C’est une première ! Depuis une vingtaine d’années, la question du développement de la métropole nantaise et de son attractivité faisait l’objet d’un consensus quasi‐généralisé. De gauche à droite, des entreprises aux citoyens, on s’enorgueillissait généralement de voir Nantes truster les premières places des sempiternels classement des « villes où il fait bon vivre », comme on se félicitait de voir le territoire attirer, année après année, des milliers de nouveaux habitants. Retournement de tendance : depuis quelques mois, ce bel unanimisme semble voler en éclat. Des habitants, de plus en plus nombreux, déplorent l’explosion des prix de l’immobilier, la saturation des réseaux de transports, et la perte d’une certaine forme de tranquillité. Les candidates aux élections municipales s’emparent à leur tour du sujet, certaines préconisant carrément d’y mettre un terme, d’autre d’en simplement corriger les excès. Bref, l’attractivité n’a plus la côte. Dans son dernier numéro, la revue nantaise Place Publique se faisait d’ailleurs l’écho du débat, en confrontant les points de vue. Celui de l’urbaniste Laurent Théry, ancien directeur de la Samoa, la structure chargée de l’aménagement de l’île de Nantes. Et celui de Françoise Verchère, co‐référente départementale de l’association de lutte contre la corruption, Anticor et ancienne maire de Bouguenais, dont nous vous proposons ici de larges extraits. D’autres prises de position viendront et vous pouvez d’ores et déjà lire celle de Laurent Théry dans les colonnes de Place Publique, en vente en kiosques et librairies.
La tribune de Françoise Verchère :
« Attractivité, mon c… ! », aurait sans doute dit Zazie, l’héroïne de Queneau, si elle avait participé à l’enquête publique du Schéma de cohérence territoriale (SCOT) de la métropole [de Nantes] ! Dans le rapport de présentation de ce beau document de prospective, censé préparer notre territoire à l’avenir, on peut relever 139 occurrences du mot « attractivité » ou de son adjectif dérivé, ainsi que ce type de phrase creuse mais répétée comme un mantra : « La métropole Nantes/Saint‐Nazaire a une responsabilité territoriale forte et doit renforcer sa visibilité à l’échelle européenne, son attractivité, son accessibilité. »
Attractivité, compétitivité, développement (auquel on ajoute toutefois « durable » pour être politiquement correct), voilà la trinité devant laquelle il faudrait désormais se prosterner. La langue de bois politique, technocratique et médiatique brasse ces mots jusqu’à l’écœurement. Trois mots pour justifier ce qui frappe pourtant l’observateur : une densification infiniment triste de Nantes et de son agglomération, une aggravation spectaculaire des déplacements pour les malchanceux qui n’habitent ni ne travaillent au centre‐ville, une envolée des prix du logement qui endette lourdement les jeunes ménages et repousse sans fin les familles et les modestes vers les périphéries de plus en plus lointaines, un manque récurrent de logements sociaux, une succession de faits divers à vous faire douter de la vérité de ce que l’on vend régulièrement dans les hebdomadaires : Nantes, LA métropole « où il fait bon vivre »…
« Le bétonneur a une fabuleuse capacité à récupérer les arguments écologiques et même à culpabiliser ceux qui émettraient des doutes. »
Reconnaissons d’abord que la grande majorité des politiques, quelle que soit leur couleur partisane, participe à cette religion. Le fondement en est simple : il faut grossir, atteindre la masse critique européenne pour exister dans le concert des métropoles, attirer emplois et richesses, bref avoir plus de pouvoir, d’influence, d’existence. […]
Voilà ce qui a guidé les décisions de la métropole nantaise depuis plusieurs décennies. Balayée la question même de la pertinence de telles affirmations. La simple observation du vivant montre pourtant qu’aucun organisme ne croît de manière continue. Imaginons un instant l’humain poursuivre son développement à l’âge adulte : gigantisme et obésité garanties… Mais on me dira que cela n’a rien à voir. Voire… Il y a des chercheurs qui ont travaillé sur la notion de taille, de masse critique et des effets induits. Certains prétendent même qu’à partir d’une certaine taille, les effets négatifs l’emportent sur les économies d’échelle. Peut‐on sans sacrilège poser la question à Nantes ? Pas sûr… car lorsque la moindre critique est émise sur la densification par exemple, on se voit rétorquer : qu’il faut construire pour nos enfants ou petits‐enfants, qu’il faut bien accueillir ceux qui veulent venir s’installer ici, et même qu’il faut densifier pour épargner les zones agricoles – le bétonneur ayant une fabuleuse capacité à récupérer les arguments écologiques et même à culpabiliser ceux qui émettraient des doutes.
S’il y a bien sûr un peu de vrai là‐dedans, il y a aussi beaucoup de mensonges et d’écran de fumée. Mensonges sur la nécessité de construire pour les enfants – le solde naturel n’est responsable que d’environ 60 % de l’accroissement de la population –, écran de fumée sur les objectifs affichés dans les documents comme le SCOT ou les Plans locaux de l’habitat : on a construit plus de logements que ce qui était annoncé, mais les prix se sont envolés et les familles peinent à se loger. La construction tous azimuts fait surtout le bonheur des promoteurs et de ceux qui peuvent défiscaliser, en achetant un appartement à mettre sur le marché de la location privée. On prévoit pour l’avenir plus de logements que nécessaires mais moins de logements sociaux qu’il n’en faudrait pour résorber le déficit, et respecter la loi, notamment dans les communes qui n’en ont jamais voulu beaucoup (Orvault, Saint‐Sébastien, Sautron, Vertou…).
« Nantes a parfaitement suivi cette doxa néo‐libérale, et brillamment réussi en un sens »
Reconnaissons aussi que la métropole nantaise n’a rien inventé sur le sujet. Comme le rappellent notamment les chercheurs Vincent Béal et Max Rousseau, « les enjeux de compétitivité et d’attractivité sont devenus les objectifs principaux des politiques urbaines. Ces objectifs se déclinent de différentes manières : fiscalité favorable aux entreprises, manifestations culturelles, marketing territorial et accueil de grands événements, construction de centres commerciaux, de stades de sport ou de nouvelles infrastructures de transport, etc. L’ensemble de ces politiques et projets urbains est dominé par un objectif surplombant : redévelopper les villes en les rendant plus attractives pour les entreprises, les classes moyennes et supérieures, ou les touristes. » Nul besoin de donner des exemples locaux, chacun peut les trouver facilement car Nantes a parfaitement suivi cette doxa néo‐libérale, et brillamment réussi en un sens […].
J’ai eu l’immense chance de m’engager en politique dans une commune [Bouguenais] qui a utilisé pendant quarante ans tous les leviers existants pour pratiquer localement une véritable redistribution, loger des catégories sociales modestes d’ouvriers et d’employés, et leur offrir toute une série de services directs. […] Pourquoi cela n’a t‑il pas été fait sur d’autres communes de gauche ? Pourquoi tout cela a‑t‐il été emporté par le passage à la communauté urbaine, dans une uniformisation par le bas et une vulgate pseudo moderniste ? Quand je vois ce qui se construit aujourd’hui à Bouguenais, à peu près n’importe où, sans aucune des règles qui étaient les nôtres – espaces verts, continuités piétonnes entre autres –, constructions sans âme qui ressemblent à tout ce qui se construit ailleurs, j’ai le cœur serré et je me dis que non, ce n’est pas cela « faire de la ville », ce n’est pas cela que voulaient les habitants lorsque nous les avions conviés dans les années quatre‐vingt dix à dire quelle « forme de ville » ils voulaient pour l’avenir.
« Je ne tiens pas pour négligeable le peu qui a été fait – peu est mieux que rien –, mais j’affirme que ce n’est pas à la hauteur des enjeux. »
À ce moment‐là, nous avions avec eux décidé de garder un équilibre entre ville et espaces naturels. Nous avons protégé les zones humides, celle notamment de la grande vallée que l’atout du Pont de Cheviré aurait pu transformer en gigantesque zone commerciale, et affirmé la nécessité de garder une agriculture vivante : création d’une ferme communale, la ferme des Neuf‐Journaux, restauration de la ferme de la Ranjonnière pour créer un magasin de producteurs, un restaurant, une ferme d’animation éducative, encouragement à la remise en culture de friches, etc. Consciente qu’il fallait une action collective pour réussir le pari d’un modèle de développement différent, Bouguenais a porté ce programme, très novateur à l’époque, au niveau de l’agglomération. Il a de fait été repris comme sera adopté un peu plus tard, un autre programme pour lequel j’aurai beaucoup bataillé, celui d’une forêt urbaine. Deux programmes qui depuis dix ans ont certes été portés par des vice‐présidents de l’agglomération mais avec si peu de moyens…
On dit que c’est au pied du mur qu’on voit le maçon, pour une collectivité territoriale c’est dans le budget qu’on voit les priorités d’une politique. Or, du côté des finances, les équilibres archaïques n’ont pas changé. L’intégration, dans le discours, de ces propositions a surtout permis à l’agglomération de verdir son image et de décrocher le label « capitale verte européenne » en 2013. On a probablement payé de belles études, on a allègrement colloqué, on a bonne conscience. Je ne tiens pas pour négligeable le peu qui a été fait – peu est mieux que rien –, mais j’affirme que ce n’est pas à la hauteur des enjeux.
[…]
Dans le monde incertain qui déjà secoue nos modes de vie, la modernité serait de stopper la gentrification plutôt que de la mettre en œuvre, de réguler vraiment l’occupation du sol, de tendre vers une plus grande autonomie en termes d’énergie et d’alimentation, de réorienter radicalement le budget important de notre agglomération. Cette politique serait plus juste et plus efficace pour le bien‐être de tous. Et peut‐être même un peu plus de beauté nous serait, alors, donnée de surcroît…»
Ce texte, dont nous reprenons des extraits a été initialement publié dans la revue nantaise Place Publique. Vous pouvez en retrouver l’intégralité, ainsi qu’un long dossiers sur les cinq principaux enjeux des élections municipales dans le dernier numéro, en vente en kiosque et en librairies.
Mme Verchère, vous manquez au paysage politique. J’ai pu travailler au sein de la commune où vous avez été élue et apprécier la mesure de votre « héritage ». Le dégonflement des métropoles est un tabou urbanistique. La désertification des campagnes ‑des habitants, mais aussi des commerces, services et représentations de la force publique‐ en est le pendant. L’agence d’urbanisme » 2 degrés » avait osé proposer un « petit Paris », mais l’écho n’a pas atteint les » métropoles d’equilibre ».
Excusez cette réaction tardive ! effectivement le choix posé désormais aux décideurs pour chaque projet , c’est soit de privilégier l’attractivité Nantaise, qui justifie tous les grands projets d’aménagement et qui minimise leurs impacts environnementaux, soit de ne plus appréhender les projets à l’aune de cet impératif ; dans ce cas, la lecture de l’aménagement devient différente, certains projets apparaissent devoir être supprimés dans la cadre de la démarche « d’abord éviter » , d’autres sensiblement réduits , la compensation des impacts ne devant intervenir qu’en tout dernier lieu ; de ce point de vue, le réaménagement de l’aéroport Nantes Atlantique apparaît comme un dossier emblématique devant s’inscrire dans la transition écologique et non comme un outil au service d’un développement sans fin de l’agglomération Nantaise.