Voilà deux ans que notre fils Simon est décédé. C’était le 9 juillet 2021, à l’issue d’une soirée d’intégration à la Faculté de médecine de Lille. Beaucoup de médias ont évoqué le décès de Simon en l’illustrant avec la photo d’un pont d’autoroute comme s’il s’agissait d’un suicide [NDLR : Simon Guermonprez est mort sur une autoroute, percuté par un camion]. Ils ne se sont pas posé la question des causes du décès, comme si le sujet des enivrements planifiés dans les soirées d’intégration étaient monnaies courantes et qu’il n’y avait pas d’intérêt à informer de ces mœurs.
Notre fils allait avoir 20 ans. Il était en 2e année à la Faculté de médecine de Lille. C’était un étudiant sérieux, travailleur, consciencieux, courageux, dévoué… Pas du tout un « fêtard » puisqu’il se concentrait en priorité à ses études avec de très bons résultats. Nous, parents, savons à 100 % que lorsque Simon est déposé en taxi devant notre domicile, peu après minuit, et qu’il ne pénètre pas dans la maison, c’est que quelque chose cloche. Au vu des doses d’alcool qu’il a dû ingurgiter ce soir là, il était forcément déboussolé. Repartir en pleine campagne ne lui correspondait pas du tout. Ce n’était pas dans ses habitudes, il n’aimait pas du tout marcher.
12 grosses seringues d’alcool dans la bouche
Nous apprendrons par madame le Procureure de Lille que notre fils a reçu un objectif d’ingurgiter directement dans la bouche 12 grosses seringues d’alcool pour être « intégré ». Or Simon ne buvait habituellement pas d’alcool. De plus, il ne pouvait pas savoir qu’il aurait à subir un tel rituel puisqu’il s’agissait de sa 1ère soirée d’intégration…
Après le décès de Simon, la Faculté de médecine de Lille nous a dit qu’elle déplorait et condamnait ces pratiques, tout en précisant qu’elle n’était pas liée à ces événements dits « privés ». Cette réponse est une pirouette. Le ministère de l’Enseignement supérieur rappelle régulièrement que « le bizutage est un délit et que les établissements d’enseignement supérieur doivent jouer leur rôle dans la prévention et la sanction de ces pratiques illégales. Ils doivent également assumer leur responsabilité dans l’accompagnement des événements étudiants à caractère festif ».
Pourquoi la faculté de médecine ne convoque‐t‐elle pas la quarantaine d’organisateurs (pour un millier d’étudiants lillois) AVANT ces soirées d’intégration afin de leur rappeler 1/ les règles de sécurité établis dans la charte de prévention signée en 2018 ; 2/ les sanctions en cas de bizutage ; 3/ le règlement intérieur de l’université ? La Faculté nous dit être scandalisée par ces bizutages alcoolisés. Elle communique par voie de presse pour dire qu’elle prendra des sanctions. Pourtant, deux ans après les faits, les organisateurs ne sont ni inquiétés, ni jugés, ni sanctionnés. Comme s’il ne s’était rien passé, comme si ces mœurs n’étaient pas répréhensibles.
Hypocrisie générale
Pourquoi la Faculté de médecine a‑t‐elle besoin d’attendre une décision de justice – qui interviendra peut‐être dans cinq à dix ans – alors qu’elle pourrait appliquer immédiatement l’exclusion des responsables ? Nous ne sommes pas sur des jeux « bons enfants » mais sur une volonté express d’enivrer les bizuths. La vidéo qui le démontre est dans les mains de l’Université de Lille et de la justice. Ne pose‐t‐elle pas de problème éthique !? Nous, parents, ne militons pas systématiquement contre l’alcool. A chacun d’être responsable. Ce que nous trouvons scandaleux, c’est que ce ne sont pas les étudiants qui vont vers l’alcool mais l’alcool qui vient directement à eux. Et tout cela dans une hypocrisie générale puisque tout le monde est au courant.
Deux ans après le décès de Simon, l’enquête confiée à la brigade criminelle de Lille est toujours en cours. Comment expliquer cette lenteur ? La justice peut‐elle réellement s’attaquer à une corporation où l’omerta règne ? Peut‐elle s’attaquer aux fonctionnements de ces soirées, chercher à savoir qui finance ces litres alcools offerts à un millier d’étudiants ? Comment les organisateurs ont‐ils pu organiser ces enivrements dans un petit appartement de Lille où 100 à 150 étudiants sont entassés les uns sur les autres en dépit de toute règle de sécurité ?
Nous savons que la brigade criminelle de Lille a convoqué 54 membres du groupe « Borgia », où était Simon, mais nous ne comprenons toujours pas pourquoi elle a attendu dix‐sept mois après son décès pour les convoquer. Pourquoi les trois enquêtes (celles de l’Inspection générale de l’Education, du sport et de la recherche, de la faculté de médecine et de la brigade criminelle) ne sont‐elles toujours pas dévoilées ? Y a‑t‐il des choses gênantes à découvrir ? Pourquoi notre avocat, Maître Damien Legrand, ne peut toujours pas avoir accès à notre dossier ?
Ne rien attendre de la justice ?
Après le décès de notre fils Simon, la maman de Jean‐Baptiste Pignède‐Casabianca nous a dit qu’il ne fallait rien attendre de la justice. Son fils est mort lors d’un week‐end d’intégration de la fac de médecine de Lille. C’était en 2015 et huit ans plus tard, son dossier est toujours au point mort. J’avoue qu’à l’époque, je ne l’avais pas cru. Il va bien falloir se rendre à l’évidence…
Ce qui est insupportable pour nous parents, c’est de voir des personnes enivrer volontairement d’autres personnes pas attirées par l’alcool. Pour elles, la mort de Simon est juste un accident regrettable. Elles ne se sentent pas concernées. Aucun organisateur de ces soirées d’intégration ne nous a d’ailleurs donné un signe de regret, de remords ou même de condoléances. Comment peuvent‐elles ne pas prendre conscience de leur stupidité à perpétuer une tradition détestable ? Il parait que c’est juste pour le plaisir de voir le comportement des bizuths après ces enivrements, le plaisir de les voir vomir…
Alors que le cycle 2023 des soirées d’intégration débute, nous souhaitons adresser un message aux futurs organisateurs : amusez‐vous, faites la fête et transmettez de belles valeurs aux nouveaux étudiants. Mais évitez s’il vous plaît de les enivrer en injectant des grosses seringues d’alcool directement dans leurs bouches. Car vous ne pourrez pas maîtriser les conséquences de ces actes machiavéliques.
Pour éviter d’autres drames de ce type, nous avons lancé une pétition qui réunit déjà plus de 37 000 signataires. Sans relâche, nous continuerons à dénoncer ces faits en la mémoire de Simon. En espérant qu’un jour, la justice et l’université auront le courage d’adopter les sanctions indispensables pour que ces mœurs inadmissibles s’arrêtent.
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