Rachel Bouchet vit à Nantes, dans le quartier Zola, avec son conjoint et ses deux enfants de 7 et 11 ans. Elle habite à deux pas du collège de La Durantière, situé entre deux quartiers prioritaires, Bellevue et les Dervallières. C’est dans cet établissement que son fils de 11 ans a fait sa rentrée au collège en septembre, ce, malgré la précarité économique dont souffre une bonne partie des parents des jeunes scolarisés.
Sur les 122 collèges de Loire‐Atlantique, la Durantière obtient le troisième IPS (indice de position sociale) le plus bas du département. Sur ses 350 élèves, 60 % viennent d’écoles primaires classées en REP + (réseau d’éducation prioritaire renforcé). D’ailleurs, depuis trois ans, les enseignants et les représentants de parents se battent pour que ce collège, actuellement classé REP, soit réévalué en REP + (et bénéficie ainsi de plus de moyens humains et financiers pour la réussite des élèves). En janvier 2024, Mediacités avait publié une lettre ouverte de dix universitaires qui appelaient au classement de l’établissement en REP +.
Ce collège est pourtant situé dans un secteur à forte diversité sociale, mais il fait peur : près de deux familles sur trois (parmi les plus aisées) l’évitent en obtenant des dérogations ou bien en envoyant leurs enfants dans l’enseignement privé catholique. Un « renoncement au vivre ensemble », selon Rachel Bouchet, qui interpelle les parents et les pouvoirs publics sur cette situation.
Après huit belles années passées à l’école primaire publique de la Contrie, mon fils est entré au collège en septembre. Le jour de la rentrée, j’ai d’abord accompagné ma fille en classe de CE1. Tous les parents de tous les horizons (sociaux, culturels…) sont dans la cour, se mélangent, se parlent. Une joyeuse ambiance de retrouvailles, tous ensemble : parents, enfants et professeurs des écoles.
Puis, j’accompagne mon fils pour sa rentrée en 6ème au collège public La Durantière. À peine deux minutes de marche depuis l’école de la Contrie et pourtant c’est un tout autre univers. Où sont ses camarades de CM2 ? Où sont les parents qu’on avait l’habitude de croiser dans l’école depuis huit ans ? Ils ont fait le choix du privé pour fuir le public qui fait peur. La peur du niveau scolaire. La peur de la violence.
Pour moi, la violence c’est cette fracture, profondément injuste, ce renoncement au vivre ensemble. Les privilégiés d’un côté et les moins chanceux de l’autre. Reconduction classique de l’entre‐soi.
Mixité scolaire : à Nantes, première visite du collège « idéal »
Un collège pas du tout représentatif de la diversité sociale du quartier
Mon fils rentre au collège. C’est une grande étape. Il va devoir la franchir sans aucun de ses copains proches. Il rentre dans un collège public qui n’est pas du tout représentatif de la diversité sociale du quartier. Pourtant, si la carte scolaire était respectée, ce collège pourrait bénéficier d’une belle mixité tant sociale que d’origine, similaire à celle de l’école de la Contrie, reflet fidèle de la sociologie des environs.
Évidemment, comme tout le monde, j’aimerais que mon fils soit scolarisé dans un collège sans problème, sans violence, sans insolence, dans un climat apaisé permettant l’apprentissage de toutes les notions du programme. Mais la carte scolaire fait qu’il est rattaché au collège de La Durantière.
Contrairement à la plupart des parents du coin, qui envoient leur enfant à Chavagne ou à l’Externat des Enfants Nantais – parmi les établissements les plus favorisés du département – nous avons choisi de « jouer le jeu » de la carte scolaire. Sauf que pour moi, il ne s’agit pas d’un jeu, mais d’une décision (très) responsable.
« L’école et le collège sont avant tout des lieux d’apprentissage de la vie en société »
Je ne choisis pas de mettre mon fils dans un établissement qui ne fait rêver personne. Je choisis de ne pas fuir. Via la scolarisation de mon fils, je choisis de participer à la vie du quartier, de la « cité ». On nous décrit comme ceux qui ont fait un choix, alors qu’il s’agit simplement de la suite logique d’une scolarité définie par la carte scolaire. Mais est‐ce qu’en faisant cela, je mets en péril la scolarité et l’avenir de mon fils ?
Selon moi, l’école et le collège ne sont pas uniquement des lieux d’apprentissage scolaire. Ce sont aussi, et sûrement même avant tout, des lieux d’apprentissage de la vie en société. Et on ne fait pas nation quand des enfants du même secteur scolaire, du même quartier, ne jouent pas ensemble, n’apprennent pas ensemble, ne deviennent pas citoyens ensemble.
J’ose croire que les enfants peuvent apprendre ensemble malgré leurs différences, se mélanger, s’enrichir et que, plus tard, ils sauront vivre tous ensemble dans le respect. D’ailleurs, toutes les études le montrent, la mixité est bénéfique pour tous les élèves, les bons comme les moins bons.
« Pourquoi sommes‐nous si peu nombreux à “jouer le jeu” y compris les pouvoirs publics ? »
Après une demi‐année à La Durantière, le bilan est globalement positif pour mon fils. Il se sent bien au collège, s’est fait quelques nouveaux amis, il semble même plus épanoui qu’à l’école primaire. Il nous dit ne pas avoir peur et se sentir plutôt en sécurité, se tenant à l’écart des régulières bagarres des récrés.
Il observe la violence et l’insolence sans y prendre part. Ses résultats scolaires sont pour l’instant bons malgré une ambiance de classe souvent agitée. Pour le moment, pour nous, le contrat est rempli. Reste à voir si les programmes vont pouvoir être correctement terminés et, si possible, dans de bonnes conditions. Les familles présentes au collège nous donnent les mêmes retours satisfaits sur les scolarités solides pour les bons élèves, une autonomie accrue, et une liaison collège‐lycée réussie. Alors pourquoi sommes‐nous si peu nombreux à “jouer le jeu”, y compris les pouvoirs publics ?
Les collectivités et le rectorat doivent faire en sorte que le collège soit plus attractif, plus reconnu, plus sûr et plus rassurant pour les parents. Ce collège doit pouvoir offrir les mêmes chances de réussite qu’un autre établissement. Je rêve d’un réveil, d’un sursaut citoyen.
Rachel Bouchet
Maman d’élève au collège de La Durantière et membre de l’Association des parents d’élève
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À propos de l’évitement des familles qui préfèrent le collège privé, j’ai fait le même choix que cette mère d’élève pour mon fils quand il a quitté la mixité de son école primaire. pour le collège du secteur soi disant peu réputé. Nous ne l’avons pas regretté. Une équipe de profs dynamiques travaillant ensemble a fait du bon travail malgré quelques élèves difficiles. En seconde il a retrouvé tous ses copains partis dans le privé dans le lycée public tout neuf et ultra connecté et dans lequel toutes les familles voulaient mettre leurs enfants!! Il a ensuite fait de bonnes études jusqu’au doctorat et se passionne pour son métier depuis plus de 10 ans maintenant.