De vives contestations surgissent pour remettre en cause la légitimité du 1er tour des municipales en raison du contexte très particulier lié à la pandémie du coronavirus. Ce n’est pas votre opinion ?
Jean‐Philippe Derosier : Non. Le gouvernement a décidé, jeudi 12 mars, de maintenir le scrutin. C’était peut‐être une erreur politique, mais aucune mesure n’a empêché l’élection. Certes, il y a eu des messages anxiogènes et tout ce que vous voulez mais aucune mesure empêchant d’aller voter n’a été prononcé. Donc, rien ne permettrait de contester la légalité du premier tour, de façon générale.L’abstention massive, avec près de 20 points d’écart entre les municipales de 2014 et celles de 2020, ne suffit‐elle pas à enlever toute légitimité au scrutin ?
Cela ne suffit pas. Ou alors, il faudrait remettre en cause toutes les consultations qui ont peu mobilisé, comme le référendum sur le traité constitutionnel européen (2005) ou le référendum constitutionnel de 2000, par exemple. Pour moi, l’élection des maires au premier tour, ce 15 mars, est acquise. Cela ne préjuge pas de recours au cas par cas. Prenons une hypothèse d’école. Un candidat a perdu de 50 voix et son concurrent est élu. S’il fournit au juge un nombre supérieur d’attestations signées d’électeurs qui certifient ne pas être allés voter en raison du coronavirus, alors qu’ils votent habituellement et attestent qu’ils auraient voté pour le candidat battu, alors l’argument sera recevable. Mais attention ! Le vainqueur pourra aussi produire des attestations qui, elles, vont dans son sens. Quoi qu’il arrive, il faut agir vite. Si un maire a été élu le 15 mars, les opposants n’ont que 5 jours pour former un recours.
Vous estimez que le report du second tour des municipales à une date lointaine, fin juin par exemple, est inconstitutionnel. Pourquoi ?
Parce que cela porte atteinte à la sincérité du scrutin ! Notre opinion se forge en fonction d’éléments factuels. Plus l’espace-temps est élevé entre le 1er et le second tour, plus ces éléments contingents influent sur le vote. La séquence politique devient différente. La démarche élective aussi. Cela revient à organiser deux élections à un tour et non une élection à deux tours. Or l’élection forme un tout. Il faudrait donc organiser de nouvelles élections municipales complètes pour tous les maires non‐élus au 1er tour.
Jeudi 19 mars, les parlementaires auront à trancher sur ce point. Pensez‐vous que vous serez suivi ?
Non, je ne le pense pas. Il semble qu’il existe une convergence politique en faveur du report du seul second tour par opportunité politique. Tous les grands partis, y compris les Verts, ne sont pas si mécontents que cela des résultats. Il vaut mieux un « tiens ! » que deux « tu l’auras ».
Mais si soixante députés saisissent le Conseil constitutionnel pour qu’il tranche sur la constitutionnalité du report à une date lointaine du 2nd tour ?
C’est difficilement imaginable, car cette convergence politique est organisée pour aller vite et, si tous les partis sont d’accord, le recours au Conseil constitutionnel n’aura pas lieu.
Donc vous prêchez dans le désert ?
Oui. Il reste une ultime possibilité : la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Un citoyen qui a intérêt à agir pourrait déposer un recours contre le décret qui fixera, a priori vers la mi‐mai, la date du 2nd tour, assorti d’une QPC. Cela lui permettrait d’attaquer la loi qui a permis ces nouveaux délais. Deuxième possibilité : déposer un recours post‐élection sur un scrutin précis auprès du tribunal administratif et l’assortir là encore d’une QPC pour contester la loi qui a organisé le scrutin. Mais le Conseil constitutionnel irait‐il jusqu’à annuler d’un coup l’ensemble des élections qui se seraient déroulées en juin ? C’est assez peu probable.
Peut‐on dire qu’en repoussant aussi loin l’organisation du 2nd tour des municipales, on triche avec la démocratie ?
Je dirai plutôt qu’on cherche à manipuler la démocratie. D’autant qu’il y a un autre point de blocage : la date de dépôt de liste pour le 2nd tour. La République en Marche et les Verts plaident en faveur du mardi qui précèdera le scrutin. Les Républicains et le PS, eux, veulent un dépôt des listes le plus rapidement possible. Ma position est qu’il faut aller vite et maintenir une connexion entre le 1er tour et le dépôt des listes. Sinon, cela fausse une nouvelle fois la sincérité du scrutin.
Pour quelles raisons ?
Plus vous laissez de temps pour la négociation, plus vous vous exposez à des risques de manœuvres et de transformation en magouilles. Je comprends que cela était compliqué de maintenir la date du mardi 17 mars à 18 heures. Mais, pour moi, il ne faudrait pas que le dépôt des listes se fasse après la fin de la semaine prochaine. A défaut, en plus d’une grave inconstitutionnalité avec la dissociation entre les deux tours, cela constituerait un dangereux précédent dans notre droit électoral.
Bonjour,
En désaccord total avec mon collègue quand il compare l’abstention même élevée aux élections européennes par exemple, et l’abstention de ce premier tour. La première, liée à une indifférence/distance/défiance vis‐à‐vis de la démocratie représentative (et notamment lors des élections considérées comme les moins « importantes » par une partie du corps électoral) ne s’apparente EN RIEN à une abstention ici largement suscitée par des craintes épidémiques sérieuses. Un grand nombre de celles et ceux qui ne sont pas allés voter ne l’ont pas fait par défiance ou indifférence vis à vis du scrutin, mais parce qu’ils en ont été « empêchés » par un contexte exceptionnel et des risques majeurs, le lendemain d’annonces inédites du Premier ministre préludes au confinement total.
Le maintien de ce scrutin sera, je le crains, « l’affaire du sang contaminé » des prochaines années… Et celles et ceux qui ont pris la lourde responsabilité de maintenir ce premier tour, avec un ensemble d’alertes sérieuses, devront en assumer la responsabilité..
Solidairement.
Fabien Desage
Pour une alerte, dès le vendredi 13 mars matin du désastre à venir :
https://www.mediapart.fr/journal/france/140320/le-maintien-des-elections-municipales-est-une-erreur?onglet=full
Malheureusement, toutes les craintes avancées dans cet entretien sont en train de se réaliser les unes après les autres. Aucune extra‐lucidité parmi les « lanceurs d’alerte », tous les paramètres étaient présents pour annoncer la catastrophe à venir !
Que le système de gouvernement, les intérêts locaux constitués n’aient pas été capables d’éviter ce fiasco en dit long sur les dysfonctionnements majeurs de notre régime politique et sur les effets délétères de l’autonomisation du champ politique (bien démontrée dans de nombreux travaux de science politique justement).
Pour une analyse (co‐écrite avec deux collègues) sur la crise démocratique qui s’est donc désormais ajoutée à la crise sanitaire : https://www.liberation.fr/debats/2020/03/18/le-premier-tour-des-municipales-n-a-pas-eu-lieu_1782174
Je suis belge mais passionné de la politique française ; j’ai 71 ans et ai vécu dans l’ambiance gaulliste. Ces informations pour la transparence de mes commentaires.
Pour moi, quoique le temps de la contestation contre le gouvernement en place puisse jouer pour ou contre lui, j’estime que les municipales devaient être postposées, et ce afin que toutes les possibilités de défense des idées puisent avoir audience auprès des électeurs de toute conviction.
C’est cela la démocratie transparente respectant le droit au suffrage universel .