Quand l’évêché de Cahors protège un pédocriminel et rejette sa victime

Condamné en 2013 pour atteintes sexuelles sur mineur, un prêtre de l’évêché de Cahors est toujours en poste dans le Lot où il bénéficie du soutien du diocèse. Pour avoir rompu l’omerta, sa victime a été renvoyée du séminaire par l’actuel archevêque de Montpellier Norbert Turini.

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Victime d'un prêtre pédocriminel, Mickaël (à droite) a été empêché de devenir prêtre par deux prélats de l’Église, Norbert Turini et Laurent Camiade (à gauche). / Illustration Gael Cérez

Quand un homme d’Église est coupable de pédocriminalité, « ce qui est important, ce n’est pas de protéger l’Institution, c’est de protéger les victimes ». Ces mots, prononcés par l’archevêque de Montpellier Norbert Turini, en 2019 sur France Bleu, sonnent complètement faux pour Mickaël*. « C’est tout à fait l’inverse de ce qu’il a fait avec moi », témoigne cet ancien enfant de chœur victime d’abus sexuels par le curé de sa paroisse.           

Aspirant séminariste, Mickaël, 34 ans, a décidé de briser l’omerta. S’il s’est confié à Mediacités, après des années de déni et de sentiment de culpabilité, c’est parce qu’il se sent rejeté par l’Église alors que son agresseur pédocriminel est toujours en activité dans le diocèse de Cahors malgré sa condamnation par la justice.

Agressé à partir de 13 ans

Le premier déclic a lieu durant l’hiver 2011. Mickaël veut devenir prêtre. Il étudie à Toulouse depuis 2007 dans cet objectif. Pendant son séminaire, il assiste à un cours de sensibilisation sur la pédophilie dans l’Église. La séance est une révélation. Mickaël prend conscience de la gravité des agressions sexuelles qu’il a subies lorsqu’il était servant d’autel, de ses 13 à ses 17 ans, entre 2002 et 2006. Son agresseur ? Le curé de Lalbenque, un village situé dans le sud du Lot : l’abbé Philippe O., de vingt ans son aîné.

Le jeune homme décide alors d’en parler à son supérieur, le père Jean‐Marc Micas, responsable du séminaire Saint‐Cyprien. Celui‐ci prévient immédiatement son confrère Norbert Turini, alors évêque de Cahors, qui a autorité sur le séminariste. L’évêque de Cahors ne reçoit Mickaël que près de six mois plus tard, au mois de juin 2012, une fois l’âge de Mickaël au moment des faits clairement identifié. « Entre la culpabilité, la honte, ce n’est pas évident de nommer les choses. C’est une prise de conscience lente », explique Mickaël. 

« Au début, son récit était confus et nous pensions qu’il avait eu cette relation quand il avait 16 ans, ajoute Jean‐Marc Micas. Son confrère Norbert Turini, qui n’a pas souhaité s’exprimer auprès de Mediacités, saisit le procureur de la République de Cahors après des entrevues avec la jeune victime et l’agresseur. 

Quand l’évêque de Cahors minimise les faits

Une enquête préliminaire est ouverte. Alors que le père O. est toujours en fonction à Martel, dans le nord du Lot, Norbert Turini s’attache à minimiser le caractère pédocriminel des faits reprochés à son subalterne.

Dans le procès‐verbal de son audition, que Mediacités s’est procuré, il explique que « le père O. s’est épris de Mickaël et a vécu une relation amoureuse » avec le mineur. Un point de vue singulier pour qualifier les agressions sexuelles d’un curé de 35 ans commises sur un enfant de chœur de 13 ans. Pire, selon l’homme d’Église, Mickaël aurait expliqué que « c’est lui‐même qui a(vait) provoqué l’abbé lorsqu’il était enfant ».

Des propos qui atterrent Mickaël : « Ce n’est pas parce qu’on est en recherche d’une figure paternelle et rassurante qu’on est dans la provocation. Je ne vois pas comment je pouvais être dans ce genre de provocation à mon âge ».

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Extrait du procès‐verbal de Norbert Turini, alors évêque de Cahors. / document Mediacités

À entendre Norbert Turini, l’abbé O. aurait « lâché prise et par la même dérapé » face à « un genre de jeu affectif » débutant par des caresses avant de dégénérer en actes sexuels. Face aux policiers, l’évêque défend pied à pied Philippe O., assurant qu’il n’y a « jamais eu de menaces, contraintes, violences ou surprise » de la part de ce dernier dans des relations relevant finalement du « consentement mutuel ». Et cela sans un mot pour Mickaël. Norbert Turini n’oublie pas, en revanche, de victimiser l’agresseur en précisant que, « très affecté », il était « entré dans un état dépressif ».

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Extrait du procès‐verbal de Norbert Turini, alors évêque de Cahors. / Crédit Mediacités

Pour finir, il précise – toujours lors de son audition – qu’il « attend de connaître l’évolution du volet pénal de cette affaire pour en informer les autorités religieuses » et déclencher une procédure canonique. Aujourd’hui, l’Église recommande pourtant à ses évêques de « veiller à ce que les processus judiciaires, tant civils que canoniques, soient mis en œuvre dans la recherche de la vérité et de la justice ».

« On ne peut jamais dire quelque chose de pareil. Il ne peut pas y avoir de relation entre un adulte et un enfant. »

Jean‐Marc Micas, évêque de Lourdes

Cette version, Norbert Turini la tient également à l’époque face à Jean‐Marc Micas, soutient ce dernier. « Mgr Turini a dit que c’était une relation d’égal à égal et qu’ils étaient amoureux, se souvient l’actuel évêque de Lourdes. Mais pour moi, on ne peut jamais dire quelque chose de pareil. Il ne peut pas y avoir de relation entre un adulte et un enfant. »

Mickaël ne bénéficie pas du tout du même soutien de la part des instances ecclésiastiques de Cahors. L’évêque tente même de le dissuader d’aller au bout de la procédure judiciaire. « Turini voulait mettre ça sous le tapis, qu’on se tape dans le dos, une prière et qu’on passe à autre chose », assure‐t‐il. Jean‐Marc Micas le confirme : « Monseigneur Turini espérait résoudre l’affaire en convoquant les deux hommes dans son bureau, qu’ils se serrent la main et règlent ça à l’amiable ».

La victime sous pression

Au fil des mois, les tentatives de dissuasion vont croissant. « J’avais vraiment le sentiment de faire quelque chose de mal », se remémore Mickaël. Luc Denjean, par exemple, alors curé de Figeac, profite d’un échange dans le parc du séminaire Saint‐Cyprien pour demander à Mickaël s’il est « sûr de vouloir continuer ». « Il me répétait que nous étions tous les deux consentants et m’a incité à un pardon mutuel », relate Mickaël. Contacté, Luc Denjean nie cet échange.

Encouragé par Jean‐Marc Micas et d’autres membres du séminaire, Mickaël maintient malgré tout sa plainte. Philippe O. quitte finalement la paroisse de Martel durant l’hiver 2012, un an après les premiers signalements. Son départ ne donne lieu à aucune explication officielle aux fidèles de la paroisse. Sur le site de l’évêché de Cahors, Norbert Turini lui exprime même « reconnaissance, gratitude et remerciements », au même titre des autres abbés quittant leurs fonctions. 

Un procès à huis clos

Le procès a lieu en juin 2013 au tribunal correctionnel de Cahors, et non à la Cour d’assises, compétente pour les crimes graves. Un choix qui explique le jugement rapide de l’affaire. 

Une fois de plus, Norbert Turini montre son parti pris pour le prévenu. L’évêché ne se porte pas partie civile et demande à l’avocat diocésain, Maître Jacques Alary, de défendre le père O. plutôt que d’en faire bénéficier Mickaël. L’évêque fait également pression pour que le jugement se fasse à huis clos, afin de ne pas ébruiter l’affaire. Une demande à laquelle la présidente Béatrice Almendros donne droit « estimant que la publicité est dangereuse pour l’ordre public ou les mœurs ». « L’évêché a profité du fait que j’étais au séminaire pour me faire accepter ce huis clos, par état d’obéissance, estime Mickaël. J’étais sous leur coupe ».

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Extrait du jugement correctionnel de l’abbé O. / document Mediacités

À l’issue de l’audience, le tribunal reconnaît Philippe O. coupable d’avoir « commis sans violence, contrainte, menace ni surprise des atteintes sexuelles, en l’espèce des masturbations, fellations et pénétrations digitales » sur un mineur de moins de 15 ans. La circonstance aggravante de l’ascendant est retenue du fait de l’autorité que ce curé détenait sur sa victime. Pour ces faits, Philippe O. encourait 10 ans de prison et de 150 000 euros d’amende. Il a été condamné à douze mois de prison avec sursis.

Contacté à plusieurs reprises, Philippe O. n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Rejeté pour avoir parlé

Après le procès, les membres de l’Église tournent ostensiblement le dos à Mickaël. Un ancien camarade du séminaire lui écrit pour lui reprocher « d’avoir sali l’image de ce prêtre ». Une culpabilité grandissante s’empare alors de la victime. Plusieurs membres influents du diocèse se rangent du côté de l’agresseur, relatant la version de Monseigneur Turini. Celui‐ci convoque le séminariste pour l’informer de son avenir. Il ne reste qu’un an avant son ordination et les six responsables de sa formation ont déjà envoyé à l’évêque de Cahors une lettre favorable à ce sujet. Malgré la recommandation de ses pairs, Norbert Turini refuse que Mickaël termine son séminaire. « Il m’a dit que j’étais en stand‐by, puis il ne m’a jamais recontacté », soupire‐t‐il.

« Un ami jésuite m’avait conseillé d’attendre d’être ordonné pour porter plainte. Il savait que j’allais me griller. »

Mickaël

Pour le jeune Lotois, victime de pédocriminalité et empêché de poursuivre sa vocation, c’est la double peine. « Ce que les membres du diocèse de Cahors m’ont toujours fait ressentir, c’est que j’étais coupable à leurs yeux. Ils ne m’ont jamais aidé à sortir de ça. Quand ils m’ont mis dehors, j’ai compris que je les dérangeais. En 2011, un ami jésuite à qui je m’étais confié m’avait conseillé d’attendre d’être ordonné pour porter plainte. Il savait que j’allais me griller. »

Déboussolé, Mickaël quitte le Lot pendant six ans pour se reconstruire tout en gardant espoir de reprendre un jour le chemin du séminaire. De passage dans le Lot, en mars 2016, il prend rendez‐vous avec Laurent Camiade, le nouvel évêque de Cahors pour tenter de réintégrer le séminaire. En vain. Le nouveau chef du diocèse refuse à son tour. Sollicité par Mediacités, il n’a pas souhaité s’exprimer. Selon Mickaël, « il fallait choisir entre deux membres du diocèse et il avait déjà fait son choix. Rien n’était signé pour moi, c’était plus facile de m’éjecter. »

Le choc du rapport de la Ciase

Condamné par la justice civile en juin 2013, l’abbé O. a quant à lui rapidement retrouvé un poste dans le diocèse. Dès octobre 2014, il est nommé vicaire de la paroisse de Catus, à 15 kilomètres au nord de Cahors, où il anime des activités pastorales et célèbre la messe. Écarté des ordres pour avoir dénoncé son agresseur alors que le curé condamné est toujours en fonction, Mickaël ressent un profond sentiment d’injustice.

Mickaël aurait pu en rester là et enfouir cette histoire en lui si la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) n’avait pas remis son rapport en 2021. Celui‐ci fait état de 330 000 victimes d’agressions sexuelles, entre 1950 et 2020, au sein de l’Église de France. Les évêchés sont mis à contribution pour le Fonds de secours et de lutte contre les abus sur mineurs. Le diocèse de Cahors, qui garde le silence sur la condamnation de l’un de ses prêtres, n’a versé que 50 000 euros pour indemniser les victimes.

Bouleversé par ce rapport, Mickaël recontacte l’évêque de Cahors, en octobre 2021, pour lui faire part de ses souffrances. « J’ai ressenti auprès des prêtres du diocèse de Cahors un jugement culpabilisant à mon égard pour avoir eu l’audace de livrer l’un des leurs devant la justice civile et ecclésiastique, écrit‐il. Ressentir tant de haine de la part de ceux qui voulaient auto‐protéger leur corporation presbytérale alimente une double honte. » Mickaël partage aussi son incompréhension face aux charges paroissiales confiées à son agresseur.

Tout en assurant « prier pour lui », Laurent Camiade adresse une fin de non‐recevoir à Mickaël. « Faut‐il stigmatiser un individu, déjà reconnu coupable par la justice et qui en porte le poids ? Je ne le pense pas », lui répond‐il, avant d’évoquer « des solutions meilleures » à mettre en œuvre. Près de deux ans plus tard, aucune mesure n’a été prise dans un sens ou dans l’autre.

L’Église se mure dans le silence

Contrairement à la justice civile, le procès canonique concernant Philippe O. n’a donné lieu à aucune publicité. Interrogé au cours de cette procédure, Mickaël n’a jamais eu accès aux conclusions du tribunal ecclésiastique. Les autorités religieuses n’ont pas plus donné suite aux demandes de Mediacités sur ce point. Plus que jamais, l’Église reste muette, signe qu’elle n’a pas tiré d’enseignement de l’affaire Preynat à Lyon. Celle‐ci avait abouti à la démission du cardinal Barbarin accusé de ne pas avoir dénoncé les abus sexuels du prêtre.

Les scandales et lourds silences de l’Eglise catholique

En 2016, Norbert Turini déclarait dans le quotidien L’Indépendant : « Si nous ne sommes pas capables d’écouter les victimes, leurs souffrances, leurs peines, comment elles ont été atteintes à vie, elles s’organiseront pour être entendues ailleurs et c’est naturel ». Sept ans plus tard, alors que le pape François est de visite en France, la parole de l’archevêque de Montpellier apparaît singulièrement prophétique.

Note de la journaliste :

« Je travaille sur cette enquête depuis plus d’un an, mais je connais Mickaël depuis toujours. Nous venons du même village et sommes amis de longue date.
Lorsqu’il revient dans le Lot après plusieurs années d’absence, je suis devenue journaliste. Un soir, j’évoque avec lui une affaire concernant l’Église. Il se confie alors à demi‐mot. La confiance qu’il m’accorde lui permet de me raconter progressivement ce qu’il a vécu. Je suis sa seule confidente.
J’ai également eu l’occasion de côtoyer Philippe O. et Norbert Turini, lorsque j’étais plus jeune, dans le cadre d’animations paroissiales et diocésaines. Je me suis par la suite éloignée de l’Église et nous ne sommes pas entrés en contact depuis plus de dix ans.
Ma proximité avec les acteurs de cette histoire ne m’a pas empêchée d’enquêter avec la distance nécessaire, en vérifiant et recoupant les informations contenues dans cet article. »

  • J’ai horreur des amalgames et ne voudrait pas être à l’origine de l’un d’entre eux.
    Mais il me semble que Philippe O. comme vous l’appelez (précaution inutile puisque vos confrères de France 3 ne l’ont pas prise), est membre de la communauté Saint Martin sur laquelle a enquêté votre confrère Timothée de Rauglaudre.
    Selon lui, cette communauté a envoyé il y a une vingtaine d’années certains de ses membres suivre des  » thérapies de conversion ». Peut‐être alors que les méthodes consistant à minimiser les faits et à régler les affaires « en interne« ne se limitent pas à l’évêché de Cahors et que Philippe O a eu connaître (ou avait déjà bénéficié ?) de cette manière de faire lors de sa formation ?

  • Bonjour
    Bravo à Emma Conquet pour cette enquête. Le combat de Michael est emblématique de ce que peut être une institution quand elle ne cherche qu’à se protéger au lieu de faire justice aux victimes.
    Tous ceux qui luttent aux cotés des victimesde toutes les institutions et donc aussi de l’Eglise, retrouvent dans cette enquête tout ce qu” ils savent déjà sur le sujet, mais elle prend chair avec Michael.
    C’est ici et maintenant, dans un département de notre région, dans le séminaire régional de Toulouse, que tout cela se déroule. Si la honte tuait, nous n’aurions plus dans l’Eglise ce cléricalisme insupportable.
    Bon courage à Michael. Il n’est malheureusement pas seul dans cette situation, mais il peut compter sur notre solidarité … que nous soyons croyants ou pas.

  • Lutter contre l’injustice, bel idéal et bel objectif ! L’injustice, je la combats tous les jours au travail et dans ma vie personnelle !
    Bravo à Emma CONQUET qui a eu le courage de dénoncer ce scandale nouveau après une enquête de plus d’un an !

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Modifié le

Temps de lecture : 9 minutes

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Par Emma Conquet

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