Quel était donc bien le but des deux lois (organique et ordinaire) « pour rétablir la confiance dans la vie politique » ? S’il s’agissait d’obtenir un peu d’air de la part d’une « opinion publique » excédée – dont les médias tirent bien souvent les ficelles –, elles rempliront probablement ses objectifs (inavoués). Mais s’il ne s’agissait que de cela ; autrement dit, uniquement de ré‐oxygéner à court‐terme notre démocratie afin de s’auto-persuader que le « malade va mieux », alors, la suite à venir sera terrible. Car nos dirigeants feraient preuve d’une incompétence quasi‐totale s’ils imaginent sincèrement que ces textes redonneront foi aux Français en leurs politiques. Je dis « quasi », car je dois à l’honnêteté reconnaître qu’il y a bien dans ces deux lois de moralisation quelques très légères avancées.
Je songe en premier lieu à la suppression de la réserve parlementaire, résidu archaïque des temps immémoriaux. Ce système permettait tranquillement au barons locaux « d’acheter » à peu de frais – celui du contribuable – l’attache de tel ou tel « petit Maire » (et, rien de péjoratif dans cette appellation, bien sûr) en lui décernant, souvent pour bonne conduite, l’octroi d’une petite part de sa réserve parlementaire afin que l’édile puisse mener à bien un projet municipal sans trop grever ses finances déjà bien trop contraintes. L’actuel ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, étant l’un des maîtres en la matière… S’il faudra réfléchir au mécanisme qui permettra de redistribuer plus éthiquement ces subventions publiques, il était indispensable de mettre un terme à ce levier clientéliste !
Aussi, quelques autres mesures vont bien sûr dans le bon sens. Je fais référence à :
- la suppression de la Cour de Justice de la République (CJR), dont les jugements étaient dignes des fables de Jean De la Fontaine : « selon que vous serez puissant ou misérable… » ;
- la suppression des emplois familiaux par les parlementaires. C’est un léger mieux… bien que cette mesure sera tellement contournable que l’avancée est minime.
Et que penser de l’interdiction de plus de trois mandats identiques successifs ? Tout est dans le « identiques ». Là encore, ce sera un jeu d’enfant pour nos « professionnels de la politique » de contourner cette mesure en alternant à temps certains mandats.
Les fiefs politiques : l’école de la corruption
La vraie question que le gouvernement et les parlementaires auraient dû se poser est : « Comment se fait‐il qu’une majorité de Français souhaitent voir leurs élus quitter la politique rapidement ? ». Pourquoi n’ont-ils pas plutôt réfléchi aux carcans à mettre en place et qui feraient que les citoyens regretteraient un jour le départ de leurs élus arrivés au crépuscule de leur vie – après qu’ils l’ait consacrée toute entière à servir durant 50 ans l’intérêt général, avec altruisme, rigueur et désintéressement ? Laissez‐moi rêver… Si la volonté avait été là, il aurait été simplissime de moraliser réellement notre démocratie. Et cela aurait dû commencer, en premier lieu, par la moralisation de notre démocratie locale. Là où tout commence. J’en ai acquis la conviction lors de mes mandats d’adjoint au maire d’Avilly-Saint-Léonard et conseiller intercommunal de l’Aire cantilienne (Chantilly, Hauts‐de‐France) et j’espère avoir pu le démontrer dans mon livre, « Un village sous influence, ou l’école de la délinquance de nos élus. »
Car, quelle supercherie de vouloir faire croire aux Français que notre démocratie serait « attaquée » de temps à autres par un ministre intrinsèquement corrompu. Cela n’existe pas ! Ce fusible « idéal » – qui permet aux gouvernants de dire aux Français, après l’avoir fait sauter : « vous voyez, notre Démocratie fonctionne » – est un leurre. Tous ces « Politiques » que l’on a vu partir sous la bronca, depuis plus d’une décennie, n’étaient en fait que de « petits élus » devenus grands, qui ont poussés dans leurs fiefs politiques, formés (ou plutôt : déformés) au faux pli de l’impunité.
Des responsabilités partagées entre élus, Etat et citoyens
Prenez les trois premiers cas qui vous reviennent en mémoire (je vous laisse 30 secondes…), et dites‐moi si je me trompe ! Tout d’abord, vous remarquerez qu’aucun bord ni parti politique n’est épargné. Ensuite, demandez‐vous pourquoi ces trois hommes politiques auxquels vous avez pensé ont pu se comporter avec une telle arrogance, un tel mépris pour les citoyens français à qui ils prétendaient ne s’être engagés en politique que pour servir l’intérêt général. Quasiment aucun Français « normal » n’oseraient se comporter de la sorte.
Seul, ce sentiment de supériorité acquis, puis amplifié jour après jour dans un fief politique, explique cette « déformation » professionnelle, façonnée par :
- certains préfets ou sous‐préfets obséquieux, plus préoccupés à préserver l’avenir plutôt qu’à faire appliquer avec rigueur et célérité les contrôles de légalité sur tous les actes irréguliers des élus locaux ;
- la couardise et la soumission de tant d’élus locaux qui n’osent s’opposer à « l’intouchable » baron local (j’en témoigne à maintes reprises dans mon livre) ;
- nombre d’administrés inféodés au baron local, soit pour avoir ses bonnes grâces afin qu’il lui rende un « petit service », soit par flagornerie – comportement si fréquent d’un citoyen lambda face au puissant en place (ce qui explique en partie pourquoi l’élu local est celui qui recueille encore le plus haut niveau de confiance du citoyen).
Une corruption répandue dans tous les territoires
Depuis des décennies, nos dirigeants connaissent parfaitement ces dérives du système démocratique. Mais, plutôt que de les combattre, ils en usent et en abusent, afin de conserver le pouvoir, qu’il soit local ou national. C’est comme cela que honteusement, la France stagne au classement de l’étude de l’association Transparency international qui mesure l’exemplarité d’un pays face a la corruption, au terrible 23e rang ! Pays des droits de l’Homme, qui donne des leçons au monde entier et dont les « Politiques » ont toujours à la bouche notre belle devise : Liberté‐Égalité‐Fraternité. 23e rang !
Pour atteindre un si triste niveau, ce ne peut être évidemment pas en raison d’une poignée de ministres qui salissent notre Démocratie et voués aux gémonies (à juste titre) sous les feux radieux des médias, mais bien parce que cette corruption est répandue dans tous les territoires, et pratiquée à grande échelle, sans qu’aucun moyen de contrôle ne la combatte efficacement.
J’ai pu constater à l’échelle intercommunale comment des créations d’équipements publics ou d’autres décisions structurantes du territoire pouvaient avoir été prises en raison, essentiellement, de jeux de pouvoirs ou de silences coupables d’élus communautaires, et non à travers l’unique prisme de l’intérêt général. A l’aune de cette expérience, j’imagine maintenant mieux comment des projets si mal préparés que sont le barrage de Sivens ou l’aéroport Notre‐Dame‐des‐Landes ont pu ou pourrait voir le jour…
Mais si l’envie venait à un Président de la République de moraliser en profondeur notre Démocratie, il pourrait y parvenir en moins d’un quinquennat. Avec, à la clé, des bénéfices politiques mais pas seulement. La disparition de la corruption (ou sa très grande diminution) débloquerait en effet toutes nos économies locales. Et pour cause : une convergence de mécanismes vertueux réapparaîtraient (efficacité, solidarité, rigueur, confiance, baisse de l’imposition, etc.…), et notre économie nationale – qui n’est que la somme de nos économies locales – s’en verrait automatiquement transformée, réduisant à néant notre chômage de masse qui meurtrit tant de personnes.
De la nécessité de s’engager et de faire pression
Ne voulant pas passer que pour un utopiste, je vous livre ici quelques mesures simplissimes (parmi tant d’autres) à mettre en place, et qui pourraient transformer radicalement notre société en peu de temps :
- faire la transparence totale sur chaque euro touché, remboursé, dépensé, par tous les élus français ;
- nommer et muter de façon aléatoire les préfets et sous‐préfet, et les contraindre à l’application stricte et rapide des contrôles de légalité si un administré les saisissent ;
- instaurer l’obligation du casier judiciaire vierge pour se présenter à toute élection ;
- enlever aux élus la possibilité d’octroyer des récompenses nationales (légion d’honneur, médaille du mérite,…), levier clientéliste, en déplaçant cette prérogative vers un comité national ;
- interdire qu’une loi porte le nom d’un ministre, même de façon usuelle ;
- interdire à vie qu’un élu condamné pour harcèlement sexuel puisse se présenter à une élection ;
- etc, etc, etc.
Hélas, avec la loi pour la confiance dans la vie politique, élaborée puis portée par Francois Bayrou (rendez‐vous compte, sic!), rien ne changera fondamentalement au plan local. C’est pourtant d’un changement radical de comportement dont rêvaient les Français. J’en veux pour preuve que près de 2 millions d’entre eux ont pris de leur temps un dimanche de juin pour aller exprimer leur colère à travers un vote blanc ou nul lors des élections législatives, et que plus de 60 % des Français n’ont voté pour personne lors de ces mêmes élections !
De tels chiffres ne semblant pas avoir créé d’électrochocs chez nos gouvernants, ce ne sera que grâce a l’engagement croissant des citoyens, et sous leurs pressions constantes, qu’un jour peut‐être, ils prendront conscience de la tâche qui leur incombe, de la marche restant à franchir pour « redonner confiance dans la vie démocratique »…
Collectivités locales : l’école de la corruption
Les Français ont‐ils les gouvernants qu’ils méritent ? Après seize ans d’engagement politique à Avilly‐Saint‐Léonard (Oise) et cinq ans à la communauté de communes de l’aire cantilienne – présidée depuis 1995 par le maire de Chantilly, Eric Woerth –, la réponse s’impose d’elle-même dans la bouche de Nicolas Tavernier : « oui ». S’il semble sain que nos concitoyens s’offusquent de leurs édiles ou de leurs ministres empêtrés dans des scandales politico‐financiers, ces derniers gagneraient toutefois en cohérence à se livrer à une légère introspection… A en lire « Un village sous influence », trop de Français profitent encore des permanences pour quémander des petits services à leurs élus – qu’il s’agisse de l’obtention d’emplois publics hors‐concours, mais aussi de logements sociaux ou de places en crèche à l’abri des commissions d’attribution déjà fort opaques. Photographe de presse « embedded » dans une petite mairie de l’Oise, cet élu altruiste, militant anticorruption exigeant à ses heures perdues, dresse un constat sans concession du fonctionnement quotidien de notre démocratie locale. Loin d’être réductible à un énième pamphlet démagogique nourrissant la bête du « tous pourris » et amenant les citoyens à se replier sur leurs communautés locales exempts de tout soupçon, ce livre passionnant développe une thèse originale et non moins crédible : en dépit de la popularité des maires qui s’expliquerait d’abord et avant tout par la prégnance du clientélisme, la démocratie locale serait ni plus ni moins que le laboratoire de la corruption, source de nombreux dysfonctionnements politiques nationaux. A méditer. « Un village sous influence ou L’école de la délinquance de nos élus », de Nicolas Tavernier (éditions Max Milo, 230 pages.) |
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