Trois ans après les dernières élections municipales, il reste encore des choses à dire sur le déroulement de ce scrutin à Toulouse. Si le montant des dons reçus par Jean‐Luc Moudenc et celui de ses dépenses de campagne ont déjà été révélés par Mediacités, la contribution du microparti du maire de Toulouse est largement méconnue.
Or, Pour Toulouse, le microparti de Jean‐Luc Moudenc, est une formation politique riche. Elle a déclaré 477 991 euros de dons reçus en 2019 et 144 394 euros en 2020. À ces montants s’ajoutent chaque année 50 000 euros de cotisations par les élus de la majorité municipale.
Cumulés aux sommes récoltés les années précédentes, Pour Toulouse dispose d’un trésor de guerre qui lui a permis de contribuer massivement à la réélection du maire de Toulouse. Alors qu’en 2018, le microparti n’avait déboursé que 40 000 euros, ses dépenses ont explosé en 2019, passant à 307 200 euros !
Selon ses comptes déclarés à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), 155 000 euros ont été engloutis dans le poste « communication », 47 000 euros dans le poste « congrès et manifestation », 43 378 euros dans des « achats divers », 20 050 euros en « salaires et traitements » pour un emploi à tiers‐temps et 13 469 euros en frais de « déplacements et réceptions ».
270 000 euros dépensés en pré‐campagne
Seule une faible fraction de ces dépenses ont été intégrées aux comptes officiels du candidat Moudenc. Ainsi, Pour Toulouse n’a déclaré que 37 948 euros de dépenses de campagne entre le 1er septembre 2019 (date d’ouverture officielle de la campagne municipale) et le 31 décembre 2019. Au total, 270 000 euros n’ont pas été comptabilisés, même s’ils ont contribué en amont à la réélection du maire sortant.
Rebelote en 2020, dont les comptes ont été publiés en février 2022 par la CNCCFP. Cette année‐là, Pour Toulouse a dépensé 154 884 euros, dont 60 679 euros dans la communication, 23 941 euros dans des achats divers, 20 750 euros en « salaires et traitements », 16 884 euros en déplacements, et 11 493 euros en congrès et manifestations.
Là encore, seuls 66 936 euros ont été intégrés au compte de campagne officiel de Jean‐Luc Moudenc. Les 87 948 euros de dépenses restantes n’ont pas été considérés comme des dépenses électorales, soit parce qu’elles n’avaient pas de lien avec l’élection, soit parce qu’elles avaient été engagées après le scrutin.
Sur les années 2019 et 2020, ce microparti a donc dépensé plus de 357 000 euros en dehors de la période de campagne. Des sommes que Pierre Esplugas‐Labatut, porte‐parole du groupe « Aimer Toulouse », explique notamment par un effort porté sur la période préélectorale.
« Sur le budget du parti se retrouvent des dépenses inhabituelles hors année préélectorale, mais qui marquent la période de précampagne sans toutefois devoir, ni pouvoir, être intégrées dans le compte de campagne, explique le conseiller municipal toulousain. Durant cette période préélectorale, nous avons mis en œuvre de multiples actions pour préparer la mobilisation de nos sympathisants. Deux réunions importantes, accompagnées de buffets et boissons, ont été organisées avec 1 300 participants à chaque fois, ainsi que des réunions dans les différents quartiers de Toulouse. Nous avons également réalisé et diffusé de nombreux documents de fin de mandat, et réalisé de nombreux envois de courriers postaux à l’ensemble de notre fichier qui compte plus de 10 000 contacts. »
C’est ce travail préparatoire qui a « permis de réussir la mobilisation de nos sympathisants au début de la campagne électorale en septembre 2019 », affirme Pierre Esplugas‐Labatut. Cette levée de ban a rendu possible, par exemple, la distribution d’une lettre dans les 250 000 boîtes aux lettres de la commune en un week‐end », assure‐t‐il.
Ce travail de mobilisation a également permis de pulvériser le record de dons engrangés par Jean‐Luc Moudenc (306 000 euros en 2020, contre 235 000 en 2014). Interrogé sur ce sujet, le maire de Toulouse n’a pas souhaité répondre (voir En Coulisses).
Un microparti non contrôlé dans le détail
En 2020, le candidat Moudenc a dépensé 597 438 euros. Soit 91,5 % du plafond maximal autorisé. Cette prodigalité et celle de son microparti sont sans égales à Toulouse, mais rappellent celles de l’UMP en 2012. Le parti de Nicolas Sarkozy avait alors fortement augmenté ses dépenses courantes l’année de l’élection présidentielle, tandis que la campagne du candidat sortant flirtait officiellement avec le plafond des dépenses autorisées.
Ces dépenses de l’UMP s’appuyaient en fait sur un écheveau de fausses factures. Comme l’a mis à jour l’affaire Bygmalion, le mécanisme a permis au parti présidentiel de prendre en charge plusieurs millions d’euros de dépenses du candidat Sarkozy, sans être détecté par les contrôleurs de la CNCCFP.
Rien ne permet d’affirmer qu’un mécanisme similaire aurait pu permettre à Pour Toulouse de prendre en charge des dépenses électorales non déclarées. Pour le vérifier, il faudrait avoir accès aux dépenses facturées du microparti. Or, personne, en dehors de ses administrateurs, n’y a accès, pas même la Commission nationale des comptes de campagne. Son pouvoir de contrôle des comptes des partis politiques ne s’étend pas au détail des factures, comme elle peut le faire pour les comptes de campagne.
Dans les questions qu’elle a adressées à Jean‐Luc Moudenc par rapport aux comptes de son parti et de sa campagne, la commission n’a pas soulevé le point de la hausse des dépenses préélectorales, considérant la situation satisfaisante.
Cette lacune est critiquée par la Cour des comptes. Dans un sévère audit de la CNCCFP, révélé par Mediapart, la Cour constatait en 2019 que « bien qu’indispensable, le contrôle effectué par la CNCCFP ne permet pas de garantir pleinement le respect de la législation ». Et d’asséner que « faute de s’être vu reconnaître les pouvoirs nécessaires, la Commission ne peut apporter cette garantie à une opinion dont les interrogations sur l’efficacité du contrôle exercé sur les financements politiques se sont nourries d’irrégularités survenues à l’occasion de scrutins majeurs, affectant la crédibilité de la Commission ».
À sa décharge, la CNCCFP a demandé à plusieurs reprises ces dernières années l’accès à la comptabilité des partis politiques l’année d’une élection présidentielle. Cela lui a été refusé par le Parlement, malgré une révision de la loi électorale, en janvier 2021.
Un avantage concurrentiel
Toute légale soit‐elle, l’augmentation des dépenses de Pour Toulouse en 2019 et 2020 questionne sur le plan démocratique. Entre les 600 000 euros dépensés officiellement pendant la campagne de Jean‐Luc Moudenc et les 270 000 euros déboursés hors campagne par son microparti en 2019, le maire sortant de Toulouse a investi près de 900 000 euros pour conserver son écharpe tricolore. Une somme sans commune mesure avec celles dépensées par ses opposants.
Lors de la précampagne, le PCF 31 assure n’avoir engagé que « quelques milliers d’euros » avant de contribuer officiellement à la campagne de la socialiste Nadia Pellefigue. Celle‐ci estime à « moins de 10 000 euros » les sommes dépensées par son mouvement Nouvelles Énergies avant le mois de septembre 2019. Quant aux écologistes d’EELV, ils n’auraient imprimé que quelques tracts avant la campagne officielle.
Pour Antoine Maurice, ex‐tête de liste Archipel Citoyen, cette débauche de moyens de l’équipe sortante lui a permis d’envoyer à tous les Toulousains des tracts personnalisés par catégories d’électeurs. « Cela interroge sur la possibilité d’être élu sur la base de ses idées et non en fonction des moyens dont on dispose, remarque l’opposant écologiste. Cela pose aussi la question éthique de la redevabilité vis‐à‐vis des donateurs, car ce n’est pas de l’argent désintéressé. Il faudrait encadrer cela davantage. »
« Une machine de guerre électorale »
Cette différence de moyens interpelle aussi Pierre Lacaze, conseiller municipal communiste : « Nous dénonçons depuis longtemps le fait qu’il y a des candidats riches bénéficiant de moyens très importants en aide financière et d’autres qui le sont moins, car pas soutenus par les électeurs les plus aisés. Dans de telles disproportions, cela peut fausser le jeu démocratique ».
Si elle avait remarqué que « l’équipe de Jean‐Luc Moudenc avait engagé des moyens importants », l’ex-tête de liste socialiste Nadia Pellefigue n’imaginait pas que les sommes atteignaient un tel montant. « C’est légal, mais si les électeurs avaient conscience des différences de moyens à disposition des uns et des autres, cela les éclairerait dans leurs choix », juge‐t‐elle, tout en rappelant l’insistance de Jean‐Luc Moudenc à se présenter comme un candidat comme un autre durant la campagne, alors qu’il disposait d’une « machine de guerre électorale ».
Agacé par ces critiques, Jean‐Luc Moudenc se dit « très honoré du soutien sans faille, y compris financier, apporté par nos milliers de soutiens toulousains, avec fidélité, depuis des années ». Cette « adhésion » suscite, selon lui, « la jalousie des mauvais perdants qui préfèrent dénigrer sans cesse et procéder par amalgames sans fondement ou sous‐entendus envers autrui plutôt que de considérer leur faible capacité de persuasion et d’entrainement ».
Une dernière question se pose finalement. Le microparti Pour Toulouse a‑t‐il réduit son train de vie depuis 2020 ou dépense‐t‐il toujours autant pour vanter la politique du maire ? Pour le savoir, il faudra attendre la publication des comptes 2021 du microparti. Patience, patience…
Nous avons envoyé plusieurs questions (voir ci‐dessous) à Jean‐Luc Moudenc avant la publication de cette enquête. Le maire de Toulouse n’a pas souhaité y répondre. Voici ce que nous lui avions demandé :
1. Votre microparti Pour Toulouse a dépensé 270 000 euros en 2019 avant le début de la campagne officielle pour réunir vos militants et réaliser des opérations massives de tractage. Ces actions ont‐elles eu, selon vous, un impact important dans le résultat de l’élection ?
2. Pour Toulouse a dépensé plus de 150 000 euros en 2020, dont 80 000 euros n’ont pas été comptés dans la campagne officielle. C’est deux fois plus que les dépenses de votre micro parti en 2018 par exemple. Pourquoi un montant si important a‑t‐il été dépensé après l’élection ?
3. Vos concurrents n’ont engagé que quelques milliers d’euros dans la pré‐campagne. Cela vous confère‐t‐il un avantage concurrentiel décisif comparé à eux ?
4. Certains estiment que cela fausse le jeu démocratique. Qu’en pensez‐vous ?
5. Faudrait‐il selon vous élargir la durée de la campagne électorale pour que la commission de contrôle puisse prendre en compte les dépenses pré‐électorales ?
6. Celle‐ci a demandé à pouvoir contrôler les dépenses des partis politiques en période électorale. Cela lui a été refusé en 2021 par le Parlement. Partagez‐vous l’avis des parlementaires ? Pourquoi ?
7. Vos dépenses officielles ont atteint 91 % du plafond officiel et dans le même temps votre microparti a dépensé beaucoup que d’habitude. Cette concordance pourrait rappeler le mécanisme découvert dans l’affaire Bygmalion entre les dépenses de l’UMP et celles du candidat Sarkozy. Cela n’ayant pu vous échapper, comment vous y êtes‐vous pris pour éviter de répéter localement en 2020 des erreurs réalisées au niveau national en 2012 ?
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