Façade dans un état pitoyable, problèmes d’infiltration et de moisissure, mauvaise isolation… Considérée par ses habitants comme une passoire thermique, la résidence « Les Longes » à Saint‐Priest avait bien besoin d’une rénovation d’ampleur. Les travaux sont enfin arrivés et se sont terminés en juin 2022. Pour les 184 habitants de la résidence, les effets ont été immédiats. Suzanne Maleval, octogénaire, qui vit dans la résidence depuis sa construction en 1974 raconte qu’elle a « ressenti des bienfaits notamment pendant la canicule, plus que pour le froid ». « J’ai passé un été sans ventilateur », raconte‐t‐elle.
Pour réaliser ces travaux, Suzanne a dû payer 24 000 euros, dont près de 4 000 euros pris en charge par la prime Écoréno’v. Depuis 2015, la Métropole de Lyon a mis en place ce dispositif, qui finance une partie des travaux de rénovation énergétique des logements. Un outil que la nouvelle majorité écologiste, élue en juin 2020, souhaitait amplifier. « Nous accélèrerons le programme Écoréno’v avec l’objectif de 10 000 logements rénovés par an, dont la moitié dans le parc de logement social », pouvait‐on lire dans « Maintenant l’écologie pour Lyon », le programme de campagne de Bruno Bernard en 2020.
Il y a urgence : dans le Grand Lyon, 90 000 ménages sont « statistiquement en état de précarité énergétique », selon le Schéma directeur des énergies de 2019. Sur le territoire métropolitain, 17,5 % des 722 220 logements étaient considérés comme des passoires thermiques, soit 126 560 logements. Le tout dans un parc vieillissant : en 2020, 58,9 % des logements sociaux avaient plus de quarante ans, d’après des chiffres de la préfecture de la région Auvergne‐Rhône‐Alpes.
Trois ans après son élection à la tête du Grand Lyon, la promesse de Bruno Bernard de 10 000 rénovations par an est loin d’être tenue. Au 31 décembre 2022, la réhabilitation énergétique de 20 288 logements avait été financée via Écoréno’v depuis 2015, dont 2 755 en 2022. En 2020, ce chiffre était de 3 349 ; en 2021, de 1 857.
Gisement d’économies d’énergie
Créé en 2015 pendant la mandature de Gérard Collomb et de David Kimelfeld, le dispositif Écoréno’v devait financer la rénovation de 1 250 à 1 800 logements par an, avec des montants de subventions oscillant entre 2000 et 5000 euros par logement, en fonction de l’ambition énergétique du projet, des types de logements et des revenus du foyer.
Depuis, les objectifs ont sans cesse été revus à la hausse. Le raisonnement est simple : tous secteurs confondus, la Métropole veut diminuer de 20% sa consommation d’énergie d’ici à 2030, par rapport à 2013. Un horizon fixé par le Plan climat air énergie territorial (PCAET), adopté fin 2019.
Les logements privés représentent le premier gisement pour réaliser ces économies d’énergie, selon le Schéma directeur des énergies (SDE) de 2019. Pour atteindre ces objectifs, il faudrait éco‐rénover 200 000 logements d’ici 2030 afin d’économiser 1 914 Gigawatt heures (GWH) d’énergie par an. Pour y parvenir, la majorité métropolitaine souhaite financer la moitié de ces rénovations via Écoréno’v, soit 100 000 logements. En théorie, ce vaste chantier devrait permettre de faire 957 GWH d’économies d’énergie d’ici à 2030 sur les 1 914 GWH visées.
Mais, pour le moment, le compte n’y est pas. Entre 2015 et 2022, seulement 179,67 GWH d’économies ont été réalisées grâce aux logements réhabilités via Écoréno’v, soit 9,8 % de l’objectif final. A ce rythme, l’objectif d’économie d’énergie ne sera atteint qu’en 2065 !
« Un faux débat » selon Renaud Payre
Pire encore, le nombre de rénovations financées via la prime Écoréno’v a diminué par rapport à la fin de la précédente mandature. En 2019, dernière année de l’ère Collomb‐Kimelfeld, le dispositif avait subventionné des travaux dans 5 311 logements. Mais en 2022, ce chiffre est tombé à 2 755 logements, dont 1 566 logements sociaux. Bien loin de la promesse de 10 000 par an.
Lire « En coulisses » pour comprendre pourquoi nous avons choisi de représenter ces résultats sous forme de deux courbes différentes ainsi que les écarts constatés.
Pourtant, les écologistes ont mis des moyens. Le Plan pluriannuel des investissements (PPI) de la Métropole a doublé par rapport à la précédente mandature. Pour la période 2021–2026, l’enveloppe réservée à Écoréno’v a plus que doublé pour s’établir à 74 millions d’euros, contre 33 millions d’euros pour le précédent PPI (2015–2020). Soit une hausse de 124,24 %. Alors, comment expliquer la contre‐performance ?
Pour Renaud Payre, vice‐président de la Métropole de Lyon délégué à l’Habitat, au logement social et à la politique de la ville, savoir si cet objectif chiffré est atteint est un « faux‐débat ». Il défend son bilan en arguant qu’il faut davantage se concentrer sur l’augmentation des moyens financiers et humains alloués au dispositif que sur le nombre de logements financés par Écoréno’v.
Rééquilibrage vers le logement social
D’un point de vue « qualitatif », et en termes de rénovation globale les efforts de la Métropole sont salués par différents acteurs, notamment l’Alec Lyon, l’Agence locale de l’énergie et du climat et Solidaires pour l’habitat – Rhône et Grand Lyon (Soliha), les deux associations mandatées par la Métropole pour accompagner les ménages.
Mais, depuis l’arrivée des écologistes à la tête de la Métropole de Lyon, un rééquilibrage s’est opéré entre les financements des rénovations énergétiques des logements privés et des logements sociaux. Durant le précédent mandat, les copropriétés et les maisons individuelles représentaient deux tiers des logements financés par Écoréno’v. En 2022 l’écart s’est résorbé : la moitié des logements concernés par un financement Écoréno’v concerne le parc social.
« On se heurte au problème de convaincre les bailleurs sociaux, admet Renaud Payre, il y a encore du chemin. » Elodie Morel, responsable du service réhabilitation chez Grand Lyon Habitat, premier bailleur social public de la Métropole, confirme les efforts entrepris : « Il nous a été fait comprendre qu’il n’y avait pas d’enveloppe pré‐définie sur le mandat, et qu’ils abonderaient autant que besoin. »
Entre 2015 et 2020, Grand Lyon Habitat avait ainsi reçu 3,883 millions d’euros de subvention Écoréno’v pour la rénovation de 1 030 logements. Tandis qu’entre 2021 et 2026 cette subvention s’élève à 10 millions d’euros pour la rénovation de 3 032 logements. Malgré ces aides, le coût des travaux reste élevé, d’autant que, comme l’explique Elodie Morel à propos de la réhabilitation de la cité Tony Garnier dans le 8e arrondissement de Lyon, « les travaux nécessitent le relogement temporaire de tous les locataires des 275 logements ».
S’ajoutent également d’autres problématiques. La crise sanitaire du Covid‐19 a mis un coup de frein à la dynamique de l’éco-rénovation. Pendant deux ans, les assemblées générales des copropriétés ne se sont pas réunies et n’ont pas pu voter des projets de travaux énergétiques. Selon Thibaut Oustry, responsable du pôle d’accompagnement des maisons individuelles et des copropriétés à l’Alec Lyon, il faut ainsi relativiser les mauvais résultats de 2021. « La dynamique est très forte », souligne‐t‐il.
Malgré cette « dynamique », Renaud Payre la joue modeste : « Je mesure encore la marge de progression. » Et malgré les chiffres des dernières années, selon lui, le cap des 100 000 logements rénovés via Écoréno’v d’ici 2030 doit être maintenu.
La bataille des copropriétés
Pour certaines copropriétés les débats peuvent être houleux. À Saint‐Priest, Eliane Breysse, une des trois co‐présidentes du syndic de la résidence « Les Longes », raconte comment le vote des travaux est passé in extremis. « Il y a des gens qui sont allés au tribunal pour casser la décision ! », s’exclame-t-elle.
Logement : quand les habitants se mobilisent contre les passoires thermiques
Renaud Payre affirme être parfaitement conscient de cet enjeu. Bien que la Métropole ne puisse se substituer à la décision des copropriétaires, elle tente de les encourager à travers des campagnes de communication et un travail de pédagogie, en s’appuyant notamment sur l’Alec. Là encore, l’élu met en avant le budget de 74 millions d’euros mis sur la table, « ce qui est unique dans les collectivités ». Il ajoute que la rénovation énergétique « est la priorité des priorités ». Pour Delphine Agier, directrice de Soliha Rhône, ce volontarisme financier de la Métropole est une bonne chose, même si les objectifs ne sont pas tenus : « Si on est ambitieux, on prévoit les moyens de son ambition. Quand on a des objectifs trop bas, ils sont atteints et on ne peut plus aider personne. »
« L’Alec est de bon conseil. Les agents sont très réactifs. Un conseiller est venu au bout de quinze jours », témoigne Martine Claudel, copropriétaire à Sainte‐Foy‐Lès‐Lyon dans la résidence des Bruyères, qui s’apprête à entamer des travaux de rénovation énergétique. Par ailleurs, pour surmonter les désaccords entre copropriétaires, « la Métropole de Lyon a mis en place un marché public pour trouver un artisan maître d’ouvrage qui va les aider dans cette décision », explique Thibaut Oustry.
Des coûts très élevés pour les ménages
Malgré un accompagnement de qualité, « le nerf de la guerre reste l’argent », selon les mots de Thierry Sauge, l’un des copropriétaires de la résidence des Longes. Et ce d’autant plus que les aides ne sont touchées que plusieurs mois après la fin des travaux. A Saint‐Priest, les travaux se sont achevés en juin 2022, mais les subventions ne seront versées aux copropriétaires qu’en décembre 2023.
Une fois déduites les aides de l’Etat et de la Métropole, le reste à charge pour les ménages demeure élevé. En 2022, le coût moyen des travaux pour les ménages vivant dans des copropriétés se chiffrait à 22 607 euros, pour une subvention Écoréno’v moyenne de 3 292 euros. Au sein de la copropriété des Longes, pour rénover son appartement de quatre pièces, Thierry a par exemple dû débourser 21 000 euros. Il recevra 4 000 euros d’aides Écoréno’v.
Concurrence avec les dispositifs nationaux
En 2020, l’arrivée du dispositif national MaPrimeRénov’ lancé par le gouvernement est venu compliquer les démarches des propriétaires, parfois perdus dans les différentes aides et la multitude des démarches à suivre. Entre 2020 et 2021, les aides nationales et métropolitaines se cumulaient. Une des aides proposées par le dispositif national, intitulée MaPrimeRénov’ Sérénité, conditionnée à des économies énergétiques d’au moins 35 %, correspondait à ce que proposait déjà Écoréno’v. En mars 2021, la Métropole a donc choisi de ne plus permettre l’accumulation de l’aide locale et de l’aide nationale, réalisant ainsi des économies et incitant les ménages à mener des projets de rénovation plus ambitieux.
Pour Delphine Agier, « quand ils ont créé MaPrimeRénov’, Soliha a alerté sur le fait que l’aide était trop facile à mobiliser pour des travaux de petite envergure et que ça nous coupait un peu l’herbe sous le pied pour des projets de rénovation globale ». Une notion qui ne fait pas consensus, selon Thibaut Oustry : « L’État parle de rénovation globale mais il n’y a pas de niveau de performance. » Alors que l’aide Écoréno’v est conditionnée à un gain énergétique d’au moins 35 %, MaPrimeRénov’ – hors MaPrimeRénov’ Sérénité – n’est pas soumis aux mêmes obligations. Résultat : le dispositif étatique favorise les rénovations partielles : une chaudière changée sans refaire l’isolation ou les fenêtres, isoler sans changer de chaudière… Des travaux qui ne permettent pas de réellement réduire la consommation énergétique des ménages, selon une étude de l’Ademe.
Parmi les habitants de la résidence des Longes, certains voulaient solliciter le dispositif national MaPrimeRénov’. Selon Georges Pernaud, les aides proposées par l’Etat auraient été moins élevées que celles touchées via Écoréno’v. Eliane Breysse ajoute : « Heureusement qu’on a fait ces travaux. Aujourd’hui des gens qui étaient opposés au projet nous ont dit qu’ils ne regrettaient pas. »
Pour mettre fin à cette concurrence entre dispositifs nationaux et locaux, Renaud Payre souhaiterait que la Métropole obtienne la délégation « pleine et entière » sur ces budgets, pour « proposer aux copropriétaires des bouquets d’aides ». Le vice‐président du Grand Lyon précise être « en discussion avec le ministère » sur ce sujet. De son côté, Delphine Agier, de Soliha Rhône, souhaite « que les aides nationales soient majorées car la collectivité ne peut pas tout faire ».
Restent les effets concrets de ces chantiers. À Saint‐Priest, les habitants des « Longes » assurent qu’ils maintiennent plus souvent le chauffage à 19 degrés. Thierry relève la tête : « Sans travaux, on aurait déménagé. »
Il a été très compliqué d’obtenir les données pour le nombre de logements financés via Écoréno’v par an. Contacté à plusieurs reprises, le service presse de la Métropole a mis du temps à traiter notre demande, et nous a envoyé des données ne correspondant pas à ce que nous recherchions. Dans un premier temps, elle nous a envoyé les bilans Écoréno’v disponibles en source ouverte, qui sont des données cumulées depuis le début du dispositif en 2015.
Elle nous a par la suite fourni les données demandées, à savoir : le nombre de logements rénovés via Écoréno’v par an depuis 2015 en séparant les logements individuels, les copropriétés, les logements sociaux, les foyers modestes ; les chiffres des montants des travaux sans Écoréno’v et le montant des subventions accordées par année ; le nombre de rénovations BBC effectuées par an et les autres ; le taux d’économie d’énergie réalisé par an depuis 2015 en KWH.
Une fois ces éléments reçus, nous avons pu constater quelques écarts entre les communiqués de presse et les résultats calculés, comme le nombre total de logements rénovés depuis 2015 fin : 21 123 financés via Écoréno’v selon le bilan, et 20 288 selon nos calculs réalisés à partir des données fournies. Nous n’avons pas non plus obtenu le nombre de logements sociaux financés par Écoréno’v entre 2015 et 2017. À ce jour, la Métropole ne nous a pas expliqué d’où provenaient ces incohérences.
De plus, le format des bilans a changé à partir de décembre 2022. Auparavant, ils s’intitulaient « avancement de la plateforme Écoréno’v » et ne comptabilisaient que les logements financés par le dispositif métropolitain. Désormais nommé « Avancement de l’écorénovation » le bilan indique à la fois les résultats d’Écoréno’v et de MaPrimeRénov’. Un moyen de gonfler les chiffres ?
Cet article ayant été réalisé dans le cadre d’un travail étudiant du master de journalisme de données et d’enquête du CFJ‐Sciences Po Lyon, en partenariat avec Mediacités, et sans rémunération des auteurs de la part de notre journal, nous le publions en accès libre.
La rédaction de Mediacités
Pas assez rapide mais ça avance. Par contre pour certains le coût doit être insurmontable, il faut trouver des financements plus importants. Sinon on y arrivera pas
Un beau travail journalistique, merci !
Bravo pour cette enquête détaillée et constructive. Il y a certainement encore des résistances à vaincre, des aides et une communication à renforcer.