Crise du logement : le Conseil national de la refondation, une occasion manquée ?

Les mesures proposées par le gouvernement pour résoudre la crise du logement ne semblent pas avoir intégré sa dimension structurelle et déçoivent les acteurs du secteur. L'analyse de Pierre Madec, économiste à l'OFCE (Sciences-Po).

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Olivier Klein, ministre délégué chargé de la Ville et du Logement, a récemment présenté avec Elisabeth Borne les mesures retenues par le gouvernement à la suite de la consultation du Conseil national de la refondation sur le logement. / Photo : The Conversation

Les annonces sur le logement issues du Conseil national de la refondation (CNR), dévoilées début juin par le gouvernement, ont suscité de vives déceptions parmi les quelques 200 acteurs invités depuis le 28 novembre 2022 à plancher sur le sujet. « C’est tout un secteur qui est méprisé » a déploré la fédération des promoteurs immobiliers dans un communiqué ; « Il n’y a pas “rien”, mais ce n’est pas cela qui va nous permettre de rebooster la politique du logement », a déploré Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre qui a malgré tout pu se réjouir de voir un alignement inédit de tous les acteurs sur les solutions.

Pour répondre à la crise du logement, avec 2,4 millions de demandes de logement social en attente, un record et 200 000 personnes en hébergement d’urgence tous les soirs, en plus d’entreprises du secteur en difficulté, cinq piliers ont été retenus par le gouvernement. Il s’agit de « favoriser l’accès à la propriété », « favoriser l’accès à la location », « soutenir la production et la rénovation des logements sociaux », « relancer la production de logements » et « amplifier la rénovation énergétique du parc privé ».

Parmi les mesures prévues pour atteindre ces objectifs, certaines n’émanent pas du CNR. Il semblerait que celui‐ci n’ait servi que de véhicule pour le gouvernement afin d’avaliser des économies budgétaires, de l’ordre de deux milliards d’euros à terme. Pareil objectif semble d’ailleurs paradoxal dans un contexte de crise. Le dispositif Pinel, niche fiscal dont peut bénéficier qui achète un logement neuf afin de le mettre en location, certes très critiquable, est par exemple supprimé mais sans compensation. Des économies budgétaires importantes sont réalisées mais les moyens dégagés auraient pu (dû) être réorientés vers d’autres dispositifs servant les mêmes objectifs.

D’autres annonces semblent suffisamment intuitives pour ne pas nécessiter sept mois de réflexion. Le fait de maintenir le prêt à taux zéro pour les ménages les plus modestes est par exemple curieusement présenté comme une mesure de soutien alors même que sa voilure est réduite. Le dispositif, qui, certes, devait s’éteindre au 31 décembre, ne s’appliquera plus aux maisons individuelles.

Dans les coulisses de la crise du logement

Réponses urgentes attendues

Si d’un point de vue de la lutte contre l’étalement urbain la limitation peut s’entendre (3 prêts distribués sur 4 en 2021 l’ont été pour la construction d’une maison individuelle), une fois encore les marges budgétaires dégagées auraient dû être redéployées pour favoriser l’accession à la propriété des ménages. Il aurait par ailleurs été étrange de faire disparaître cet outil de solvabilité des ménages dans un contexte où les taux augmentent, c’est-à-dire au moment où il trouve sa pleine pertinence.

Il était attendu du CNR des réponses d’urgence à la conjoncture pour éviter des faillites d’entreprises dans le bâtiment et faciliter les mises en chantiers. En 2008, la crainte du krach immobilier avait ainsi donné lieu à un grand plan de relance de la construction de plus de 5 milliards d’euros avec des mécanismes de défiscalisation pour inciter les ménages à investir et un élargissement sensible du prêt à taux zéro ainsi qu’un fort soutien aux bailleurs sociaux.

Il était aussi attendu, dans la mesure où la consultation s’inscrivait dans le temps long avec 200 acteurs d’horizons divers, des solutions à des problématiques anciennes. Pour nombre de participants, le gouvernement n’a pas pris conscience de la gravité de la situation actuelle et semble penser qu’elle n’est que passagère. Il y a bien une dimension conjoncturelle à la crise, avec la hausse des taux d’intérêt conjuguée à celle coût des matières premières. Cependant, la conjoncture ne fait qu’ébranler un équilibre très précaire, révélant une crise plus structurelle que nos travaux tentent de caractériser.

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Une crise des inégalités

Miser ainsi sur un ajustement par les prix grâce à la main invisible du marché et minimiser le besoin de mesures d’urgence peut paraître hasardeux. Ces derniers mois, les prix des biens immobiliers ont peu évolué malgré les contractions du crédit. Ceux‐ci apparaissent généralement assez peu sensibles au rythme des constructions (« inélastiques », dans le langage de la science économique).

Cette crise est d’abord une crise des inégalités. Selon l’Insee, le prix des logements a été multiplié par 2,6 entre 2000 et 2022, une évolution déconnectée de celle des revenus des ménages et des prix des autres biens. Ils ont crû, eux, de 40 % environ. En 1980, le patrimoine immobilier représentait en moyenne 2,5 années de revenu disponible brut. En 2020, celui‐ci représentait près de 5,5 années.

La proportion de propriétaires a évolué différemment dans la population selon les tranches de revenus. Selon Eurostat, en deçà de 60 % du revenu équivalent médian (qui tient compte de la composition du ménage, des impôts et autres potentielles allocations) la part des propriétaires est passée de 40 % en 2005 à 30 % en 2021. Au‐delà, les propriétaires sont passés de 65 à 70 % de la population.

La mobilité résidentielle, c’est-à-dire le nombre d’emménagements et de déménagements, est par ailleurs en forte baisse. Elle constitue pourtant le principal pourvoyeur de logements sur le marché chaque année. Pour les locataires de biens privés, les sauts de loyers au moment de changer d’adresse constituent un frein de plus en plus important. Le nombre de sorties du parc des logements sociaux pour accéder à la propriété est également en nette diminution.

Les logements « hors résidences principales » parmi les grands oubliés

Depuis le début des années 2000, les gouvernements successifs, quelle que soit leur couleur politique, ont voulu répondre à la problématique par une politique d’offre neuve. La loi Élan de 2018 promettait, par exemple, de « construire plus, mieux et moins cher ». Un groupe de travail du CNR s’intitulait d’ailleurs « Réconcilier les Français avec l’acte de construire ».

La France n’est néanmoins peut‐être pas si fâchée avec cela. Elle a même le ratio nombre de logements par habitant le plus élevé de l’OCDE (0,59) et c’est dans l’hexagone qu’il a le plus augmenté au cours de la dernière décennie. À l’issue des réflexions, le gouvernement semble envoyer le message qu’il n’y a pas tant besoin de construire que cela. Des idées consensuelles au sein du CNR pour inciter à construire n’ont pas été retenues. Il proposait par exemple un encadrement des prix du foncier, la mobilisation du foncier privé et public ou encore la création d’un statut fiscal du bailleur privé.

Certes, il est possible de mettre l’accent sur le parc existant avec un nombre de logements vacants qui a augmenté de 20 % entre 2012 et 2022. L’évolution est cependant fortement corrélée avec l’attractivité des territoires. Dans les territoires aujourd’hui sous tension, la vacance est majoritairement frictionnelle. L’enjeu y semble bien de proposer du neuf à un prix abordable.

Démarche inaboutie

Le nombre de résidences secondaires a lui augmenté de 15 % sur la même période. En 2022, sur 30,7 millions de logements en France (hors Mayotte), 3,1 millions sont vacants (8,3 % du parc) et 3,7 millions des résidences secondaires (9,8 %). Ces deux types de logements ont contribué pour un tiers à la hausse du nombre de logements au cours des 10 dernières années.

La démarche semble alors inaboutie. Si tel était ce sur quoi le gouvernement voulait mettre l’accent, il aurait fallu proposer davantage pour réguler les meublés touristiques et lutter contre la sortie massive de logements du parc des « résidences principales » afin, dans les territoires en tension, de permettre un « choc d’offre » de logement sans forcément en construire de nouveaux. Aujourd’hui, il semble autant manquer ce cap que des mesures fortes pour le soutenir. Comme le formule le maire de Villeurbanne Cédric Van Styvendael : « Après le “en même temps”, le gouvernement fait dans le “ni‐ni” ».

Mediacités et The Conversation

Ce texte est une reprise d’un travail initialement paru sur le site The Conversation, média indépendant qui publie des articles d’universitaires et de chercheurs sur des sujets d’actualité. Il est signé Pierre Madec, économiste au département analyses et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), centre de recherche de Sciences Po.  Hormis le chapô nous le reproduisons in extenso. 

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Par Pierre Madec (The Conversation)

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