La « course à l’échalote » des municipales inquiète des marcheurs

[TRIBUNE] Obnubilée par les élections municipales qui l’ancreront dans le millefeuille territorial, La République en Marche se met en ordre de bataille. Le parti présidentiel renouvellera-t-il, comme promis, les pratiques politiques locales ? Jacques Dupont, un marcheur historique, craint au contraire que LaREM soit rattrapée par les traditionnelles bisbilles entre «barons».

En Marche
Le Zénith de Nantes, avant le meeting présidentiel d'Emmanuel Macron, le 19 avril 2017 / Photo: SIPA/AP Photo/David Vincent

D’après le dictionnaire, l’expression « course à l’échalote » se dit d’une compétition, parfois puérile, où tous les moyens sont bons pour arriver le premier. La métropole lilloise en donne un exemple bien concret : la chasse aux investitures et aux ralliements bat déjà son plein en vue des élections locales de mars 2020. Et ce, tous partis confondus.

La République en Marche (LaREM) en fournit une autre illustration : si nombre de ses militants s’accordent à penser que la commune est l’échelon idéal où les initiatives citoyennes et une pratique collective du pouvoir peuvent s’exprimer, les ambitions personnelles y supplantent trop souvent le débat d’idées.

De toute évidence, j’ai l’impression que le mouvement d’Emmanuel Macron, auquel j’ai adhéré lors de l’été 2016, n’est pas très à l’aise à l’approche de cette échéance électorale. Dès septembre 2018, LaREM a diffusé en interne une circulaire rappelant ses valeurs cardinales et précisant sa vision tactique des élections municipales 2020. Et concrètement ? Les marcheurs y trouveront un peu tout et son contraire, tant il est difficile de s’y retrouver entre grands principes et pragmatisme électoral…

Des intentions louables… au départ

Jacques Dupont
Jacques Dupont, auteur de cette tribune, est animateur du comité local « Hem en Marche ».

La notion de dépassement des clivages dans le respect des valeurs progressistes – qui constitue l’ADN de LaREM – y est ainsi édulcorée. Ce document énonce que « tout candidat qui aura soutenu une liste concurrente aux élections européennes ne pourra obtenir l’appui de La République en Marche lors des élections municipales ». C’est-à-dire que des habitants partageant localement un socle de valeurs communes, et en cela tentés de défendre ensemble un projet municipal à la fois social, humaniste et écologiste, ne pourront théoriquement pas voter pour des listes différentes le 26 mai.

Plus loin, la circulaire ajoute : « LaREM se devra d’être le garant de l’émergence de nouvelles personnalités » en donnant « leur chance à des femmes et des hommes de conviction, issus de la société civile ». Cela correspond à un renouvellement des visages apprécié par la base militante, qui rechigne à soutenir des élus issus de « l’ancien monde ». Mais est‐ce que cette intention louable résistera à la tentation de rallier des maires sortants, prises stratégiques s’il en est pour augmenter le nombre de conseillers communautaires « amis » et obtenir, demain, le contrôle des métropoles ? Il est permis d’en douter. Le parti présidentiel vient ainsi de créer, non sans contradictions, une fédération d’élus appelée « La République ensemble ». Une « structuration » qui cache mal la volonté de travailler « à l’ancienne », avec les élus locaux sortants.

Petits arrangements entre barons

Mes soupçons sont‐ils bien fondés ? Après tout, il est également indiqué avec un angélisme certain que la « stratégie politique pour ces élections ne peut qu’émerger des territoires ». Au sein des comités locaux, on aimerait bien y croire. Problème : à l’épreuve du pouvoir, le mouvement majoritaire est rapidement passé d’une horizontalité participative au fonctionnement vertical d’un parti finalement très classique. Il suffit d’en juger par la nature… de la procédure d’investiture centralisée prévue pour les élections à venir. Tout ceci promet d’ores et déjà de joyeux litiges : il suffit de se remémorer les difficultés rencontrées par le QG à investir les 500 candidats aux législatives pour craindre le pire lorsqu’il s’agira de statuer sur plus de 2 000 listes… 

Mais revenons dans le Nord, où les élections municipales sont bien davantage au cœur des conversations entre marcheurs que le prochain scrutin européen, pourtant plus proche… Comme nombre de marcheurs sensibles à ce qui se dit sur le terrain, j’entends les gens critiquer le manque de renouvellement des idées de nos élus, en place depuis plus de vingt ans pour certains d’entre eux. Et je suis pour le moins étonné lorsque je vois mon comité politique départemental – composé de ministres et de parlementaires – s’enferrer dans des combinaisons bien peu en rapport avec les nouvelles pratiques souhaitées par nos concitoyens. En tant qu’animateur du comité local « Hem en Marche », je dois avouer redouter la fin du printemps européen et le début des grandes manœuvres et petits arrangements municipaux.

Manoeuvres d’arrière‐boutique

Car tout laisse à penser, ici, qu’un certain nombre de maires sortants, comme à Valenciennes ou à Wattrelos, seront protégés sans qu’il ne soit tenu compte de l’avis des marcheurs locaux. Le bureau exécutif pourrait en effet être tenté d’aller au plus simple, et investir des élus en poste, connus et expérimentés… sans se soucier des soupçons judiciaires ou de mauvaise gestion financière qui pèsent sur eux. Au‐delà des cas de ces « barons », Paris ne devrait guère se montrer plus sourcilleux avec les candidatures d’autres ralliés de dernière minute, prestement déclarés « macron‐compatibles » par le comité politique départemental.

Autre travers tant redouté des mois et semaines à venir : LaREM fermera probablement les yeux sur ce qu’il qualifiera de faits de politique locale. Par exemple, à Wasquehal, où l’animatrice du comité local lie son ambition à l’ex-premier adjoint au maire pourtant estampillé droite dure, avide de vengeance après avoir été éconduit en 2017 de la majorité. Autre exemple dérangeant sur le plan éthique : siégeant à l’Assemblée nationale depuis moins de vingt‐quatre mois, une députée En Marche lorgne déjà sur le beffroi de Lille. Peu lui importe que le mandat de maire soit incompatible avec son mandat actuel. A mille lieues de l’esprit de la loi de moralisation de la vie politique qu’elle a voté, elle considère son engagement politique comme un métier où les bons élus se distinguent dans leur aptitude à faire carrière.

Ces cas (pas si) particuliers font apparaître deux principaux types de candidats aux investitures LaREM en vue des élections municipales de 2020 :

  1. Il y a ceux, déjà élus mais souvent sans projet, qui n’ont pas peur des manœuvres d’arrière-boutique. Pas très regardants sur leurs soutiens, ils gardent évidemment un œil de velours pour les responsables hiérarchiques du parti présidentiel qui décideront de leur sort.
  2. Les autres, généralement des citoyens ancrés et engagés localement en faveur de leur territoire, incarnent la promesse du renouvellement des pratiques politiques municipales. Depuis 2016, lorsque ce n’est pas plus tôt encore.

Une coupure entre le QG et la base ?

Le QG parisien de La République en Marche indique que les premières investitures des têtes de listes aux municipales seront annoncées en juin 2019. Le bureau exécutif et le binôme de parlementaires dédié à la stratégie de ces élections municipales et intercommunales pour « La République Ensemble » devront se garder de tout excès d’autoritarisme. Attention à ne pas oublier que les comités locaux de LaREM sont les clés de voûte de ces élections !

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Les villes où les principes fondateurs de LaREM ont été pudiquement oubliés, avant même le début de la campagne des municipales, sont déjà beaucoup trop nombreuses. Personne n’a intérêt à compléter davantage cette liste : le fait de privilégier des élus fraîchement ralliés à des citoyens désireux de faire émerger de nouvelles façons de faire de la politique est un problème systémique. Outre la crainte partagée par nombre d’adhérents que la direction puisse considérer comme quantité négligeable les actions citoyennes menées depuis deux ans, les marcheurs ne souhaitent pas voir le projet politique initial perdre de son sens. Quel serait, franchement, l’intérêt d’obtenir le ralliement, d’investir et de reconduire des élus sortants dont la plupart de nos concitoyens se disent déçus ? En quoi seront‐ils, demain à la MEL, davantage moteurs, y compris sous la houlette – hypothétique – d’un président LaREM, que depuis six ou douze ans, pour opérer la transformation urbaine et la transition environnementale dont la métropole de Lille a tant besoin ?

Faire confiance aux militants historiques qui portent haut les valeurs citoyennes et participatives du mouvement depuis plus de deux ans signifierait que LaREM n’a pas cédé à l’électoralisme. Former et investir, partout en France, les marcheurs capables de porter un projet municipal en accord avec nos valeurs, signifierait que LaREM a su garder – un peu – de son identité, malgré l’exercice du pouvoir.

Pourquoi publier cette « lettre ouverte » ?

Est‐ce bien le rôle d’un journal d’investigation locale et de décryptage de donner de l’écho aux états d’âme d’un militant historique, quoique considéré comme « frondeur » par certains adhérents de son parti, La République en Marche ? La rédaction de Mediacités s’est posée la question. Si notre Forum est en effet un espace ouvert à tous, il n’a pas vocation à accueillir de la propagande électorale, règle qui a d’autant plus son importance à l’approche des élections municipales.

Justement, la force du texte de Jacques Dupont, animateur local du comité « Hem en Marche » et par ailleurs membre du collectif citoyen reGénération, nous a immédiatement convaincu de le faire paraître dans les colonnes de notre Forum. Le caractère précieux de ce « témoignage de l’intérieur », loin de toute logique promotionnelle, est incontestable. Il éclaire à merveille les désillusions susceptibles de se multiplier au niveau de la base, à l’orée de la professionnalisation très « verticale » d’En Marche (comme d’autres partis politiques français avant lui).

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Par Jacques Dupont, animateur d'"Hem en Marche"

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