« Servir sa ville, c’est la meilleure chimio qui existe »

Le maire de Tourcoing Didier Droart vient de décéder des suites d'un cancer du pancréas. Mediacités l'avait rencontré longuement avant l'été. Durant l'entretien, il nous avait fait des confidences sur son rapport à la maladie. Un témoignage à valeur universelle dont nous reproduisons ici de larges extraits.

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Didier Droart, lors de l'entretien qu'il nous a consacré le 6 juin 2018. Image : Martin Lavielle.

Le 6 juin 2018, Thomas Perroteau interroge le maire de Tourcoing, décédé le 24 janvier dernier, pour son enquête sur l’absentéisme au sein de la Métropole européenne de Lille (MEL). Au cours de cet entretien fleuve, filmé par Martin Lavielle, l’élu se confie sur son cancer et son rapport à la mort. Il en parlait d’ailleurs volontiers, ne serait‐ce que pour donner du courage à ceux qui affrontent la maladie. Nous reproduisons ici son témoignage qui a une portée universelle. C’est une manière, pour Mediacités, de rendre hommage à un élu local dont l’investissement et le désintéressement étaient unanimement reconnus.

Didier Droart : « Fin 2016, on me détecte un cancer du pancréas. Je suis d’abord suivi par l’hôpital privé de Villeneuve d’Ascq, avec une série de rayons toutes les semaines (…) Ce sont des soins assez lourds, pas facile à supporter. J’ai fait pratiquement un an de chimio. Au bout d’un an, on m’a dit que les dernières séances ne servaient plus à rien. On m’a donc proposé de suivre un nouveau traitement à Villejuif, à côté de Paris (…) J’y suis allé d’abord un jour par semaine, puis deux jours, trois jours, quatre jours par semaine, répété tous les quinze jours à trois semaines. En novembre 2017, ils se sont aperçus que ça ne faisait aucun effet (…) Tout le temps que vous consacrez à la maladie, ça vous prend la santé, vous êtes plus fatigué dans ces périodes‐là. Je ne cherche pas une excuse qui n’existe pas, mais ça explique mon absence assez régulière ces derniers temps à la MEL. C’est tellement vrai que début 2017, je communique dans la presse. Je ne souhaite pas que mon absence soit mal interprétée. Je n’ai jamais rien caché. Vous voyez, tout ça, ce sont mes bilans médicaux : y’a matière ! Quand vous supportez tout ça, je vous assure, ce n’est pas évident. Concrètement parlant, j’ai perdu 35 kilos. J’en faisais 75.

« A un moment donné, je croyais que j’allais arrêter »

Après, je vais vous dire sincèrement le fond de ma pensée. A un moment donné, je croyais que j’allais arrêter, en me disant que c’était peut‐être la meilleure solution. Mais je pense qu’à l’inverse, si je suis encore en vie aujourd’hui, c’est justement parce que j’ai continué. C’est parce que moralement, je me bats encore pour ma ville… On pourrait me reprocher de pêcher par égoïsme, mais si je suis resté, c’est parce que j’ai encore envie de continuer tant que je peux (…) Une chose m’a fait énormément plaisir. Gérald Darmanin, mon maire à l’époque, m’a fait une surprise. Il m’a demandé d’être son premier adjoint et, bon, ça n’a pas été organisé, il devient ministre. Automatiquement, il souhaite que je prenne le poste de maire. J’ai réfléchi et j’ai accepté pour surtout faire plaisir à Gérald et parce que j’aime bien ma ville. J’ai toujours consacré beaucoup de temps aux associations, à la ville politique tourquennoise (…) Pour moi, c’est la meilleure chimio qui existe quand vous avez encore l’utilité de servir votre ville, les associations, et que les gens vous soutiennent, y compris dans l’opposition.

« Je ne souffre pas parce que ma souffrance est partagée »

Dans les hôpitaux, J’ai vu tellement de choses, des jeunes de 12, 13, 14 ans… Je me dis que, moi, ce n’est rien. C’est plus dur pour eux parce que, malheureusement, leur vie sera écourtée. Moi vous savez, j’ai vécu. J’ai eu la chance d’avoir toujours un bon entourage autour de moi et, franchement, ça me permet sans doute d’être encore en vie aujourd’hui. Voilà, ça c’est une de mes réalités. J’espère qu’une chose, c’est qu’à travers ce message on puisse me comprendre. Et peut‐être mieux comprendre ceux qui vivent ça. Avant, les gens cachaient leur cancer et ils souffraient dans leur intérieur. Moi je vais presque dire l’inverse : je ne souffre pas parce que ma souffrance, elle est partagée et elle a toujours été comprise par la population de Tourcoing. Donc ça me fait un bien extraordinaire, et j’espère que ce témoignage servira dans d’autres lieux, pour l’avenir. »

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Par Jacques Trentesaux

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