Subventions régionales : les promesses de Laurent Wauquiez n’engagent que ceux qui y croient

De Bourgoin-Jallieu à Bourg-en-Bresse, en passant par Saint-Etienne ou par la bourgade de Lapalisse, dans l’Allier, nombre de communes ou d’intercommunalités désespèrent de voir la couleur d’aides financières promises ou votées par la région Auvergne-Rhône-Alpes. Le maire de Givors a même entamé une procédure judiciaire pour tenter de forcer la collectivité à respecter ses engagements.

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Le conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes demande aux communes qu'elle aide financièrement d'installer un panneau à ses couleurs à leur entrée. Photo : A.Campi/We Report-CC BY Sebleouf ; montage : N.Barriquand/Mediacités.

Quand il ne se balade pas au Salon de l’agriculture à tâter les vaches en rêvant tout haut d’un destin à la Jacques Chirac, Laurent Wauquiez n’aime rien moins que distiller les bonnes nouvelles dans sa région Auvergne‐Rhône‐Alpes. La dernière date du 24 février avec la finalisation du volet métropolitain du Contrat de plan État‐Région (CPER) 2021–2027. Cette feuille de route de « plus de 4,4 milliards d’euros » pour l’ensemble des 12 départements du territoire dresse une liste d’investissements financés à parts égales entre les deux partenaires publics.

Sur le site internet de la Région, l’exécutif vante un « record » de plus de 900 millions d’euros pour les projets des métropoles (500 millions d’euros rien que pour le Grand Lyon), un « effort inédit » de 221 millions d’euros pour l’Ain, une « augmentation sans précédent » (190 millions d’euros) pour l’Allier, etc., etc. Les superlatifs pleuvent, tout comme les euros, pour aider les universités, rénover des cathédrales, construire des routes, halles des sports et musées… comme celui de la lentille au Puy‐en‐Velay.

Sauf que les communiqués de presse contrastent avec une petite musique entendue crescendo entre Auvergne et Rhône‐Alpes selon laquelle les subventions promises par la collectivité présidée par Laurent Wauquiez auraient tendance à ne jamais arriver… Parmi ceux qui l’entonnent, on retrouve deux figures aindinoises de l’opposition : Guillaume Lacroix, président du Parti radical de gauche (PRG) et ancien vice‐président du département de l’Ain, et Jean‐François Debat, maire de Bourg‐en‐Bresse et chef de file des socialistes dans l’hémicycle régional. Ce dernier s’est payé Laurent Wauquiez lors de la dernière assemblée plénière du 15 décembre 2022, en l’assimilant à un « prestidigitateur » qui « fait un tas de promesses, soutenir tel ou tel projet, puis quand vient le moment de payer, oublie, recule, refuse, et finalement ne paye pas ».

Un stock de 5 milliards d’euros

L’intervention a valu au Bressan une volée de bois vert du président du conseil régional, mais Jean‐François Debat ne renie rien. « Il y a deux problèmes dans l’affectation des subventions, affirme‐t‐il à Mediacités : 1/ le biais du copinage, avec des communes de droite bien mieux servies que celles de gauche [(re)lire : Argent public : comment Laurent Wauquiez arrose les siens], ce qui a justifié l’alerte pour favoritisme que nous avons adressée au parquet national financier en 2021 ; 2/ le fait de ne pas payer ce qui a été contractualisé. »

L’élu socialiste précise sa pensée : « Laurent Wauquiez fait du surbooking. Il a promis trop d’argent par rapport à ce que la Région peut payer. Au total, le budget d’investissement de la collectivité représente un milliard d’euros. Les contrats étant pluriannuels, il n’est pas anormal d’avoir 2 ou 3 milliards d’euros d’autorisation de programme [soit de l’argent affecté mais pas encore dépensé]. Mais là, nous en sommes à plus de 5 milliards ! » Dont, selon les informations de Mediacités, plus d’un milliard pour les seuls projets de transports. En interne, certains fonctionnaires s’alarment d’ailleurs de ces « stocks d’affectation » qui n’en finissent plus de grossir.

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Le siège de la région Auvergne‐Rhône‐Alpes, à Lyon. Photo : N.Barriquand/Mediacités.

« Le nombre de versements en retard devient affolant. Or ce sont les collectivités [qui attendent les subventions] qui paient le prix du budget mal géré de la Région », accuse Guillaume Lacroix. « Le jeu consiste à ne pas payer les subventions qui font l’objet de dépôts de dossiers et à traîner au maximum pour celles déjà engagées », reprend Jean‐François Debat. L’élu illustre son propos avec une situation qu’il connaît bien : « Aujourd’hui, la Région doit deux millions d’euros à Grand Bourg Agglomération [qu’il préside]. Trois millions ont déjà été dépensés pour des travaux qui auraient dû être subventionnés par la Région et qui ne l’ont pas été. » « Mais nous ne sommes pas les seuls, conclut l’opposant, des dizaines de millions d’euros n’ont jamais été réglées, singulièrement dans les villes où Laurent Wauquiez n’a pas gagné lors de la dernière élection. »

Interrogé par Mediacités, le cabinet du président d’Auvergne-Rhône-Alpes n’a pas apporté de réponses à nos questions sur les retards de paiement. « Depuis 2016, la Région a fait de l’aide au développement des territoires l’une de ses priorités : 3 690 des 4 209 communes d’Auvergne-Rhône-Alpes – soit près de 92% d’entre elles – ont pu bénéficier d’une aide régionale au titre de l’aménagement du territoire », souligne‐t‐on en revanche dans l’entourage de Laurent Wauquiez qui revendique d’avoir adopté, dès 2016, un « règlement des subventions » afin « d’établir en toute transparence les règles d’attribution de ses subventions ».

« L’incapacité du maire d’engager des travaux dans des délais raisonnables »

Nous n’aurons pas plus de réponse de la part des collaborateurs du président de la Région sur les accusations de favoritisme. Dans notre recensement des « territoires » qui attendent désespérément leurs subsides régionaux, on compte quand‐même plusieurs villes « amies » qui ont placé Laurent Wauquiez en tête aux élections régionales de 2021. Fin février, Gaël Perdriau, président de la Métropole de Saint‐Etienne (« en retrait » depuis l’affaire de chantage révélée par Mediapart), affirmait dans un courrier que plus de 26 millions d’euros contractualisés dans le cadre du précédent CPER n’auraient pas été honorés, comme le détaille le média stéphanois If. Dont 5 millions d’euros pour l’Arena de Saint‐Chamond, salle de basket de 4 200 places inaugurée l’an dernier. Il est vrai que Gaël Perdriau et Laurent Wauquiez se vouent une solide inimitié, de notoriété publique depuis d’autres révélations de Mediapart.

Prenons un autre exemple : Bourgoin‐Jallieu. Son maire, le LR Vincent Chriqui, s’est étonné en novembre dernier de ne pas avoir reçu le million d’euros promis pour la rénovation de sa place Carnot. Et depuis ? Contacté, Vincent Chriqui n’a pas souhaité répondre à nos questions car « les demandes sont en cours de traitement par le conseil régional », indique son service de communication.

Même désarroi – et même prudence – du côté de Cyril Marion, maire centriste de L’Isle‑d’Abeau. Dans la presse locale, il s’inquiétait, en janvier dernier, de ne pas recevoir les trois millions d’euros prévus pour des travaux dans le quartier Saint‐Hubert. Mal lui en a pris : dans une réponse cinglante, le cabinet de Laurent Wauquiez a invoqué « l’incapacité du maire d’engager des travaux dans des délais raisonnables », rapportait Le Dauphiné Libéré. Cyril Marion n’a pas voulu répondre à nos questions. « Monsieur le maire ne souhaite pas intervenir sur le dossier en préparation », nous a écrit son cabinet.

Dans la dernière ligne droite des régionales, Laurent Wauquiez active son armée de maires

Le message est limpide : s’ils veulent in fine obtenir leurs subventions, ces élus locaux ont tout intérêt à ne plus faire de vagues. Bernard Chaverot, conseiller régional PRG réputé pour ne pas avoir sa langue dans sa poche, n’est pas étonné. « Dans les monts du Lyonnais, bien que la plupart des maires soient du même bord que l’exécutif régional, beaucoup attendent des nouvelles de leurs dossiers depuis des années, assure l’ancien premier édile de Montrottier. Mais aucun ne le dira ouvertement… » Le premier édile d’une petite commune de Haute‐Loire abonde sous le couvert de l’anonymat : « Mes collègues me disent qu’ils n’ont pas intérêt à l’ouvrir, sinon ils peuvent dire adieu à leurs subventions. »

La piscine de Lapalisse

Laurent Wauquiez, le président des « territoires » qui oppose volontiers la France rurale à celle des métropoles, ne se montre pas plus prodigue pour les bourgades et villes moyennes. A Lapalisse, par exemple, la communauté de communes attend toujours une subvention promise pour refaire sa piscine. Didier Hangard, premier vice‐président de cette intercommunalité de l’Allier, ne comprend pas comment, après avoir bénéficié d’une aide du CPER 2015–2020 pour la première tranche des travaux, la Région a pu s’asseoir sur la seconde dans le contrat suivant.

« Jamais on nous a dit qu’on n’aurait pas la subvention », s’étonne celui qui est aussi maire (sans étiquette) de Saint‐Prix : « 517 000 euros sur un budget d’investissement de 2,4 millions d’euros, ça fait mal. Mais je n’ai pas l’âme d’un contestataire, on ne va pas se fatiguer… » A Lapalisse, les travaux de la piscine ont été stoppés et un emprunt a été contracté pour couvrir les dépenses déjà engagées.

D’autres élus sont décidés à réclamer des comptes. À Givors, le maire écologiste Mohamed Boudjellaba a déposé un recours en janvier dernier devant le tribunal administratif de Lyon contre la Région, faute d’avoir perçu la subvention de 2,4 millions d’euros promise dans le cadre de la réhabilitation des Vernes, un quartier classé prioritaire de la politique de la ville.

La somme a pourtant fait l’objet d’une délibération régionale lors de la commission permanente du 24 février 2021, avec pour conditions de commencer les travaux au plus vite. La ville les a entrepris avant le mois de juin suivant… sans voir la couleur de la subvention. « Qu’il n’y ait pas assez d’argent, je peux l’entendre. Mais pas faire traîner ou ne pas répondre…, s’agace Mohamed Boudjellaba. Il s’agit d’aider un quartier en difficulté dans une ville qui n’est pas riche. 2,4 millions d’euros, c’est un tiers de notre budget d’investissement ! C’est autant d’argent qu’on n’utilisera pas pour aider la population. »

« Celui qui donne est libre de donner »

Traîner la Région en justice pour qu’elle règle ses subventions, la stratégie est‐elle judicieuse ? Cédric Meurant, maître de conférence en droit public à l’université Lyon‑3 et fin connaisseur des collectivités territoriales, met en garde : « Une subvention crée des droits lorsqu’elle est versée et que les conditions pour son octroi sont respectées par le bénéficiaire. Il n’y a en revanche aucun droit à recevoir des subventions car il s’agit de contributions facultatives. Autrement dit, celui qui donne est libre de donner. » Ou, donc, de ne pas donner.

« Un recours en responsabilité est possible si on estime que le non‐respect de la promesse de subvention entraîne un préjudice, notamment financier, poursuit l’universitaire. A savoir des sommes engagées qui auraient dû être prises en charge par la subvention. Difficile, cependant, de prouver le préjudice. En revanche, ajoute Cédric Meurant, « si une délibération a été votée, qu’une partie de la subvention a été versée et que les conditions de son octroi ont été respectées, alors un recours est possible. »

Qu’en est il de la crédibilité d’une institution qui ne dépense pas des crédits qu’elle a votés ? Là encore, le droit budgétaire ne laisse que peu d’espoir à ceux qui seraient tentés par un marathon judiciaire. Selon un antique arrêt du conseil d’État du 28 mars 1924, « l’inscription des crédits ayant un caractère purement budgétaire ne saurait être constitutive de droits » pour les bénéficiaires de ces dépenses.

Reste que l’affichage de « la Région la mieux gérée de France » – le slogan martelé par Laurent Wauquiez -, qui se veut en outre fer de lance de l’économie en milieu rural, cadre mal avec cette réputation de mauvais payeur. Sur les incontournables panneaux bleus « La Région aide ses communes » plantés à l’entrée des villages, faudra‐t‐il rajouter un jour l’adverbe « parfois » ?

Le coup de bluff du maire d’Autrac

Notre traque des subventions non payées nous a mené, entre autres, à Autrac, un village de 50 habitants aux confins de la Haute‐Loire, du Puy‐de‐Dôme et du Cantal. où son maire, Christophe Bedrossian, nous a livré une histoire fort instructive. Perçu comme un opposant local dans le fief altiligérien de Laurent Wauquiez, l’élu a sollicité en 2020 une subvention régionale dans le cadre du dispositif « Bonus relance » pour la rénovation du local de son employé municipal. Un projet estimé à 100 000 euros. Christophe Bedrossian s’attendait à recevoir une aide de 50 % du montant total, comme l’a affiché la Région lors de la présentation du dispositif. Surprise ! Le maire d’Autrac ne se voit accorder qu’une enveloppe d’environ 9 000 euros.

Faute d’explication de la part des services du conseil régional, l’élu local tente un coup de bluff au printemps 2021, en pleine campagne des élections régionales. « Désolé de vous avoir utilisé, mais je leur ai dit que Mediapart voulait m’interroger sur le sujet », nous confie‐t‐il, en assimilant Mediacités à notre partenaire. Miracle : « Dès le lendemain, Jean‐Pierre Vigier [conseiller régional de la majorité et député] m’a appelé pour me dire qu’il s’agissait d’une erreur technique et qu’on allait me verser l’argent très vite », s’amuse Christophe Bedrossian.

Las ! Deux ans plus tard, l’argent n’est toujours pas arrivé. Ironie de l’histoire : la rénovation en question englobait la partie du bâtiment qui fait office de local de chasse. En 2018, l’exécutif de Laurent Wauquiez avait pourtant attribué aux travaux de mise aux normes des locaux des chasseurs une enveloppe de 378 000 euros

Combien de communes ou d’intercommunalités attendent, parfois depuis des années, le versement de subventions régionales pour des travaux déjà engagés ou terminés ? Contacté directement, le vice‐président chargé des Finances, Nicolas Daragon, n’a pas donné suite à notre sollicitation. Le cabinet de Laurent Wauquiez a répondu à nos questions par écrit mais a laissé cette interrogation sans réponse. Il a préféré vanter « une nouvelle méthode d’action mise en œuvre pour accompagner les communes, plus directe, plus rapide, plus proche des habitants ». Tout en précisant que « la Région a concentré son action sur le soutien aux investissements pour accompagner des projets concrets qui améliorent le quotidien des habitants et qui sont construits en lien étroit avec les élus locaux ». Et de citer les dispositifs des « Contrats Région », mis en place en mars 2022, censés aider financièrement les communes en fonction de leur taille.

Appel à témoignages

Les éléments de communication de la Région ci‐dessus ne satisferont probablement pas les maires ou adjoints aux Finances qui doivent composer avec des subventions fantômes… Si vous êtes élu d’une commune d’Auvergne-Rhône-Alpes concernée par un retard de versement d’une aide régionale, n’hésitez pas à contacter la rédaction de Mediacités en nous écrivant à l’adresse : mediacites@proton.me

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Par Blandine Flipo

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