« Nous avons un président jupitérien… et des hyper‐présidents de collectivités »

A la tête de l’Association des élus locaux d’opposition, Clotilde Ripoull témoigne de la concentration de nombreux pouvoirs aux mains des maires. Selon cette ancienne conseillère municipale, plus de transparence permettrait aux citoyens de s'impliquer davantage dans la vie politique locale.

Portrait Clotilde Ripoull (credits Georges Riester)
Elue d’opposition entre 2008 et 2014 à Perpignan et ancienne membre du conseil d’administration d’Anticor, Clotilde Ripoull a fondé l’Association des élus locaux d’opposition (AELO) deux ans après sa prise de fonctions, en 2010. Elle en est restée présidente depuis. Photo : Georges Riester.

Depuis plus de trente‐cinq ans et les premières lois de décentralisation, tous les gouvernements successifs renforcent les responsabilités des élus locaux. Certains tentent aussi de rationaliser le « millefeuille territorial ». Tous ces efforts ont‐ils permis de faire progresser la démocratie au niveau local ?

Sans aller jusqu’à dire que la décentralisation n’a fait que conforter des féodalités aux mains de barons locaux, la situation actuelle n’a rien de réjouissante. En raison du système électoral majoritaire, le maire qui souhaite être autocrate dispose de tous les outils pour l’être – et ce sans pouvoir être inquiété. Il peut démettre ses adjoints de leurs délégations, ce qui lui confère un pouvoir de pression énorme vis‐à‐vis de sa majorité. Ses opposants se comptent sur les doigts d’une main. Et il ne peut pas être renversé par le conseil municipal.            

Le pouvoir des maires est d’autant plus exorbitant qu’ils ne disposent d’aucun contre‐pouvoirs face à eux – ou si peu – et qu’ils n’ont de comptes à rendre à personne. Ce déséquilibre est susceptible d’entraîner de véritables catastrophes locales. C’est grave : les collectivités gèrent des budgets considérables et mènent des politiques qui ont un impact non négligeable sur la vie quotidienne des Français.

Comment expliquez‐vous un tel déséquilibre au pays de Montesquieu, le théoricien de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs ?

Pendant longtemps, la préoccupation de l’Etat a été de transférer des compétences aux élus locaux, ce que je ne remets aucunement en cause ayant moi‐même été élue. Mais personne, à aucun moment, n’a jugé utile de créer des mécanismes de contrôle en contrepartie de cette décentralisation. Cela se comprend aisément : jusqu’à l’interdiction du cumul des mandats en juin 2017, le législateur national était souvent, aussi, un élu local, formant ainsi un « lobby des maires » omniprésent au Parlement.

Jusqu’à peu, donc, ces députés‐maires et autres sénateurs‐maires votaient tous dans le même sens : approfondir la décentralisation et bloquer tout texte qui aurait pu les priver d’une infime partie de leurs prérogatives et de leur autonomie au niveau local. Dans la mesure où la grande majorité d’entre eux étaient au pouvoir dans leurs fiefs respectifs, cette logique faisait sens, du moins se comprenait : à quoi bon réfléchir à l’équilibre démocratique et à un fonctionnement plus collégial des collectivités les limitant ?

« Le déficit de contrôle augmente les risques de clientélisme »

Faute de réelle séparation des pouvoirs entre l’exécutif local et le conseil municipal, les maires jouent en quelque sorte le rôle de président de la République, de premier ministre mais aussi de président de l’Assemblée nationale et du Sénat. Les villes françaises seraient‐elles de petites monarchies ?

La France a pensé la décentralisation en 1982, comme elle avait pensé la Ve République quelques décennies plus tôt. Tout comme vous avez aujourd’hui un président jupitérien qui semble faire ce qu’il veut de l’Assemblée nationale, vous avez des hyper‐présidents de collectivités locales libres de faire absolument tout ce qu’ils souhaitent. Le pire dans tout cela, c’est que les dernières lois votées pour rétablir la confiance dans la vie politique se sont acharnées sur le pouvoir parlementaire, en ignorant totalement les multiples carences de la démocratie locale. L’Etat ferait bien de se pencher sans attendre sur le sujet.

> Sur ce sujet, lire également la tribune : 
Loi Confiance : de l’urgence de moraliser notre démocratie locale !

Pourquoi la démocratie locale mérite‐t‐elle, d’après vous, que le gouvernement s’y intéresse ?

La politique locale a longtemps passionné les Français parce qu’elle touche à la vie quotidienne des gens. Mis à part la présidentielle, les élections les plus suivies ont toujours été les municipales. Et, jusqu’à peu, les maires étaient souvent désignés comme les personnalités politiques préférées des Français. Si les élus locaux ne sont plus aussi plébiscités aujourd’hui, c’est parce que le grand public ne comprend plus qui décide de quoi, notamment entre la mairie et l’intercommunalité. L’existence des métropoles, des communautés d’agglomération ou de communes est tout à fait pertinent sur le plan de l’efficacité de l’action publique, mais regardez l’opacité totale qui y règne… Or le déficit de contrôle augmente les risques de clientélisme ou même de corruption. Je ne vous l’apprends pas.

A défaut d’un contrôle citoyen, les préfectures, les chambres régionales des comptes ou les médias exercent tout de même une forme de contre‐pouvoir…

Vous voulez rire !? Les préfectures n’ont plus les moyens suffisants pour opérer le « contrôle de légalité », et ce sur un plan quantitatif comme qualitatif. Lorsqu’il était encore sénateur, le ministre de la Cohésion des Territoires Jacques Mézard reconnaissait lui‐même que cet exercice était « devenu une véritable passoire ». Les chambres régionales des comptes réalisent des contrôles, c’est vrai, et font de temps en temps un rapport sur telle ou telle collectivité. Mais elles ne disposent d’aucun pouvoir de sanctions. Si bien que les magistrats déterrent parfois des faits répréhensibles sur le plan pénal sans que le procureur de la République ne s’en saisisse pour autant et y donne une suite quelconque. 

Enfin, et je suis la première à le regretter, nombre de médias sont devenus bien trop dépendants des collectivités locales sur le plan économique. L’un des adhérents de l’AELO, élu dans la Marne, m’a récemment informé que son maire avait décidé, par exemple, de payer un abonnement au journal local à tous les nouveaux habitants de sa commune, un geste qui devrait l’aider à se faire bien voir de ces derniers mais aussi du directeur de la publication voire des journalistes. A Perpignan, le maire a décidé de faire imprimer le journal municipal… sur les rotatives de La Dépêche du Midi, ce qui représente un marché non négligeable pour ce titre. Difficile de faire de l’investigation et de publier une information impartiale lorsque votre journal se retrouve autant lié au pouvoir en place.

« La plupart des élus minoritaires agissent sur leurs deniers personnels »

Qui pourrait jouer ce rôle nécessaire de vigie démocratique, alors ?

Dans un certain nombre de territoires, il ne reste plus que les élus d’opposition capables de contrôler la légalité des décisions prises par les collectivités. Avec une ambition très mesurée, toutefois : n’oublions pas qu’un élu minoritaire dispose d’à peine plus de droits qu’un citoyen lambda. Bien sûr, nous avons la possibilité de demander des informations aux services administratifs ou techniques. Mais dans la mesure où ce sont les élus de la majorité qui décident de leur avancement professionnel, la plupart des fonctionnaires sont terrorisés à la simple idée de nous parler. Et lorsque nous réclamons que la transparence soit faite sur telle ou telle décision, la plupart des maires refusent. Ce qui nous oblige alors à déposer un recours devant la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), puis généralement de saisir le Tribunal administratif lorsqu’ils continuent à nous refuser l’accès à l’information. 

Les élus d’opposition disposent‐ils des moyens humains, financiers et matériels pour mener à bien une telle « guérilla » ?

En théorie, oui. Mais comprenez qu’il nous est extrêmement compliqué de jouer notre rôle de lanceur d’alerte lorsque le maire ne respecte pas nos droits les plus élémentaires. Donc dans les faits, c’est souvent le maire, entouré de son cabinet et des services généraux, qui gagne. D’où notre recommandation de créer un poste de « médiateur » susceptible de trancher tous ces différends. Nous ne sommes pas des juristes !

Prenez le cas de la formation aux élus : les élus majoritaires ont le droit de se former par le biais des associations d’élus ou d’instituts affiliés à leurs partis politiques, mais nombre de mairies empêchent les élus minoritaires d’en suivre à leur tour. Rappelons que la plupart d’entre eux agissent pourtant déjà sur leur emploi du temps personnel, avec leurs deniers personnels. 

Certes, mais les élus minoritaires – qui privilégient parfois la contestation militante à la recherche d’alternatives – ne sont‐ils pas eux aussi, en partie, responsables de ce climat démocratique délétère ?

Dire que leur opposition n’est pas constructive, c’est la critique facile des majorités. Elles se passeraient bien, pour tout dire, d’une opposition…

Qu’est-ce que propose votre association, l’AELO, pour revivifier notre démocratie locale ?

En Espagne ou en Belgique, l’élection à la proportionnelle intégrale oblige les maires à trouver des partenaires et à fonctionner de manière plus collégiale. Il pourrait être intéressant de dupliquer un tel système en France. Par ailleurs, rendre l’information municipale et intercommunale la plus transparente possible nous paraîtrait la moindre des choses. Pourquoi n’est-il pas possible de connaître le vote de nos élus dans les Commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) chargées d’autoriser ou non les projets de création de grandes surfaces ? Pourquoi n’aurions-nous pas le droit de passer au scanner les indemnités que perçoivent nos élus siégeant dans les conseils d’administration des organismes publics et parapublics (bailleurs sociaux, organismes de transports, sociétés d’aménagement) ?

Plus de transparence aiderait à mettre au jour des situations tout à fait inadmissibles. Par exemple, toutes ces Sociétés publiques locales (SPL) dirigées par des élus qui passent outre les appels d’offres classiques – aller cherchez dans les comptes d’une SPL demanderait un emploi à plein‐temps ! Mais cela permettrait aussi de fermer la porte à un certain nombre de théories du complot pénalisant les élus.

Nous ne demandons pas forcément d’attribuer la présidence de la commission des Finances ou des Appels d’offres à un élu d’opposition comme le réclame Anticor, qui sont des objectifs très ambitieux. Ce que nous souhaitons simplement, c’est que les citoyens puissent savoir comment la collectivité utilise leur argent. 

Comment les élus désireux de réhabiliter la « Politique avec un grand P » pourraient‐ils s’y prendre ?

La décentralisation a débuté en 1982. Nous avons donc du recul et pu identifier un certain nombre de dysfonctionnements ces dernières années. Des contre‐pouvoirs institutionnels mais aussi citoyens, comme l’AELO, Anticor, Transparency International, votre journal ou un certain nombre de collectifs d’habitants s’organisent d’ailleurs pour tenter d’y remédier. Cela prend du temps de faire émerger une démocratie locale plus transparente, un système politique plus responsable au‐delà des enjeux partisans, mais je ne doute pas que les choses évolueront positivement. Peut‐être même plus rapidement que prévu : les nouvelles technologies et les réseaux sociaux pourraient mettre à mal le ronron habituel permettant aux notables locaux de s’arranger entre eux lors des prochaines municipales.

 

Cet été, Mediacités ausculte la démocratie. De l’affaire Fillon à la condamnation de Jérôme Cahuzac, la répétition des scandales qui éclaboussent la classe politique nationale comme locale creuse le fossé entre les citoyens et leurs représentants. Plus des trois‐quarts des Français estiment que notre système démocratique fonctionne « de moins en moins bien », selon une enquête Ipsos‐Sopra Steria. Juge d’instruction, élu, militant associatif ou chercheurs : pendant cinq semaines, Mediacités donne la parole à cinq experts. Tous pointent les failles de notre démocratie et livrent leurs propositions pour rétablir la confiance en notre système politique.

Notre dossier :  “Soigner la démocratie”

  • Encore un papier de garde qui va prendre de l’épaisseur en bouche pour les municipales. Tiens un petit jeu pour la rentrée : qui imprime les journaux de la Région, comme c’était déjà le cas « sous » Malvy ancien journaliste de cour à la DDM Et qui s’en vante partout. Les pubs Tisséo ? Les hauts faits du conseil départemental (coûteux en communication)? Et j’en passe : faut lire les « ours » sauf erreur de ma part, ces petits encadrés de bas de page dont tout le monde se fout mais qui sont très intéressants pour savoir la vie d’une publication publique ou privée. Qui y travaille, qui l’imprime, qui l’édite.

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Propos recueillis par Hugo Soutra

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