Nantes : les interprètes, petites voix précaires des « traduits en justice »

Ils sont plusieurs dizaines à Nantes à traduire devant policiers et magistrats les propos des suspects et victimes d’origine étrangère. Un travail fondamental, parfois épuisant, souvent précaire. Deuxième volet de notre série sur « les petites mains » de la justice, ces métiers méconnus qui œuvrent dans l’ombre des magistrats.

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Rafik Sahraoui est l'un des traducteurs-interprètes officiant au tribunal de Nantes. / Photo : Guillaume Frouin

D’ordinaire, c’est l’histoire des autres qu’elle porte dans sa voix, à la barre des tribunaux ou dans les salles des commissariats. Cécile, d’ailleurs, n’était pas forcément enthousiaste à l’idée de confier la sienne à Mediacités. Et puis elle s’est ravisée, finalement décidée à porter un coup de projecteur sur ce métier mal connu qu’elle exerce dans l’ombre des magistrats. Celui des traducteurs‐interprètes. « Le jargon judiciaire est tellement compliqué qu’un seul mot peut tout chambouler », rappelle‐t‐elle.

CPVCJ (Convocation par Procès‐verbal assorti d’un Contrôle Judiciaire), CRPC (Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité), ARSE (Assignation à Résidence sous Surveillance Electronique)… Déjà abscons pour un Français lambda, le langage judiciaire peut se transformer en chausse‐trappe pour un étranger.

Il y a plusieurs mois de cela, un jeune homme a ainsi été condamné en comparution immédiate au tribunal judiciaire de Nantes : il n’avait pas respecté l’interdiction de revenir sur le centre‐ville de Nantes, qui lui avait été signifiée lors d’une précédente comparution. A l’écouter, l’interprète de l’époque ne lui avait pas fait mention de cette « peine complémentaire » lors de son dernier passage au Palais de justice… Le tribunal ne l’a pas cru. Cette fois‐ci, il a pris de la prison ferme.

https://www.mediacites.fr/enquete/nantes/2023/01/19/les-huissiers-audienciers-smicards-en-robe-noire-du-tribunal-de-nantes/
« Certains croient que, parce qu’on parle leur langue, on est forcément de leur côté… »
Au delà de cette responsabilité, le métier d’interprète judiciaire est « psychologiquement pas toujours évident ». Notamment quand il s’agit de traduire des faits sordides de viols ou de meurtres. « Après un procès criminel, une interprète en farsi [langue parlée en Iran, ndlr] a eu du mal, se souvient Cécile. J’ai dû lui parler pendant quinze jours pour qu’elle puisse évacuer. »

Le métier est surtout « épuisant ». Il nécessite une concentration de tous les instants pendant plusieurs heures. Parfois en étant assis, quand la traduction se fait dans le bureau d’un magistrat, mais souvent debout quand il s’agit d’assister un prévenu à la barre ou dans le box. « Au bout de quatre ou cinq heures, tu es crevé. On n’est pas des super‐héros… Alors, quand j’entends un confrère dire “Je suis toujours là”, j’ai un peu de mal à le concevoir », souffle Cécile.

D’autant qu’il faut savoir trouver la bonne distance entre les deux parties qui communiquent. « Certains policiers me demandent si un homme qui se présente comme “Palestinien” a un accent marocain ou algérien pour savoir s’il ment, témoigne l’un de ses confrères. Je leur réponds que je ne sais pas. Ce n’est pas mon rôle de leur apporter cette information. » Dans ce rôle d’équilibriste, il faut aussi se garder de toute « connivence » avec le mis en cause. « Certains croient que, parce qu’on parle leur langue ou qu’on est musulman, on est forc …

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Par Guillaume Frouin (PressPepper)

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