anomalies sur des documents de prévention des risques, une absence de dispositif anti‐incendie dans certains bâtiments ou bien un risque sur une tuyauterie de chlore. Autant de manquements sérieux à la réglementation pour les entreprises concernées, mais sans conséquences immédiates.
Plus grave, d’autres rapports font état de rejets et de pollutions avérées. Comme en 2017, quand Rhodia Opérations (anciennement Rhône‐Poulenc), une usine du groupe Solvay, dépasse le seuil prévu des émissions en oxyde d’azote (NOx). Débordement d’une citerne d’hydrocarbure à l’Entrepôt pétrolier de Lyon, fuite d’acide sulfurique chez Arkema… le danger n’est pas que théorique.
En 2017, un incendie se déclare ainsi dans un atelier de maintenance de Rhône Gaz, qui conditionne notamment des bouteilles de butane et de propane. En novembre 2018, l’usine Kem One de Saint‐Fons rejette du chlore dans l’atmosphère et attend près de huit heures avant de le signaler aux services de l’Etat. Quelques semaines plus tard, la même usine rejette pendant six heures près de 3,5 tonnes de chlorure de vinyle monomère, reconnu cancérogène avéré depuis les années 1980.
Interrogée à ce sujet, la Dreal indique que Kem One a transmis un rapport au sujet des rejets accidentels de 2018, qui ont par ailleurs été signalés au procureur de la République. L’inspection précise que, « grâce au travail mené » avec l’entreprise, les niveaux de rejet sont désormais « conformes et inférieurs » à ceux de 2016 et 2017. Après une campagne de mesures, une nouvelle évaluation des risques doit être remise par l’entreprise aux services de l’Etat d’ici à la fin de l’année 2023 pour confirmer cette baisse et « actualiser les connaissances des conséquences sanitaires et environnementales des rejets de CMV ».
Pour ces usines à haut risque, de simples irrégularités peuvent rapidement avoir des conséquences funestes. Le 28 juin 2016, un opérateur logistique décède lors d’un incendie dans le bâtiment 41 d’Elkem Silicones. En 2019, l’entreprise et le sous‐traitant qui employait la victime sont condamnés à 50 000 et 100 000 euros d’amende pour « homicide involontaire ». Rien qu’en septembre 2022, quatre salariés de la raffinerie de Feyzin ont été blessés, dont trois lors de l’inflammation d’une poche de gaz qui a provoqué l’apparition d’une boule de feu. Ces derniers ont été hospitalisés avec des brûlures au deuxième et troisième degrés.
« La fréquence des visites [et] la complexité de l’installation, en plus d’une éventuelle mauvaise volonté de l’industriel »
Pour certaines entreprises, la fréquence des anomalies constatées par les services de l’Etat interroge sur le peu d’empressement des industriels à se mettre en règle. L’association de défense de l’environnement Notre affaire à tous a ainsi recensé 66 non‐conformités chez d’Arkema et 50 pour Elkem Silicones. Elle a engagé en mai 2022 deux procédures de référé pénal environnemental à l’égard de ces entreprises, pour demander au parquet de faire cesser rapidement ces irrégularités. La justice devrait se pencher sur le dossier au cours du premier trimestre 2023.
Auprès de Mediacités, la Dreal invite à interpréter ces chiffres avec prudence. Selon elle, le nombre important de mises en demeure visant ces sites peut s’expliquer aussi bien par « la fréquence des visites » que par « la complexité de l’installation, en plus d’une éventuelle mauvaise volonté de l’industriel ».
Contacté, le groupe Elkem indique avoir fait l’objet de 24 inspections des services de l’Etat depuis 2019 et avoir traité « 90% des demandes », le reste étant « en cours de traitement ». L’entreprise précise avoir investi plus de 25 millions d’euros sur le site de Saint‐Fons « pour des améliorations liées à la sécurité, la protection de la santé et de l’environnement ». Des travaux de rénovation de deux parcs de stockage de produits inflammables doivent notamment être finalisés en 2023, pour un coût de 2,44 millions d’euros. « Cet investissement anticipe les dates butoirs pour la mise en conformité post‐Lubrizol », met en avant l’entreprise. Selon le groupe, le nombre important de non‐conformités et de mises en demeure le concernant s’expliquerait par « l’échelle du site », l’un des plus importants de la vallée de la chimie, qui emploie près de 800 personnes.
De son côté, Arkema indique avoir été inspecté « onze fois en 2020 et douze fois en 2012 » et assure que le site ne fait l’objet d’aucune mise en demeure à ce jour.
Manque de connaissances scientifiques
Mais les démarches politiques ou juridique se heurtent souvent au manque d’information scientifique. Aucune structure n’est chargée de mesurer les conséquences sur la santé ou sur l’environnement des activités de la vallée de la chimie. Et tant que les pollutions ne font pas l’objet d’une réglementation spécifique, elles restent quasiment ignorées par les services de l’Etat.
« Il y a vraiment un problème de connaissance. Les différentes pollutions, de l’air, de l’eau, des sols, sont suivies par des entités différents, on manque de vision d’ensemble », déplore Delphine Favre, déléguée générale de l’association Amaris, qui regroupe des collectivités autour du sujet de la gestion des risques technologiques. « Et même quand des données existent, elles ne sont pas traduites en termes de toxicologie, d’effets sur la santé… Cela ne permet pas aux élus locaux d’agir », regrette‐t‐elle.
« Il n’existe pas de document de synthèse récent sur les risques sanitaires et environnementaux sur le périmètre de la vallée de la chimie », confirme la Dreal, qui rappelle que les industriels restent soumis à « un cadre strict ». Les services de l’Etat mentionnent plusieurs substances « faisant l’objet d’une attention spécifique sur la zone », comme « des composés organiques volatils à potentiel CMR tels que le benzène et le 1,3 butadiène (tous deux émis par les activités de raffinage), ainsi que le chlorure de vinyle (CVM).»
Faute de mieux, les décideurs doivent se contenter d’informations éparpillées. On sait par exemple que la vallée de la chimie est responsable de 26 % des émissions de CO2 dans la Métropole de Lyon, selon l’observatoire de la qualité de l’air Atmo Aura. « C’est absolument énorme », souligne Pierre Athanaze. Le vice‐président du Grand Lyon rappelle toutefois que « les émissions de dioxyde de souffre [SO2, un polluant qui cause notamment des problèmes respiratoires] ont baissé de 64 % en dix ans ».
« Il faut créer un guichet unique sur le savoir et la santé environnementale »
Reste que ces industriels sont « polluants par leur nature même », ajoute l’élu. L’usine Rhodia de Saint‐Fons est ainsi identifiée comme l’un des principaux émetteurs d’oxyde d’azote (NOx) et de composés organiques volatils (COV) dans le Rhône. La filiale de Solvay a été épinglée lors d’un contrôle inopiné en juin 2019, pour avoir fait fonctionner deux machines « aggravant le pic » alors que le territoire était en alerte de pollution atmosphérique de niveau 2. Un « écart majeur » aux yeux des services de l’Etat, mais sans autre conséquence… qu’un appel à ne pas recommencer lors des prochains épisodes de pollution. Pas de quoi effrayer le groupe Solvay, empire belge de la chimie employant près de 25 000 salariés dans le monde.
Depuis peu, les responsables locaux prennent conscience de l’étendue de leur ignorance. « Les perfluorés ont servi d’étincelle dans la vallée de la chimie. Un beau matin, les élus se réveillent avec un scandale majeur et n’ont aucune idée de ce qu’ils peuvent dire à leurs habitants », analyse Philippe Chamaret, président de l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions. Depuis dix ans, ce centre d’études travaille avec des scientifiques, des collectivités et des habitants de l’étang de Berre (Fos‐sur‐Mer) pour mesurer les effets des activités industrielles sur la santé. « Il faut créer un guichet unique sur le savoir et la santé environnementale », résume son directeur.
En mai 2022, le Grand Lyon a annoncé avoir noué un partenariat financé sur trois ans avec l’Institut écocitoyen et l’association Amaris, pour dupliquer la méthode dans la vallée de la chimie. « On en est aux tout premiers pas », indique Philipe Chamaret. « Ce qui est complexe, c’est déjà de savoir ce qu’on cherche, de comprendre où se situent les problèmes », décrit de son côté Delphine Favre.
Lentilles de pollution
En attendant que les études s’affinent, la plupart des usines de la vallée de la chimie restent concernées par des pollutions anciennes, mais toujours présentes dans les sols ou les nappes d’eau souterraines. La Dreal évoque notamment des pollutions au mercure liés à d’anciennes activités de production de chlore. « La pollution historique de la vallée de la chimie est une bombe à retardement qui va exploser dans les prochaines décennies », estime Emmanuel Martinais. Ce chercheur à l’ENTPE, une école d’ingénieur placée sous la tutelle du ministère de la Transition écologique, étudie le secteur depuis près de vingt ans.
Exemple avec Elkem Silicones, à Saint‐Fons. Dès 2008, l’industriel a réalisé des diagnostics mettant en évidences d’importantes pollutions au BTEX et au siloxane (silicone), des composés particulièrement toxiques ou persistants, à différents endroits de l’usine. Les rapports évoquent notamment des « lentilles de siloxane » flottant sur les nappes, pouvant atteindre, pour certaines, 1 000 mètres carrées de surface et un mètre d’épaisseur.
Selon Elkem, les lentilles de pollution présentes dans le sous‐sol de l’usine « datent des premières unités de production construite à partir de 1948, à une époque où les pratiques industrielles étaient très différentes ». Elles font l’objet d’un suivi depuis 2009 par « une entreprise indépendante », en lien avec les services de l’Etat, notamment pour contrôler leur impact sur les eaux souterraines. « Les résultats de ce suivi sur une quinzaine d’années confirment que les lentilles sont stables, ce qui est également confirmé par les rapports de ces dernières années », précise Elkem.
En 2012, comme la réglementation l’impose, l’industriel présente un plan de mesures de dépollution. Mais le processus est laborieux. Elkem indique être en train de faire valider des « techniques de remédiation » par les services de l’Etat. En 2018 et 2019, de nouvelles inspections avaient montré que la situation n’avait absolument pas évolué. « Dans l’immédiat, l’exploitant n’a pas prévu de traitement en raison des coûts et compte tenu du fait que la lentille ne bouge pas et que ces produits sont peu solubles dans l’eau », mentionnait le rapport. Traduction : la pollution peut rester là où elle est et l’entreprise ne pas ouvrir son portefeuille.
Cet article est le premier volet d’une série en trois épisodes intitulée Vallée de la chimie, voyage en terre à risques. Avec ces articles, Mediacités souhaite contribuer à forger un socle de connaissances sur ce secteur souvent mal connu des habitants de l’agglomération lyonnaise mais porteur d’enjeux majeurs pour l’avenir de la métropole.
Notre prochain article abordera les conséquences très concrètes de la présence de ces industries pour les riverains de la vallée, visés par des obligations de travaux voire des expropriations, et quasiment absents des discussions sur l’avenir du territoire.
Le troisième et dernier volet tentera d’analyser la promesse d’une « vallée de la chimie verte », plébiscitée par les élus locaux et mise en scène par les industriels, alors les marges de manœuvres des pouvoirs publics restent limitées face aux puissantes multinationales de la chimie.
Vallée de la chimie, voyage en terre à risques
- Episode 1 – Les bons et les mauvais élèves de la vallée de la chimie
- Episode 2 – Lotissement fantôme, travaux et expropriations : l’immense mais discret chantier de la vallée de la chimie
- Episode 3 – Publication le 25 janvier prochain
« L’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen » … dont les fumées ont dégagé des HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques) toxiques